Dimitrios Kouretas. De Freud à Hippocrate. Article paru dans la « Revue Française de Psychanalyse », (Paris), tome XXII, 1958, pp. 733-736.

kouretasfreud0004Dimitrios Kouretas. De Freud à Hippocrate. Article paru dans la « Revue Française de Psychanalyse », (Paris), tome XXII, 1958, pp. 733-736.

Dimtrios Kouretas est un des premiers psychiatre grec à avoir introduit les idées de Freud dans son pays. Il publia plusieurs articles en français. Il fut en étroite relations avec Marie Bonaparte. Quelques publications :
— Sur un cas de névrose à base d’envie du pénis. Revue française de psychanalyse, (Paris), vol. 14, n°4, 1950.
— Psychanalyse et mythologie : la névrose sexuelle des Danaïdes. Revue française de psychanalyse, (Paris), vol. 21, n°4, 1957.
— Trois cas de nécrophilie dans l’Antiquité. 1958.
— Aspects modernes des cures psychothérapiques pratiquées dans les sanctuaires de la Grèce antique. Revue française de psychanalyse, (Paris), n°3-4, 1962,
— La pratique de la thérapie dans le temple d’Amphiaraos. Revue de Médecine Psychosomatique, (Paris), vol. 7, n°1, 1965.
— La mélancolie d’Achille. Evolution psychiatrique, (Paris), 42, n°3, 1977.

[p. 734]

De Freud à Hippocrate (1)

par D. KOURETAS
(d’Athènes)

Parmi les grandes personnalités médicales de tous les temps et de tous les pays, qui, sur plusieurs points, sont comparables à Hippocrate, une place d’honneur revient justement à Sigmund Freud. Ayant dépassé la quatre-vingtième année de la vie (2) et conservé leur vigueur intellectuelle, ils ont été en mesure, le père de la Médecine et le père de la Psychanalyse, de nous laisser par écrit le fruit mûr de leur expérience et de leurs méditations, basées sur un long exercice de l’art de guérir.

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Sigmund Freud

Esprits universels par excellence, ils ont tout vu — chacun dans son domaine respectif et avec les moyens dont il disposait — à tel point qu’on est à peu près certain de trouver dans leur œuvre ce que l’on y cherche. Dans une pénétrante étude sur la genèse des sentiments agressifs (Revue française de Psychanalyse, P.U.F., Paris, 1948, III, 312) le Dr Nacht, président de la Société psychanalytique de Paris, écrit ceci : « Ayant abouti à ces conclusions, il m’était arrivé une aventure banale, comme à beaucoup de psychanalystes : je venais de redécouvrir en toute bonne foi ce que Freud nous avait déjà enseigné. » Cette remarque est tout aussi valable pour ce qui concerne la Collection hippocratique. Le rapprochement peut être poussé encore plus loin, en ce sens que, comme les promoteurs des Écoles médicales post-hippocratiques désignées par les qualificatifs dogmatique, méthodique, pneumatique et empirique ont fait des emprunts à Hippocrate lui-même, après avoir essayé de dissocier la vaste synthèse du maître pour [p. 734] n’en retenir chacun qu’un principe érigé abusivement, par la suite, en doctrine apparemment indépendante, de même les dissidents de la psychanalyse, dite orthodoxe, Alfred Adler et Carl Jung sont plus connus comme tels, comme dissidents, que par ce qu’ils ont apporté de vraiment original et péremptoirement fondamental à la psychologie moderne et à la psychiatrie, ce qui serait facile à prouver, si le temps disponible le permettait.

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Hippocrate

Hippocrate, à propos de l’épilepsie, affirme qu’il n’y a pas de motif pour qualifier une maladie de plus divine que les autres, rejette les interventions supranaturelles et met en garde contre les magies incantatoires dans le traitement des malades. Freud de son côté abandonne la suggestion hypnotique dans le traitement des hystériques, a recours aux associations libres pour retrouver les souvenirs infantiles nocifs, refoulés dans l’inconscient, et devient ainsi le créateur de la méthode et de la doctrine qui portent son nom.

