Collin de Plancy. REVENANTS. Dictionnaire infernal article). 3e édition. 1844.

Collin de Plancy. Article REVENANTS du Dictionnaire infernal, ou Répertoire universel des êtres, des personnages, des livres, des faits et des choses qui tiennent aux apparitions, à la magie, au commerce de l’enfer, aux démons, aux sorciers, aux sciences occultes… (3e édition entièrement refondue). Paris, P. Melltier, 1844, pp. 421-426.

Edition publiée après la conversion de l’auteur au catholicisme, qui se situe dans les années 1930. il modifie nombre de ses travaux accomplis dans le passé et remanie totalement son Dictionnaire Infernal pour le mettre en conformité avec les canons de l’Eglise.

Jacques-Albin-Simon Collin de Plancy (1794-1881). auteur de nombreux ouvrages sur l’occulte, l’insolite et le fantastique. Son œuvre la plus importante est son Dictionnaire infernal

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REVENANTS. — On débite, comme une chose assurée, qu’un revenant se trouve toujours froid quand on le louche. Cardan et Alessandro-Alessandri sont des témoins qui l’affirmen ; et Cajetan en donne la raison, qu’il a apprise de la bouche d’un esprit, lequel, interrogé à ce sujet par une sorcière , lui répondit qu’il fallait que la chose fût ainsi. La réponse est satisfaisante. Elle nous apprend au moins que le diable se sauve quelquefois quelque fois par pont aux ânes. — Dom Calmet raconte qu’une jeune tille, nommée Catherine, du pays des Itans, au Pérou, mourut à seize ans, coupable de plusieurs sacrilèges. Son corps, immédiatement, après sa mort, se trouva si infect, qu’il fallut le mettre hors du logis. On entendit en même temps tous les chiens hurler ; un cheval, jusque-là fort doux, commença à ruer, à s’agiter, à frapper des pieds, à rompre ses liens. Un jeune homme couché fut tiré par le bras et jeté hors de son lit ; une servante reçut un coup de pied à l’épaule, sans voir qui le lui donnait ; elle en porta les marques plusieurs semaines. Tout ceci arriva avant que le corps de Catherine [p. 422 – colonne 1] fût inhumé. Après son enterrement, plusieurs habitants du lieu virent quantité de briques et de tuiles renversées avec grand fracas, dans la maison où elle était décédée. La servante fut traînée par le pied sans qu’il parût personne qui la touchât, et cela en présence de sa maîtresse et de dix ou douze autres femmes. La même servante, entrant le lendemain dans une chambre, aperçut la défunte Catherine qui s’élevait sur la pointe du pied, pour saisir un vase de terre posé sur une corniche ; elle était toute en feu, et jetait des flammes par la bouche et par toutes les jointures du corps. Elle lui confessa qu’elle était damnée et pria la servante de jeter par terre et d’éteindre un cierge bénit, qu’elle tenait à la main, disant, qu’il augmentait son mal. La fille se sauva aussitôt ; mais le spectre prit le vase, la poursuivit et le lui jeta avec force. La maîtresse, ayant entendu le coup, accourut, vit la servante toute tremblante, le vase en mille pièces, et reçut pour sa part un coup de brique qui ne lui fit heureusement aucun mal. Le lendemain, une image du crucifix, collée contre le mur, fut tout d’un coup arrachée en présence de tout le monde, et brisée en trois pièces. On reconnut là que l’esprit était réellement damné : on le chassa par des exorcismes…. Mais tous les revenants n’ont pas de tels symptômes. — Un Italien, retournant à Rome après avoir fait enterrer son ami de voyage, s’arrêta le soir dans une hôtellerie où il coucha. Etant seul et bien éveillé, il lui sembla que son ami mort, tout pâle et décharné, lui apparaissait el s’approchait de lui. Il leva la tète pour le regarder et lui demanda en tremblant qui il était. Le mort ne répond rien, se dépouille, se met nu lit et se serre contre le vivant, comme pour se réchauffer. L’autre, ne sachant de quel côté se tourner, s’agite et repousse le défunt. Celui-ci, se voyant ainsi rebuté, regarde de travers son ancien compagnon, se lève du lit, se rhabille, chausse ses souliers et sort de la chambre, sans plus apparaître. — Le vivant a rapporté qu’ayant touché dans le lit un des