Délire archaïque (astrologie, envoûtement… magnétisme). J. Lévy-Valensi & Jean Delay. 1934.

LEVYVALENSISPIRITISME0001J. Lévy-Valensi & Jean Delay. Délire archaïque (astrologie, envoûtement… magnétisme). iArticle paru dans les « Annales médico-psychologique », (Paris), XIV série, 92e année, tome 2, 1934, pp. 229-232.

Joseph Lévy-Valensi (1879-1943). Médecin, neuropsychiatre, Professeur à la Faculté de médecine de Paris, historien de la médecine. Interne, entre autres, de Gilbert Ballet puis chez Fulgence Raymond, il fait connaissance chez celui-ci du jeune agrégé Henri Claude. Ilfut aussi chef de clinique de Jules Déjerine à la Salpêtrière. Reçu au concours de l’agrégation en 1929, il aura été pendant treize ans agrégé dans le service du professeur Henri Claude à Sainte-Anne (Paris). En octobre 1939, Lévy-Valensi devient titulaire de la chaire d’Histoire de la Médecine à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris. Quelques publications :

— Les vertiges. Avec 42 figures. Paris, Nobert Maloine, 1926. 1 vol.
— Diagnostic neurologique. Avec 395 figures. Paris, J.-B. Baillière et fils, 1925. 1 vol. – Deuxième édition. Paris, J.-B. Baillière et fils, 1932. 1 vol.
— L’automatisme mental dans les délires systématisés chroniques d’influence et hallucinatoires. Le syndrome de dépossession. Rapport de psychiatrie présenté au Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue française, XXXI-Paris, Masson et Cie, 1927. 1 vol.
— La médecine et les médecins français au XVII° siècle. Avec 51 planches et 86 figures dans le texte. Paris, J.-B. Baillière, 1933. 1 vol. — Deuxième édition avec 123 figures dans le texte. Paris, J.-B. Baillière et fils, 1939. 1 vol. — Troisième édition. Avec figures dans le texte. Paris, J.-B. Baillière et fils, 1948. 1 vol.

LEVYVALENSI0002Jean Delay (1907-1987). Psychiatre, neurologue et écrivain, qui s’est beaucoup intéressé au diable et en particulier à la possession démoniaque, sujet sur lequel il publia plusieurs contributions, soit seul, soit en compagnie de collègues. Nous renvoyons pour sa biographie auprès des nombreux travaux qui lui sont consacrées. Nous avons retenu quelques publications.
— Les dissolutions de la mémoire. Préface du Pr Pierre Janet. Paris, Presses Universitaires de France, 1942. 1 vol. in-8°. Dans la « Bibliothèque de Philosophie Contemporaine ».
— (Avec Robert Volmat  & Marcel Raclot). Pensée magique et joie mystique. Article paru dans la revue « L’Encéphale. Journal des maladies mentales et nerveuses », (Paris), 43, 1954, pp. 481-499.
— (Avec Pierre Denier, Thérèse Lemperrièee et C. Leroy). Démonopathie familiale à induction réciproque. Annales médico-psychologiques, 1954, y 2, pp. 402-405.

— (Avec Pierre Pichot, J.-F. Buisson et R. Sadoun). Étude d’un groupe d’adeptes d’une secte religieuse. Article paru dans la revue « L’Encéphale. Journal des maladies mentales et nerveuses », (Paris), 54, 1965, pp. 138-154. Sur note site historedelafolie.fr

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons rectifié quelques fautes de composition.
 – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 229]

Délire archaïque (astrologie, envoûtement…, magnétisme),

par MM. LÉVY-VALENSI et Jean DELAY.

Les rapports de la mentalité primitive et de la mentalité paranoïde étant à l’ordre du jour, nous avons cru intéressant de présenter cette paranoïde dont le délire a un contenu nettement anachronique et même, selon l’expression de Wahl, archaïque,

Le 28 juin 1934, à huit heures du soir, cette malade se présentait à l’Hôtel-Dieu, demandant à être admise d’urgence. Elle venait, disait-elle, « se mettre sous la protection des docteurs pour échapper à un envoûtement ».

Le terme « envoûtement » est souvent indistinctement appliqué à des procédés quelconques de magnétisme et de sorcellerie. Mais cette malade, initiée à l’ésotérisme, emploie ce mot dans son sens le plus strict, voire le plus orthodoxe. Le mot envoûtement (qui devrait s’écrire envoultement) vient du latin in vultus qui signifie en effigie. Les nécromants affirmaient qu’après avoir fait subir une préparation rituelle à une statuette de cire faite à la ressemblance d’une personne. c’est désormais l’image, le « volt », en termes techniques, qui détient la sensibilité et la vttaltté de son modèle.

Dès lors, tous les maux que l’on veut infliger à la statuette sont ressentis par la personne qu’elle représente.

Cette malade dit être envoûtée par un hindou, magnétiseur de profession, à qui elle a donné imprudemment sa photographie, dans un moment de confiance.

