Collin de Plancy. PHYSIOGNOMONIE. Extrait du « Dictionnaire Infernal ou Répertoire universel des êtres, des personnages, des livres, des faits et des choses… (Paris), 1863, pp. 528-538.

Collin de Plancy. PHYSIOGNOMONIE. Extrait du « Dictionnaire Infernal ou Répertoire universel des êtres, des personnages, des livres, des faits et des choses qui tiennent aux apparitions, aux divinations, à la magie, au commerce de l’enfer, aux démons, aux sorciers, aux sciences occultes, aux grimoire merveilleuses, etc.. », (Paris), 1863, pp. 528-538.

 

Edition publiée après la conversion de l’auteur au catholicisme, qui se situe dans les années 1930. il modifie nombre de ses travaux accomplis dans le passé et remanie totalement son Dictionnaire Infernal pour le mettre en conformité avec les canons de l’Eglise.

Jacques-Albin-Simon Collin de Plancy (1794-1881). auteur de nombreux ouvrages sur l’occulte, l’insolite et le fantastique. Son œuvre la plus importante est son Dictionnaire infernal.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. –  Sauf le portrait en début d’article, les  images sont celles de l’article original. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

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Physiognomonie, art de juger les hommes par les traits du visage, ou talent de connaître l’intérieur de l’homme par son extérieur.

Cette science a eu plus d’ennemis que de partisans ; elle ne paraît pourtant ridicule que quand on veut la pousser trop loin. Tous les visages, toutes les formes, tous les êtres créés diffèrent entre eux, non-seulement dans leurs classes, dans leurs genres, dans leurs espèces, mais aussi dans leur individualité. Pourquoi cette diversité de formes ne serait-elle pas la Conséquence de la diversité des caractères, ou pourquoi la diversité des caractères ne serait-elle pas liée, à cette diversité de forme ? Chaque passion, chaque sens, chaque qualité prend sa place dans le corps de tout être créé ; la colère enfle les muscles : les muselés enflés sont donc un signe de colère ?… Des yeux pleins de feu, un regard aussi prompt que l’éclair et un esprit vif et pénétrant se retrouvent cent fois ensemble. Un œil ouvert et serein se rencontre mille fois avec un cœur franc et honnête. Pourquoi ne pas chercher à connaître les hommes par leur physionomie ? On juge tous, les jours le ciel sur sa physionomie. On marchand apprécie ce qu’il achète par son extérieur, par sa physionomie… Tels sont les raisonnements des physionomistes pour prouver la sûreté de leur science. Il est vrai, ajoutent-ils, qu’on peut quelquefois s’y tromper ; mais une exception ne doit pas nuire aux règles.

J’ai vu, dit Lavater, un criminel condamné à la roue pour avoir assassiné son bienfaiteur, et ce monstre avait le visage ouvert et gracieux comme l’ange du Guide. Il ne serait pas impossible de trouver aux galères des têtes de Régulus et des physionomies de vestales dans une maison de force. Cependant le physionomiste habile distinguera les traits, souvent presque imperceptibles, qui annoncent le vice et la dégradation.

Quoi qu’il en soit de la physiognomonie, en voici les principes, tantôt raisonnables, tantôt forcés : le lecteur saura choisir.

La beauté morale est ordinairement en harmonie avec la beauté physique. (Socrate et mille et mille autres prouvent le contraire.) Beaucoup de personnes gagnent à mesure qu’on apprend à les connaître, quoiqu’elles vous aient déplu au premier aspect. Il faut qu’il y ait entre elles et vous quelque point de dissonance, puisque, du premier abord, ce qui devait vous rapprocher ne vous a point frappé. Il faut aussi qu’il y ait entre vous quelque rapport secret, puisque plus vous vous voyez, plus vous vous convenez. Cependant [p. 529, colonne 1] faites attention au premier mouvement d’instinct que vous inspire une nouvelle liaison. Tout homme dont la figure, dont la bouche, dont la démarche, dont l’écriture est de travers, aura dans sa façon de penser, dans son caractère, dans ses procédés, du louche, de l’inconséquence, de la partialité, du sophistique, de la fausseté, de la ruse, du caprice, des contradictions, de la fourberie, une imbécillité dure et froide. Voy. MIMIQUE, ÉCRITURE, etc.

La tête est la plus noble partie du corps humain, le siège de l’esprit et des facultés intellectuelles. (Le docteur Van Helmont plaçait les facultés intellectuelles dans d’estomac.) Une tête qui est en proportion avec le reste du corps, qui paraît telle au premier abord, qui n’est ni trop grande ni trop petite, annoncé un caractère d’esprit plus parfait qu’on n’en oserait attendre d’une tête disproportionnée. Trop volumineuse, elle indique presque toujours la grossièreté ; trop petite, elle est un signe de faiblesse. Quelque proportionnée que soit la tête au corps, il faut encore qu’elle ne soit ni trop arrondie ni trop allongée :

plus elle est régulière, et plus elle est parfaite. On peut appeler bien organisée celle dont la hauteur perpendiculaire, prise depuis l’extrémité de l’occiput jusqu’à la pointe du nez, est égale à sa largeur horizontale. Une tête trop longue annonce un homme de peu de sens, vain, curieux, envieux et crédule. La tête penchée vers la terre est la marque d’un homme sage, constant dans ses entreprises. Une tête qui tourne de tous côtés annonce la présomption, la médiocrité, le mensonge, un esprit pervers, léger, et un jugement faible.