pieds du mort, il l’avait trouvé plus froid que la glace. — Cette anecdote peut n’être qu’un conte. En voici une autre qui est plus claire. Un aubergiste d’Italie, qui venait de perdre sa mère, étant monté le soir dans la chambré de la défunte, en sortit, hors d’haleine, en criant à tous ceux qui logeaient chez lui que sa mère était revenue et couchée dans son lit ; qu’il l’avait vue, mais qu’il n’avait pas eu le courage de lui parler. — Un ecclésiastique qui se trouvait là voulut y monter ; toute la maison se mit de la partie. On entra [p. 422 – colonne 2] dans la chambre, on tira les rideaux du lit et on aperçut la figure d’une vieille femme, noire et ridée, coiffée d’un bonnet de nuit et qui faisait des grimaces ridicules. On demanda au maître de la maison si c’était bien là sa mère ? « Oui, s’écria t-il, oui, c’est elle ; ah ! ma pauvre mère ! » Les valets la reconnurent de même. Alors le prêtre lui jeta de l’eau bénite sur le visage. L’esprit, se sentant mouillé, sauta à la figure de l’abbé. Tout, le monde prit la fuite en poussant des cris. Mais la coiffure tomba , et on reconnut que la vieille femme n’était qu’un singe. Cet animal avait, vu sa maîtresse se coiffer, il l’avait imitée. — L’auteur de Paris, Versailles et les provinces au dix-huitième siècle , raconte une histoire de revenant assez originale. M. Bodry, fils d’un riche négociant de Lyon, fut envoyé, à l’âge de vingt-deux ans, à Paris, avec des lettres de recommandation de ses parents, pour leur correspondant, dont il n’était pas personnellement connu. Muni d’une somme assez forte pour pouvoir vivre agréablement quelque temps dans la capitale, il s’associa pour ce voyage un de ses amis extrêmement gai. Mais, en arrivant, M. Bodry fut attaqué d’une lièvre violente ; son ami, qui resta auprès de lui la première journée, ne voulait pas le quitter, et se refusait d’autant plus aux instances qu’il lui faisait pour l’engager à se dissiper, que, n’ayant fait ce voyage que par complaisance pour lui, il n’avait aucune connaissance à Paris. M. Bodry l’engagea à se présenter sous son nom chez le correspondant de sa famille, et à lui remettre ses lettres de recommandation, sauf à éclaircir comme ils le pourraient l’imbroglio qui résulterait de cette supposition lorsqu’il se porterait mieux. — Une proposition aussi singulière ne pouvait que plaire au jeune homme ; elle fut acceptée : sous le nom de M. Bodry, il se rend chez le correspondant, lui présente les lettres apportées de Lyon, joue très-bien son rôle, et se voit parfaitement accueilli. — Cependant, de retour au logis, il trouve son ami dans l’état le plus alarmant ; et, nonobstant tous les secours qu’il lui prodigue, il a le malheur de le perdre dans la nuit. Malgré le trouble que lui occasionnait ce cruel événement, il sentit qu’il n’était pas possible de le taire au correspondant de la maison Bodry : mais comment avouer une mauvaise plaisanterie dans une si triste circonstance ? N’ayant plus aucun moyen de la justifier, ne serait-ce pas s’exposer volontairement aux soupçons les plus injurieux, sans avoir, pour les écarter, que sa bonne foi, à laquelle on ne voudrait pas croire ?… Cependant il ne pouvait se dispenser de rester [p. 423 – colonne 1] pour rendre les derniers devoirs à son ami ; et il était impossible de ne pas inviter le correspondant à cette lugubre cérémonie. —Ces différentes réflexions , se mêlant avec le sentiment de la douleur, le tinrent dans la plus grande perplexité ; mais une idée originale vint tout à coup fixer son incertitude. Pâle, défait par les fatigues, accablé de tristesse, il se présente à dix heures du soir chez le correspondant, qu’il trouve au milieu de sa famille, famille, qui, frappé de cette visite à une heure indue, ainsi que du changement de sa figure, lui demande ce qu’il a, s’il lui est arrivé quelque malheur ? — « Hélas ! monsieur, le plus grand de tous, répond le jeune homme, d’un ton solennel ; je suis mort ce matin, et je viens vous prier d’assister à mon enterrement, qui se fera demain. » Profitant de la stupeur de la société, il s’échappe sans que personne fasse un mouvement pour