Il a, d’après cette photographie, modelé une statuette de cire exactement à son image et il lui fait ressentir, la nuit de préférence, « des sensations sur lesquelles, nous dit-elle, une honnête femme ne saurait insister ». De plus, par des impositions de mains et des passes magnétiques sur la statue, il détermine des courants fluidiques qui lui parviennent aussitôt dirigés sur l’une ou l’autre partie du corps. La nuit, elle garde en vain une casserole de cuivre sur la tête et cherche à se protéger les parties génitales avec des tampons de soie ou d’ouate, mais les fluides lui parviennent avec une force irrésistible. Quand le magnétiseur, qu’elle croit maintenant être une incarnation diabolique, pique la statue avec une épingle, elle ressent la piqûre de l’épingle. Son sort, nous dit-elle, est lié au sort de la statue de cire, qu’elle se brise ou, comme elle le redoute par ces temps de chaleur, qu’elle se mette à fondre, et c’est sa mort au même instant.

The Limbourg brothers - The Anatomical Zodiac Man, 1412-1416.

The Limbourg brothers – The Anatomical Zodiac Man, 1412-1416.

Fabriquer des images de cire à la ressemblance d’un individu[p. 230] dans le but de lui nuire, c’est bel et bien le crime d’envoûtement — si fréquemment relaté dans les procès de sorcellerie du moyen-âge — et qui était puni de mort. Une de ces histoires médiévales les plus connues est le procès d’Enguerrand de Marigny, garde du Trésor de Louis X, dont la femme fut accusée d’avoir fait fabriquer, par un nécromant de profession, une image de cire à la ressemblance du roi Louis X, afin de procurer par sortilège la délivrance de son mari.

Cette superstition archaïque a sans doute des adeptes de nos jours. En 1893, J.-K. Huysmans et Jules Bois accusaient le sâr Joséphin Peladan et son disciple Stanislas de Guaïta d’avoir fait mourir par envoûtement le célèbre abbé Boullan, prêtre défroqué, grand pontife du Carmel, prestigieusement décrit par Huymans, sous le nom du Dr Johannes, dans son livre Là-Bas.

Outre la croyance à l’envoûtement, la mentalité de cette paranoïde nous paraît intéressante à rapprocher de la mentalité primitive, même imperméabilité à l’expérience sensible, même foi aveugle et exclusive en la seule expérience mystique. Cette expérience mystique entraînant, comme chez les primitifs, une logique spéciale, la Prélogique de Lévy-Bruhl régie par la loi de participation.

Voici brièvement résumés, car son délire est très riche, les points les plus saillants de l’histoire de cette femme :

Donne Alfred Marie François - Somnambulisme et magnétisme animal. Noyon 1838. Figure 2; Jeune fille somnambule avec un bandeau sur les yeux.

Donne Alfred Marie François – Somnambulisme et magnétisme animal. Noyon 1838. Figure 2; Jeune fille somnambule avec un bandeau sur les yeux.

C’est une débile qui a toujours été crédule, suggestible, superstitieuse.

Elle a toujours cru aux pressentiments. Mariée à un alcoolique, irascible et brutal, elle a été très malheureuse, mais elle a devinè qu’elle serait malheureuse d’une façon prématurée ; en sortant de la messe de mariage, elle a entendu une voix qui lui disait : « Maintenant, ta vie est finie. » En réalité, invitée à préciser, elle a reconnu qu’il ne s’agissait pas d’une voix extérieure, mais intérieure : hallucination psychique et non auditive.

Croyance aux seuls procédés empiriques. Atteinte vers 25 ans d’une maladie de Basedow caractérisée avec goitre, exophtalmie légère, tachycardie et tremblement, elle n’a pas voulu consulter de médecin, sachant que c’était « sa douleur qui lui était montée à la gorge ». Elle ne s’est décidée à se faire soigner médicalement que très tard, en 1925, uniquement quand elle a appris qu’elle pouvait être traitée par des « ayons ». La radiothérapie l’a guérie de son basedowisme, mais elle attribue cela à des influences fluidiques mystérieuses.

Elle a, par contre, été consulter un nombre illimité de chiromanciennes, de faiseurs d’horoscopes et de magnétiseurs. L’un la fit coucher sur des papiers secrets, l’autre magnétisa son linge, un autre lui [p. 231] fit frictionner les parties génitales avec de la fleur de mauve. Elle a toujours été merveilleusement comprise par les magnétiseurs qui seuls « comprenaient son corps ». Plusieurs lui ont dit qu’elle ferait un médium remarquable et qu’elle était douée de magnétisme personnel

Magnétisme personnel et croyance aux songes. Elle a cherché à exercer son magnétisme personnel sur son mari, qui était à l’Hôpital de la Pitié, atteint de tuberculose pulmonaire. Elle lui a fait une imposition des mains, puis est allé faire brûler un cierge à I’Eglise. Le lendemain, lui qui, dyspnéique, avait besoin d’oxygène pour respirer, il respirait sans ballon d’oxygène, grâce à un grand ange blanc qui le faisait respirer en mettant sa main au-dessus des poumons. Son mari est cependant mort huit jours plus tard. Elle ne s’en est pas étonnée, car en songe, elle avait vu apparaître, à côté de l’ange, un squelette avec sa faux, et ses songes ne l’ont jamais trompée.

