Dr Albert Fournier. Note sur la sorcellerie dans les Vosges. Extrait du « Bulletin de la société philomatique vosgienne, 1884-1885 », (Nancy), 10me année, 185, pp. 93-99.

A. Fournier. Note sur la sorcellerie dans les Vosges. Extrait du « Bulletin de la société philomatique vosgienne, 1884-1885 », (Nancy), 10me année, 185, pp. 93-99.

 

Albert Fournier. Médecin. Membre de la Société philomatique vosgienne.
Autre publication :
— Une épidémie de sorcellerie en Lorraine aux XVIe et XVIIe siècles. Extrait des « Annales de l’Est », (Nancy), cinquième année, 1891, pp. 228-259. [en ligne sur notre site]

[p. 93]

NOTE
SUR LA SORCELLERIE DANS LES VOSGES (*)

Il y a quelques années, me trouvant chez un pharmacien de Rambervillers, je vis entrer une vieille femme d’un petit village voisin, qui demanda pour « deux sous de momie d’Egypte. »

Pendant qu’on délivrait cette singulière poudre, j’interrogeai la bonne vieille et j’appris que sa vache était malade depuis le jour où elle avait été rencontrée par « une roulante qui avait le mauvais œil ! »

La poudre de momie jouissant, parait-il, du privilège de conjurer cette variété de sortilège, elle devait être mise dans un sachet et portée au cou de la vache pendant un certain temps.

Notre région possède encore de ces sorciers ou plutôt de ces sorcières mais au rebours de celles qui ont le « mauvais œil », elles ont la spécialité de guérir hommes et animaux.

Je connais une de ces femmes qui guérit tout a « ce qui enfle » ; cette « guérisseuse du secret » pour employer l’expression locale, guérit même distance !

Certaines personnes m’ont assuré, que dès le moment où l’envoyé met le pied sur le territoire de la commune habitée [p. 94] par la sorcière, le malade éprouve un soulagement marqué !

Qu’est-ce, quand elle a parlé !

Heureusement c’est tout ce qui nous reste de la sorcellerie.

Terrible et douloureuse histoire que celle de malheureux ou plutôt de malheureuses — car « pour un sorcier il y avait dix mille sorcières — qui, désespérés, cherchant un sort meilleur, s’étaient voués au diable.

Ce fut pendant des siècles une terrible folie épidémique terrible surtout par les moyens employés pour la réprimer.

Une de ces folles, possédée du démon, avoue avoir déterré son enfant, mort récemment, et l’avoir mangé on la condamne au feu. Le mari réclame ; il demande qu’au moins le fait soit vérifié. La fosse est ouverte, et le petit cadavre trouvé parfaitement intact.

Mais le juge n’a garde de se rendre à cette preuve, il s’en tient à l’aveu de l’accusée et déclare le corps de l’enfant une apparence produite par la ruse du démon.

L’enfant fut brûlé avec la mère.

La femme était folle, mais le juge ?

Il semble, devant cet affolement, cette terreur de la sorcellerie, il semble que la raison humaine ait disparu !

Parfois des voix s’élevaient pour protester, pour crier aux juges : « Mais, malheureux ! vous ne voyez donc pas que ces femmes sont folles ! »

Des légistes comme Alciat ou Ponzibinius ; des médecins comme Jean Wier ; des rieurs comme Rabelais ; des sceptiques comme Michel Montaigne, — et ce sera leur éternelle gloire, — s’élevèrent contre ces horribles exécutions, mais ce fut en vain.

En Lorraine, un pauvre curé, Dominique Cordet, de Vomécourt, osa lui aussi protester et prouver que le crime [p. 95] de sorcellerie ne méritait pas la peine du feu dénoncé, poursuivi pour avoir soustrait au bûcher des sorciers, il fut à son tour brûlé vivant (1632) !

Hélas ! un lorrain figure au premier rang de ces hideux persécuteurs N. Remy, le « Torquemada lorrain » celui-là qui inventait, « avec la satisfaction de lui-même, le fouet envers les enfants des sorciers, autour du bûcher de leurs pères, » celui-là qui s’écriait : « Ma justice est si bonne que seize, qui furent arrêtés l’autre jour, n’attendirent pas et s’étranglèrent tout d’abord. »

Dans moins d’un siècle, Dumont a pu relever, en Lorraine, près d’un millier d’exécutions c’est surtout à la fin du XVIe siècle, au commencement du XVIIe, que les victimes furent les plus nombreuses ; c’était à ce moment-là que N. Remy remplissait les fonctions de procureur général.

Nicolas Rémy.

Dumont a donné une liste de ces martyrs de l’ignorance humaine ; sur neuf cents, il y a six cents femmes.

Saint-Dié, Raon, Senones, Etival, Saint-Remy, Moyenmoutier, etc., ont vu de ces exécutions.