l’arrêter, on veut lui répondre, il a disparu : on décide que le jeune homme est devenu fou, et le correspondant se charge d’aller le lendemain, avec son fils, lui porter les secours qu’exige sa situation. Arrivés en effet à son logement, ils sont troublés d’abord par les préparatifs funéraires ; ils demandent M. Bodry ; on leur répond qu’il est mort la veille et qu’il va être enterré ce matin…. A ces mots, frappés de la plus grande terreur, ils ne doutèrent plus que ce ne fût l’âme du défunt qui leur avait apparu, et revinrent communiquer leur effroi à toute la famille, qui n’a jamais voulu revenir de cette idée. —On a pu lire ce qui suit dans plusieurs journaux : Une superstition incroyable a causé récemment un double suicide dans la commune de Bussy-en-Oth , département de l’Aube. Voici les circonstances de ce singulier et déplorable événement (1841) : — Un jeune homme des environs était, allé à la pèche aux grenouilles, et en avait mis plusieurs toutes vivantes dans un sac. En s’en revenant il aperçoit un paysan qui cheminait à petits pas. Ce bonhomme portait une veste dont la poche était entrebâillée. Le pêcheur trouva plaisant de prendre une de ses grenouilles et de la glisser dans la poche de la veste du paysan. Ce dernier, nommé Joachim Jacquemin, rentre chez lui et se couche, après avoir mis sa veste sur son lit. Au milieu de la nuit, il est réveillé par un corps étranger qu’il sent sur sa figure, et qui s’agitait en poussant de petits cris inarticulés. C’était la grenouille qui avait quitté sa retraite et qui, cherchant sans doute une issue pour se sauver, était arrivée jusque sur le visage du dormeur et s’était mise à coasser. Le paysan n’ose remuer, et bientôt sa visiteuse nocturne disparait. Mais le pauvre homme, [p. 423- colonne 2] dont l’esprit était d’une grande faiblesse, ne doute pas qu’il n’ait eu affaire à un revenant. — Sur ces entrefaites, un de ses amis, voulant lui jouer un tour, vient le prévenir qu’un de ses oncles, qui habite Sens, est mort il y a peu de jours, et il l’engage à se rendre sur les lieux pour recueillir l’héritage. Jacquemin fait faire des vêlements de deuil pour lui et pour sa femme, et se met en route pour le. chef-lieu du département de l’Yonne, distant de son domicile de huit lieues. Il se présente à la maison du défunt ; la première personne qu’il aperçoit en entrant c’est son oncle, tranquillement assis dans un fauteuil, et qui témoigne à son neveu la surprise qu’il éprouve de le voir. Jacquemin saisit le bras de sa femme, et se sauve, en proie à une terreur qu’il ne peut dissimuler et sans donner à son oncle étonné aucune explication. — Cependant la grenouille n’avait pas abandonné la demeure du paysan : elle avait trouvé une retraite dans une fente du plancher, et là elle poussait fréquemment des coassements qui jetaient Jacquemin dans des angoisses épouvantables, surtout depuis qu’il avait vu son oncle. Il était convaincu que c’était l’ombre de ce parent qu’il avait aperçue, et que les cris qu’il entendait étaient poussés par lui, qui revenait la nuit, pour l’enrayer. — Pour conjurer le maléfice, Jacquemin fit faire des conjurations, qui restaient inefficaces ; car les coassements n’en continuaient pas moins. Chaque nuit le malheureux se relevait, prenait sa couverture, qu’il mettait sur sa tète en guise de capuce, et chantait devant un bahut qu’il avait transformé en autel. Les coassements continuaient toujours !… —Enfin, n’y pouvant plus tenir, le pauvre Jacquemin fit part à quelques personnes de l’intention où il était de se donner la mort, et les pria naïvement de l’y aider ; il acheta un collier en fer, se le mit au cou, et un des amis voulut bien serrer la vis pour l’étrangler, mais il s’arrêta quand il crut que la douleur aurait fait renoncer Jacquemin à son projet. Le paysan choisit un autre moyen et pria une autre personne de l’étouffer entre deux matelas ; cette, personne feignit d’y consentir, et s’arrêta quand elle pensa que Jacquemin avait assez souffert et que ce serait pour lui une leçon. Mais l’esprit de Jacquemin était trop vivement impressionné et un malheur était imminent. En