Symbole. Quelque temps après la mort de son mari, elle s’est fait soigner par un dentiste. Il y a là tout un roman érotomaniaque, dont nous ne signalerons qu’un seul fait. Le dentiste n’a jamais dit un mot qui pût faire soupçonner son amour, « car il était très timide », mais elle a connu qu’il l’aimait par la façon dont il lui a présenté le dentier qu’il lui avait confectionné. Ce dentier était présenté « dans un écrin, comme un bijou, comme une bague. C’était un symbole ».

 Astrologie. Cependant, un fluide les attirant l’un vers l’autre de plus en plus violemment, et « méfiante des hommes depuis son pauvre homme de mari », elle décide de faire faire son horoscope.

Elle s’adresse à un « Institut horoscopique spécialisé ». Le premier message lui disait, entre autres prédictions : «  Bien conseillée et dirigée, vous pouvez faire de grandes choses. » Elle fut enthousiasmée et, après avoir pris l’horoscope simple à 25 fr., demande I’horoscope moyen à 50, puis l’horoscope « complet suprême » à 75 fr.

Envoûtement de Eli Tiunine.

Envoûtement de Eli Tiunine.

Elle a appris ces horoscopes par cœur, et les récite d’un ton prophétique, debout, une main dirigée vers le ciel. De tous ces horoscopes, il résulta toujours que, bien dirigée, elle était promise à de hautes destinées et, dès lors, en pleine mégalomanie, elle négligea complètement le dentiste.

« Vous devrez faire confiance aux amitiés qui naîtront pendant ces deux semaines, disait l’horoscope. Il est en effet à croire que les personnes avec lesquelles vous vous lierez de façon intime vous apporteront une aide dans vos affaires futures. » Elle reçut ce message un samedi. Le dimanche, étant allée au marché de Bicêtre, elle entre dans la boutique d’un magnétiseur hindou, qui, « moyennant deux francs, mettait sa science au service de l’humanité ». Sur la foi de l’horoscope, elle lui voue une confiance absolue, sans se douter que c’était le diable en personne. Elle alla chez lui tous les [ours, pour se faire faire des séances d’ « électricité générale », moyennant 10 fr. Peu à peu, naquit entre eux une « amitié affectueuse », car il était né « sous le signe du Verseau, influence de Saturne et vénusienne, et [p. 232] elle était née sous le digne du Lion ». Cependant, ce magnétiseur devance s’absenter, lui demanda une photographie, afin de pouvoir continuer à lui faire du magnétisme à distance. Elle proposa une photographie d’identité, mais il lui exigea une grande photographie, il spécifia même « avec les jambes ». « J’ai eu la faiblesse, dit-elle, de la lui envoyer. »

Envoûtements. Le soir même, à minuit, elle sentit qu’on la tirait par les jambes et elle devina qu’elle était envoûtée. Elle se sentit chaque nuit harcelée de fluides, elle se protégea tant bien que mal, protégeant toutes les places spécialement visées : tampons de soie dans le vagin et l’anus, marmite sur la tête, etc.…

Une nuit, « il » lui fit apparaître tous ses morts, et elle assista à leur résurrection… Il lui envoya des pensées « inavouables », et même, dit-elle, « il m’a fait faire des choses que j’ignorais ». Elle ne veut pas préciser.

Elle s’est demandé les premiers temps si elle était la proie d’un incube, mais non, elle en est maintenant certaine, c’est d’envoûtement qu’il s’agit.

Tel est ce délire qui vraiment mérite, dans son ensemble, d’être appelé archaïque. Croyance aux esprits. Rêves révélateurs. Résurrection des morts, hallucinations, logolâtrie, on retrouve là tous les caractères de la mentalité primitive. Elle présente toutes les incarnations des superstitions à travers le temps, de l’astrologie à l’envoûtement médiéval et au magnétisme mesmérien.

Cette analogie entre mentalité primitive et mentalité paranoïde a été entrevue pour la première fois par Tanzi, à propos de malades atteints de paranoïa hallucinatoire. Comme l’un de nous l’a récemment précisé, il ne s’agit que d’analogie et non d’identité. La mentalité primitive est sociale, la mentalité paranoïde individuelle. Elle est paradoxale, anachronique (Courbon) par rapport à la société où vit le malade.

DISCUSSION

M. Mignot. – les idées d’envoûtements sont très fréquentes au cours des syndromes hallucinatoires chroniques, mais généralement, les sujets jouent le rôle passif : ils sont victimes du sorcier.

J’ai eu l’occasion d’observer une malade paysanne, d’origine du Plateau Central, qui jouait un rôle actif. Elle avait fabriqué de pain et chiffon une poupée à mon effigie et, pour me punir de mes persécutions, elle lardait de coups d’épingle cette poupée au moment de ma visite, avec un véritable acharnement. La haine de cette malade vis-à-vis de son persécuteur atteint un degré à ce point exceptionnel que j’ai dû prendre des précautions particulières.

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