Voici pour Saint-Dié quelques noms de victimes :

  1. — Didier FINANCE ;
  2. — Jeanne GALLÉE ;
  3. — Barbeline GAXET ;
  4. — COLATTE, femme de Didier Henry ; MENGEOTTE, femme de Grosjean ; Jean CAILLERÉ ; BARBELlNE, femme de Bastien Delat ;
  5. — CLAUDETTE, femme de Bastien Delat ;
  6. — GRÉGOIRE MATHIS ;
  7. — CATHERINE, femme DIDIER BARTREMEY ; CLAUDATTE du Joué ; MICBEL BARTREMEY ; JEAN GÉRARDlN ;
  8. Femme JEAN CAMUS ; femme DEMENGE VIOLE, son mari DEMENGE VIOLE ; BASTIEN VINEY ; [p. 96]
  9. Veuve MARON ; femme JEAN COLIN ; VINCENT MAINBOURG ; femme RENÉE COLIN.

Dans la seule année 1616, il fut brûlé, tant à Raon qu’à La Neuveville, dix-sept de ces infortunés !

Les hasards d’une vente m’ont permis d’acquérir deux pièces originales concernant deux cas de sorcellerie Moyenmoutier (1).

Dans la première de ces pièces — 14 Novembre 1572 — les autorités se contentent d’expulser la nommée « Barbon femme à Claudon Barret » du territoire de Moyenmoutier voici, du reste, cette pièce en entier :

SAICHENT TOUS COMME AINSY SOIT QU’UNE NOMMÉE BARBON, FEMME A CLAUDON BARRET, de Moienmoustier soit estée detenue prisonnière aud. lieu pour cas de sorcerie ès prisons de Révérend père en Dieu Dom Jean de Maizières, et abbé dudit Moienmoustier, contre laquelle seroit esté procédé par information de son fame et renommée et des charges dont elle estoit suspicionné, par les maire, eschevin et doïen dud. Moienmoutier jusques adit. Que ce jourd’huy quatorzième jour du mois de novembre mil cinq cens septante deux, environ par une heure après midy, Icelle Barbon seroit esté tirée hors desd. prisons et amenée au deuant de l’abbaye dudit Moienmoustier par deuant honnestes hommes Claudon Conrald, maire d’illecques, Wuillaume Jean-Martin, escheuin, Guillaume Godesfroy, doien aud. lieu, assistez de Demenge le marchal lieutenant dud. maire aud. Moienmoustier, et de Dieudonnné le Lansgnecht, aussy son lieutenant au villaige de Sainct-Blaise. En la présence de moy Nicolas Rasaille, tabellion à Sainct-Diey subscript et des tesmoings cy après nommez. Auquel lieu seroit esté dict et proféré par ledit maire Conrald en substance Que par luy et ceux de Justice, heu esgard à la procédure extraordinaire par eulx faicte et formée contre lad. Barbon, détenue pour cas de sortileige, tant ès informations sur ce faictes, qu’à ses propres confessions et recognoissances par lesquelles elle se trouve chargée dudit crime. Et après auoir heu les [p. 97] conseils et aduis de gens doctes et sçavants mesme parce que Monsieur de Moienmoustier ne veult soubstenir gens en Sa Seigneurie entachés de tels crimes, affin d’obvier ès reclaimes et murmures du peuple. Pour ces causes, il déclairoit et déclaire lad. Barbon bannye à tousjours du ban et Seigneurie dud. Moienmoustier, lui enjoignant d’en partir et vuyder dedans l’espace de vingt quattre heures suiuantes, à peine, où elle y seroit retrouvée, d’estre du tout atteinte et convaincue dud. crime et cas de sorcerie. Ce qu’estant proféré par led. maire auroit icelluy demandé esdits ses coofficiers séants au Siège de Justice auec luy sy c’estoit par eulx et s’ils advouoient son dire; lesquels auroient répondu qu’ouy. Après quoy lad. Barbon, se leuant de deuant eux se seroit retirée. Dont et desquelles choses ledit maire, au’nom dud. Révérend Seigneur, et pour la conseruation des droicts, autorités et privileiges de son église, en a demandé et requis à moy Tabellion dessusd. acte et instrument pour seruir et valloir en temps et lyeux ou mestier sera. Lequel pour tesmoignage de vérité, à sa prière et requête, sont ces pntes lettres scellées du scel du tabellionaige Monseigneur le Duc de sa court de Sainct-Diey, saulfs son droict et aultruy. Que furent faictes et requises les ans et jour dessusd. Pnts le maire Claudon Gérardin, du Paire de Moienmoustier; Aulbry Claude Mengenat, du Vivier ban d’Estivay, et Jean Bresson, de Sainct-Blaise, tesmoings ad ce requis et appelés.