effet, un jour, on fut étonné de ne pas l’apercevoir ; on fît des recherches dans la maison, et on le trouva pendu dans son grenier. Le lendemain, sa femme, au désespoir de la perte de son mari, se jeta dans une mare, où elle trouva aussi la mort… — On conte qu’il y avait dans [p. 424 – colonne 1] un village du Poitou, un fermier nommé Hervias. Le valet de cet homme pensa qu’il lui sérait avantageux d’épouser la fille de la maison, qui s’appelait Catherine et qui était riche. Comme il ne possédait rien et que, pour surcroît, la main de la jeune fille était promise à un cousin qu’elle aimait, le valet imagina un stratagème. Un mois avant la noce, comme le fermier se trouvait une certaine nuit plongé dans son meilleur sommeil, il en fut tiré en sursaut par un bruit étrange qui se fit dans sa chambre. Une main agita les rideaux de son lit, et il vit au fond de sa chambre un fantôme couvert d’un drap noir sur une longue robe blanche. Le fantôme tenait une torche à demi éteinte à la main droite et une fourche à la gauche. Il traînait des chaînes ; il avait une tête de cheval lumineuse. Hervias poussa un gémissement, son sang se glaça, et il eut à peine la force de demander au fantôme ce qu’il voulait. « Tu mourras dans trois jours, répondit l’esprit, si tu songes encore au mariage projeté entre ta fille et son jeune cousin ; tu dois la marier, dans ta maison, avec le premier homme que tu verras demain à ton lever…. Garde le silence ; je viendrai la nuit prochaine savoir la réponse. » — En achevant, ces mots le fantôme disparut. Hervias passa la nuit sans dormir. Au point du jour, quelqu’un entra pour lui demander des ordres ; c’était le valet. Le fermier fut consterné de la pensée qu’il fallait lui donner sa fille ; mais il ne témoigna rien, se leva, alla trouver Catherine et finit par lui raconter le tout. Catherine, désolée, ne sut que répondre. Son jeune cousin vint ce jour-là ; elle lui apprit la chose ; mais il ne se troubla point. Il proposa à son futur beau-père de passer la nuit dans sa chambre : Hervias y consentit. Le jeune cousin feignit donc de partir le soir pour la ville, et rentra après la chute du jour dans la ferme. Il resta sur une chaise auprès du lit d’Hervias, et tous deux attendirent patiemment le spectre. — La fenêtre s’ouvrit vers minuit ; comme la veille, on vit paraître le fantôme dans le même accoutrement, il répéta le même ordre. Hervias tremblait ; le jeune cousin, qui ne craignait pas les apparitions, se leva et dit : « Voyons qui nous fait des menaces si précises. En même temps, il sauta sur le spectre qui voulait fuir, il le saisit, et sentant entre ses bras un corps solide, il s’écria : « Ce n’est pas un esprit. » Il jeta le fantôme par la fenêtre, qui était élevée de douze pieds. On entendit un cri plaintif. « Le revenant n’osera plus revenir, dit le jeune cousin ; allons voir s’il se porte bien. » — Le fermier ranima son [p. 424 – colonne 2] courage autant qu’il put, et descendit avec son gendre futur. On trouva que le prétendu démon était le valet de la maison… On n’eut pas besoin de lui donner des soins ; sa chute l’avait assommé, et il mourut au bout de quelques heures : sort fâcheux dans tous les cas. — Dans le château d’Ardivilliers, près de Breteuil, en Picardie, du temps de la jeunesse de Louis XV, un esprit faisait un bruit effroyable ; c’étaient toute la nuit des flammes qui faisaient paraître le château en feu, c’étaient des hurlements épouvantables ; mais cela n’arrivait qu’en certain temps de l’année, vers la Toussaint. Personne n’osait y demeurer que le fermier, avec qui l’esprit était apprivoisé. Si quelque malheureux passant y couchait une nuit, il était si bien étrillé qu’il en portait longtemps les marques. Les paysans d’alentour voyaient mille fantômes qui ajoutaient à l’effroi. Tantôt quelqu’un avait aperçu en l’air une douzaine d’esprits au-dessus du château ; ils étaient tous de feu et dansaient un branle à la paysanne ; un autre avait trouvé, dans une prairie, je ne sais combien de présidents et de conseillers en robe rouge, assis et jugeant à mort un gentilhomme du pays qui avait eu la tête