Il nous est loisible d’établir un parallèle encore plus important, si l’on consent à admettre que c’est la psychanalyse qui a fourni les arguments décisifs pour la conception unitaire, psychosomatique de l’homme en état de santé et en état de maladie, conception dont le secrétaire général permanent du mouvement néo-hippocratique, M. le Pr Pierre Delore est le défenseur le plus fervent et, de l’avis unanime, le plus compétent et que c’est Freud qui nous a rappelé que l’homme est, avant tout, un être vivant, un ensemble harmonieux doué d’une âme et qu’il n’était pas une simple machine au rouage compliqué. Nous disons rappelé et non pas enseigné, car Hippocrate avait déjà exprimé l’opinion que celui qui veut pratiquer l’art de guérir doit d’abord apprendre à connaître l’homme. Il avait même ajouté que c’est par la médecine seule qu’on peut acquérir des notions positives sur la nature humaine (3), à condition d’embrasser la médecine même dans sa véritable généralité, c’est-à-dire d’étudier l’homme tout entier dans ses rapports avec les milieux (climatique, social, familial) qui l’entourent. En ce qui concerne ce dernier point, et particulièrement le rôle du milieu familial, il serait oiseux d’insister sur l’apport considérable, unique même, de l’école psychanalytique. Qu’il nous soit seulement permis de signaler, dans ce contexte, que la première observation [p. 735] clinique de malade souffrant d’une maladie psychosomatique est attribuable au maître de Cos qui, âgé alors (4) de 55 ans environ, fut invité, en 437 av. J.-C, à la cour du roi Perdiccas II de Macédoine, qui souffrait d’une mystérieuse maladie consomptive (Soranus, Suidas). Hippocrate l’étudia longuement, le faisant parler, le priant de livrer sans crainte toutes ses pensées, notant tous ses gestes, les expressions de sa physionomie et les faux pas de sa mémoire, fouillant en somme la vie affective de son illustre client. Il découvrit un amour caché, je n’oserais pas dire refoulé (ce qui impliquerait la notion d’un sentiment inconscient), du roi pour Phila, la concubine de son père Alexandre le Philhellène, laquelle dès l’âge de 14 ans était devenue sa favorite et avait 19 ans quand il mourut.

Hippocrate qui « envisageait les questions sexuelles avec le plus grand naturel » (G. Baissette, Hippocrate, éd. Grasset, Paris, 1931, p. 80), déclare enfin qu’il avait trouvé la cause du mal : violente crise chez le roi qui s’insurgea et protesta… mais à la réflexion se rendit à l’évidence et, délivré de son conflit intérieur, guérit, en suivant, bien entendu, les penchants de son cœur.

Dans sa Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique (in Essais de psychanalyse, Payot, p. 266), Freud écrit que « le procédé cathartique de Breuer constituait une phase préliminaire de la psychanalyse ». Or, dans la fameuse définition de la tragédie donnée par Aristote (Poétique, 1449 b, 23-27), la « catharsis des passions » est conçue dans le sens hippocratique et signifie que la tragédie purifie et libère l’âme des sentiments nuisibles de crainte et de pitié, comme un médicament débarrasse le corps de la cacochymie, de ses humeurs nocives (cf. Galien, Medicorum Graecorum Opera, éd. Kühn, Lipsiae, 1829, XVI, 64, 105). La question de la décharge affective, libératrice de l’angoisse, qui se produit aussi bien dans le psychodrame, tel qu’il est pratiqué actuellement, que par l’action de la tragédie classique sur l’âme du spectateur, a été abordée par nous en septembre de l’année dernière en marge d’une communication du LVe Congrès des Aliénistes et Neurologistes de France et des pays de langue française (à Lyon), sous le titre : Les mobiles psychologiques du meurtre des enfants de Médée, d’après Euripide.

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Malien

Dans l’opuscule de la Collection consacré aux Songes on lit que « pendant la veille l’âme ne s’appartient pas, tandis que pendant le sommeil lorsque le corps repose, l’âme, parcourant les parties du corps, [p. 736] gouverne son propre domicile et en règle les fonctions. En effet, le corps dormant ne sent pas ; mais elle, éveillée à la connaissance, voit ce qui se voit, entend ce qui s’entend, marche, touche, s’afflige, se raccorde, accomplissant dans le petit espace où elle est, toutes les fonctions du corps et de l’âme. Aussi, celui qui connaîtrait ces pensées, c’est-à-dire ces rêves et saurait les interpréter, pourrait-il être réputé sage entre les sages».

Dans les grands centres scientifiques du monde occidental, on a célébré, il y a deux ans, le centenaire de la naissance du prince des psychiatres, au sens étymologique du mot (guérisseur de l’âme), qui à l’aube du siècle, écrivit à Vienne, la Science des rêves (Traumdeutung), donnant ainsi pleine satisfaction au desideratum formulé vingt-quatre siècles auparavant par le prince des médecins dans une petite île du Dodécanèse.

NOTES

(1) Communication faite le 5 avril au IVe Congrès international de Médecine néo-hippocratique (Athènes, Cos, 4-12 avril 1958).

(2) Tous les deux sont morts à l’âge de 83 ans.

(3) Intuition géniale, au sujet de laquelle le professeur d’histoire de la philosophie ancienne à l’Université de Vienne, Théodor Gomperz, décédé en 1912, écrit dans son traité sur Les penseurs de la Grèce (Payot, Paris, 1928, vol. I, p. 336 et 340) : « Au XIXe siècle également, c’est par les médecins que nous avons été délivrés d’une philosophie arbitraire… Je pense qu’on ne peut acquérir une connaissance certaine de la nature qu’en prenant comme point de départ la science médicale. »

(4) Cf. K. MITROPOULOS, Hippocrate. Vie et œuvre, Athènes, 1950, p. 23 et 49.

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Dimitrios Kouretas au centre.

 

 

 

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