N. RASAILLE.

Vers la même époque 1582 les « gens de justice et douze de la police de Rambervillers » se contentaient aussi d’expulser leurs sorcières

« Comme en ce lieu (Rambervillers) il y a deux femmes mal notées et suspitionnées de sortilège, lesquelles rendent non seulement leurs voisins en crainte et doute d’icelle, mais encore ceux qui en sont loin et qui les rencontrent allant et venant. Ce qui leur tourne à dommage et d’autant que dernièrement, ils furent été pour cet effet assemblés au château et qu’ils les voulaient, comme ils ont fait autres, les conduire et chasser hors la ville ce qu’ils ont fait pour le bien [p. 98] public et pour ôter au peuple la crainte de telles gens… » La seconde pièce — 19 mars 1584 — nous montre une femme, Barbeline, veuve de Jean André, du Pair, brûlée à Moyenmoutier comme sorcière.

La voici :

SCAICHENT TOUS QUE COMME EN L’ANNÉE MIL CINQ CENS QUATTRE VINGTS ET TROIS dernière, feue Barbelinne, jadicte vefve de deffunct Jean Andreu du Pair, Srie (seigneurie) de l’église. et monastère de Moyemoutier, soit esté prinse et detenue ès prisons du Seigneur Abbé d’illecq, pour cas de venefice et sortilege, de ce conuaincue et pour ce arse et bruslée, ses biens declairez acquis et confisquez audict Seigneur Abbé. De ce est-il qu’auiourd’huy datte de cestes Reuerend Damp Nicolas Bertrand, ancien abbé dudict Moyenmoustier, grand vicaire et administrateur du spirituel et temporel dudict monastere pour Illme et Reverendissime Charles de Lorraine, cardinal de Vauldemont, euesque et comte de Toul, prince du St Empire, abbé moderne dudict monastere. Et a recognu et confessé de son plein grès, pure, franche et liberalle volonté, qu’il a renoncé, cédé, remis et quicté, renonce, cede, remect et quicte pour tousiours perpetuellement sans reuocquer, es mains de Nicolas Jean Andreu dudict du Pair, fils de la dicte Barbelinne present stipulant pour lui, Jehennon, sa femme, leurs hoirs et ayans causes, A tout tel droict, nom, raison, part, propriété, et action, qu’en vertu dudict droict de confiscation estoit obvenu et acquis, à la dicte abbaye des biens tant mobiliaires, qu’héréditaires de ladicte feue Barbelinne, sans que jamais on en puisse aulcune chose demander, repeter, ny inquieter ledict Colas Jean Andreu, ses hoirs et ayans causes, ny semblablement les biens de la dicte deffuncte sa mère. Et a esté faicte ladicte renonciation, remise, et quictance pour et parmy la somme de Deux cens quattre vingts frans monnoye de Lorraine, douze gros comptéspour chacun franc. Dont et de laquelle somme ledict Sr Reuerand soy est tenu content. Promettant ledict Sr grand vicaire, soubs le vœux de sa religion, tenant la main au pect (poitrine), leur faire tenir, et auoir à tousiours, ceste dicte renonciation, pour aggréable, ferme, et stable, sans jamais aller au contraire en manière que ce soit ou puisse estre. Et icelle bonnement et leaulment garantir auxdits acquerrans leurs dicts hoirs [p. 99] et ayans causes contre et envers tous jusqu’au droict soub l’obligation de tous ses biens meubles et immeubles pns (présents) et advenirs et sont touttes exceptions de deceptions cessantes; En tesmoingnage de vérité, sont ces présentes lettres scellées du scel du Tabellionnage Monseigneur le Duc, de sa cour de Saint-Diey, saulf son droict et l’aultruy, Que furent faictes l’an mil cinq cens octante quattre, le dix neufième jour du mois de mars; Pns (présents) Claudon Barelier dudict Pair, et Didier Demenge Cugnin demt (demeurant) à la Voivre, tesmoings ad ce priez et requis.

JOUPDELANCE.

Plusieurs nobles furent exécutés pour crime de sorcellerie : Romaric Bertrand (1408) ; le Seigneur de Gibaumeix (1625) ; Melchior de Vallée (1631).

Dr A. FOURNIER. 

Notes

(*) Quelques ouvrages à consulter MICHELET. La Sorcière. — AXENFELD. Jean Wier et les Sorciers. Extrait des Conférences historiques faites à la Faculté de médecine de Paris. 1865. — Dumont. Justice criminelle des duchés de Lorraine et Bar, t. II, pages 23 et suivantes.

(1) M. le Dr Alb. FOURNIER a bien voulu se dessaisir de ces deux parchemins en faveur de la Société Philomatique.

LAISSER UN COMMENTAIRE