tranchée il y avait bien cent ans. Plusieurs autres avaient vu, ou tout au moins ouï dire, des merveilles du château d’Ardivilliers. — Cette farce dura quatre ou cinq ans, et fit grand tort au maître du château qui était obligé d’affermer sa ferre à très-vil prix. Il résolut enfin de faire cesser la lutinerie, persuadé par beaucoup de circonstances qu’ily avait de l’artifice en tout cela. Il se rend à sa terre vers la Toussaint, couche dans son château, et fait demeurer dans sa chambre deux gentilshommes de ses amis, bien résolus au premier bruit ou à la première apparition de tirer sur les esprits avec de bons pistolets. Les esprits, qui savent tout, surent, apparemment ces préparatifs : pas un ne parut. Ils se contentèrent de traîner des chaînes dans une chambre du haut, au bruit desquelles la femme et les enfants du fermier vinrent au secours de leur seigneur, en se jetant à ses genoux pour l’empêcher de monter dans cette chambre. « Ah ! monseigneur, criaient-ils, qu’est-ce que la force humaine contre des gens de l’autre monde ? Tous ceux qui ont tenté avant vous la même entreprise en sont revenus disloqués. » Ils firent tant d’histoires au maître du château que ses amis ne voulurent pas qu’il s’exposât ; mais ils montèrent tous deux à cette grande et vaste chambre où se faisait le bruit, le pistolet dans une main, la chandelle dans l’autre. — Ils ne virent d’abord qu’une épaisse [p. 525 – colonne 1] fumée, que quelques flammes redoublaient par intervalles. Un instant après, elle s’éclaircit et l’esprit parut confusément au milieu. C’était un grand diable tout noir, qui faisait des gambades, et qu’un autre mélange de flammes et de fumée déroba une seconde fois à la vue. Il avait des cornes, une longue queue. Son aspect épouvantable diminua un peu l’audace de l’un des deux champions : « Il v a là quelque chose de surnaturel, dit-il à son compagnon ; retirons-nous. — Non, non, répondit l’autre ; ce n’est que de la fumée de poudre à canon… et l’esprit ne sait son métier qu’à demi de n’avoir pas encore souillé nos chandelles. » — Il avance à ces mots, poursuit le spectre, lui lâche un coup de pistolet, ne le manque pas ; mais au lieu de tomber, le spectre se retourne et le fixe. Il commence alors à s’effrayer à son tour. Il se rassure toutefois, persuadé que ce ne peut être un esprit ; et, voyant que le spectre évite de l’approcher, il se résout de le saisir, pour voir s’il sera palpable ou s’il fondra entre ses mains. L’esprit, trop pressé, sort de la chambre et s’enfuit, par un petit escalier. Le gentilhomme descend après lui, ne le perd point de vue, traverse cours et jardins, et fait, autant de tours qu’en fait le spectre, tant qu’enfin le fantôme, étant parvenu à une grange qu’il trouve ouverte, se jette dedans et fond contre un mur au moment où le gentilhomme pensait l’arrêter. — Celui-ci appelle du monde ; et dans l’endroit où le spectre s’était évanoui, il découvre une trappe qui se fermait d’un verrou après qu’on y était passé ; il descend, trouve le fantôme sur de bons matelas, qui l’empêchaient de se blesser quand il s’y jetait la tête la première. Il l’en fait sortir, et l’on reconnaît sous le masque du diable le malin fermier, qui avoua toutes ses souplesses et en fut quitte pour payer à son maître les redevances de cinq années sur le pied de ce que la terre était affermée avant les apparitions. Le caractère qui le rendait à l’épreuve du pistolet était une peau de buffle ajustée à tout son corps… — Dans la Guinée, on croit que les âmes des trépassés reviennent sur la terre, et qu’elles prennent dans les maisons les choses dont elles ont besoin ; de sorte que, quand on a fait quelque perte, on en accuse les revenants ; opinion très-favorable aux voleurs. Voy. APPARITIONS, FANTÔMES, SPECTRES, ATHÉNAGORE, RAMBOUILLET, SANCHE , STEINLIN, etc. — L’Esprit de Dourdans, histoire tirée d’un manuscrit de M. Barré. M. Vidi, receveur des tailles de Dourdans, rapporte ainsi une histoire d’esprit arrivée au temps de Pâques de l’année 1700. L’esprit [p. 425- colonne 2] commença par faire du bruit dans une chambre peu éloignée des autres, où M. Vidi mettait ses serviteurs malades ; la servante entendit auprès d’elle pousser des soupirs semblables à ceux d’une personne qui souffre ; cependant elle ne vit rien. Elle tomba malade ; on l’envoya chez son père pour prendre l’air natal : elle y resta un mois. Étant revenue, on la mit coucher à part dans une autre chambre. Elle se plaignit encore d’avoir entendu un bruit extraordinaire, et deux ou trois jours après, étant dans le bûcher, elle se sentit tirer par la jupe. L’après-dînée du même jour, on l’envoya au salut ; lorsqu’elle sortit de l’église, l’esprit la tira si fort par derrière qu’elle dut s’arrêter. En rentrant au logis, elle fut si fort tirée qu’on entendit le craquement de l’étoile, et qu’on remarqua que les basques de son corps par derrière étaient hors de sa jupe ; une agrafe avait même été rompue. Madame Vidi frémit de peur. C’était un vendredi au soir. La nuit du dimanche au lundi, sitôt qu’elle fui couchée, la servante entendit marcher dans sa chambre, et quelque temps après l’esprit lui passa sur le visage une main froide comme pour lui faire des caresses. Elle prit son chapelet. On lui avait dit que si elle continuait à entendre quelque chose, elle conjurât l’esprit, de la part de Dieu, de s’expliquer : ce qu’elle fit mentalement, la peur lui ôtant l’usage de la parole. Elle entendit marmotter à son oreille ; mais rien n’était articulé. — Vers trois heures du matin, l’esprit fit si grand bruit qu’il semblait que la maison tombât. On alla voir ce que c’était : on trouva la servante toute en eau, on la fit habiller ; ses maîtres virent une fumée qui la suivait et qui disparut un moment après. On lui dit qu’il fallait aller à confesse et communier. Elle fut chercher ses chausses, qui étaient dans la ruelle du lit. Elle trouva ses souliers sur la fenêtre, les deux bouts se regardant, et remarqua qu’une des croisées était ouverte. — A son retour de l’église, on lui demanda ce qu’elle avait fait. Elle dit que, sitôt qu’elle s’était mise à la sainte table, elle avait vu sa mère à son côté, quoiqu’il y eût onze ans qu’elle était morte ; qu’après la communion sa mère s’était mise à genoux devant elle et lui avait pris les mains en lui disant : « Ma fille, n’ayez point peur, je suis votre mère. Votre frère fut brûlé par accident près d’Étampes. J’allais trouver M. le curé de Garancières, pour lui demander une pénitence, croyant qu’il y avait de ma faute. Il ne voulut pas m’en donner, disant que je n’étais pas coupable ; il me renvoya à Chartres, au pénitencier, qui, voyant que je m’obstinais à [p. 426 – colonne 1] vouloir une pénitence, m’imposa celle de porter pendant deux ans une ceinture de crin ; ce que je n’ai pu exécuter à cause de mes grossesses et maladies. Ne voulez-vous pas bien, ma fille, accomplir pour moi cette pénitence ? « La fille le lui promit. La mère la chargea ensuite de déjeuner au pain et à l’eau pendant quatre vendredis et samedis qui restaient, jusqu’à l’Ascension prochaine, de faire dire une messe à Gomerville, de payer au nommé Lanier, mercier, vingt-six sous qu’elle lui devait pour du fil qu’il lui avait vendu ; d’aller dans la cave de la maison où elle était morte, qu’elle y trouverait la somme de vingt-sept-livres sous la troisième marche. Elle lui fit beaucoup de remontrances, lui disant surtout de prier toujours la Sainte-Vierge. — Le lendemain, la servante fit dire une messe, et pendant deux jours elle vit sa mère à côté d’elle. Ses maîtres acquittèrent au plus tôt ce dont elle s’était chargée ; ensuite elle alla à Chartres, où elle fit dire trois messes, se confessa et communia dans la chapelle basse. En sortant, sa mère lui apparut encore, en lui disant : « Ma fille, vous voulez donc faire tout ce que je vous ai dit ? — Oui, ma mère. — Eh bien ! je m’en décharge sur vous. Adieu, je vais à la gloire éternelle. » Depuis ce temps, la fille ne vit, n’entendit plus rien. Elle porta la ceinture de crin nuit et jour pendant les deux ans que sa mère lui avait recommandé le faire ; — et voilà comment s’est terminée l’histoire de l’esprit de Dourdans.

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