On peut diviser le visage en trois parties, dont la première s’étend depuis le front jusqu’aux sourcils ; la seconde depuis les sourcils jusqu’au bas du nez ; la troisième depuis le bas du nez [p. 529, colonne 2] jusqu’à l’extrémité de l’os du menton. Plus ces trois étages sont symétriques, plus on peut compter sur la justesse de l’esprit et sur la régularité du caractère en général. Quand il s’agit d’un visage dont d’organisation est extrêmement forte ou extrêmement délicate, le caractère peut être apprécié plus facilement par le profil que parla face. Sans compter que le profil se prête moins à la dissimulation, il offre des lignes plus vigoureusement prononcées, plus précises, plus simples, plus pures ; par conséquent la signification en est aisée à saisir ; au lieu que souvent les lignes de la face en plein sont assez difficiles à démêler.

Un beau profil suppose toujours l’analogie d’un caractère distingué. Mais on trouve mille profils qui, sans être beaux, peuvent admettre la supériorité du caractère. Un visage charnu annonce une personne timide, enjouée, crédule et présomptueuse. Un homme laborieux a souvent le visage maigre, Un visage qui sue à la moindre agitation annonce un tempérament chaud, un esprit vain et grossier, un penchant à la gourmandise.

Les cheveux offrent des indices multipliés du tempérament de l’homme, de son énergie, de sa façon de sentir, et aussi de ses facultés spirituelles. Ils n’admettent pas la moindre dissimulation ; ils répondent à notre constitution physique, comme les plantes et les fruits répondent au terroir qui les produit. Je suis sûr, dit Lavater, que par l’élasticité des cheveux on pourrait juger de l’élasticité du caractère. Les cheveux longs, plats, disgracieux n’annoncent rien que d’ordinaire.

Les chevelures d’un jaune doré, ou d’un blond tirant sur le brun, qui reluisent doucement, qui se roulent facilement et agréablement, sont les chevelures nobles (en Suisse, patrie de Lavater).

Des cheveux noirs, plats, épais et gros dénotent peu d’esprit, mais de l’assiduité et de l’amour de l’ordre. Les cheveux blonds annoncent généralement un tempérament délicat, sanguin-flegmatique. Les cheveux roux caractérisent, dit-on, un homme souverainement bon, ou souverainement méchant. Les cheveux fins marquent la timidité ; rudes, ils annoncent le [p. 530, colonne 1] courage (Napoléon les avait fins, dit-on) : ce signe caractéristique est du nombre de ceux qui sont communs à l’homme et aux animaux. Parmi les quadrupèdes, le cerf, le lièvre, la brebis, qui sont au rang des plus timides, se distinguent particulièrement des autres par la douceur de leur poil, tandis que la rudesse de celui du lion et du sanglier répond au courage qui fait leur caractère.

Mais que dire du chat et du tigre, qui ont le poil fin ?

En appliquant ces remarques à l’espèce humaine, les habitants du Nord sont ordinairement très-courageux, et ils ont la chevelure rude ; les Orientaux sont beaucoup plus timides, et leurs cheveux sont plus doux.

Les cheveux crépus marquent un homme de dure conception. Ceux qui ont beaucoup de cheveux sur les tempes et sur le front sont grossiers et orgueilleux. Alexandre Dumas est crépu.

Une barbe fournie et bien rangée annonce un homme d’un bon naturel et d’un tempérament raisonnable. Celui qui a la barbe claire et mal disposée tient plus du naturel et des inclinations de la femme que de celles de l’homme. Si la couleur de la barbe diffère de celle des cheveux, elle n’annonce rien de bon. De même, un contraste frappant entre la couleur de la chevelure et la couleur des sourcils peut inspirer quelque défiance…

Le front, de toutes les parties du visage, est la plus importante et la plus caractéristique. Les fronts, vus de profil, peuvent se réduire à trois classes générales. Ils sont ou penchés en arrière, ou perpendiculaires, ou proéminents. Les fronts penchés en arrière indiquent en général de [p. 530, colonne 2] l’imagination, de l’esprit et de la délicatesse. Une perpendicularité complète, depuis les cheveux jusqu’aux sourcils, est le signe d’un manque total d’esprit. Une forme perpendiculaire, qui se

voûte insensiblement par le haut, annonce un esprit capable de beaucoup de réflexion, un penseur rassis et profond. Les fronts proéminents appartiennent à des esprits faibles et bornés et qui ne parviendront jamais à une certaine maturité. Plus le front est allongé, plus l’esprit est dépourvu d’énergie et manque de ressort. Plus il est serré, court et compacte, plus le caractère est concentré, ferme et solide… Pour

qu’un front soit heureux, parfaitement beau et d’une expression qui annonce à la fois la richesse du jugement et la noblesse du caractère, il doit se trouver, dans la plus exacte proportion avec le [p. 531, colonne 1] reste du visage. Exempt de toute espèce d’inégalités et de rides permanentes, il doit pourtant en être susceptible. Mais alors il ne se plissera que dans les moments d’une méditation sérieuse, dans un mouvement de douleur ou d’indignation. Il doit reculer parle haut. La couleur de la peau doit en être plus claire que celle des autres parties du visage.

Si l’os de l’œil est un peu saillant, c’est le signe d’une aptitude singulière aux travaux de l’esprit, d’une sagacité extraordinaire pour les grandes entreprises. Mais sans cet angle saillant, il y a des têtes excellentes, qui n’en ont que plus de solidité lorsque le bas du front s’affaisse, Comme un mur perpendiculaire, sur des sourcils placés horizontalement, et qu’il s’arrondit et se voûte imperceptiblement, des deux côtés, vers les tempes. Les fronts courts, ridés, noueux, irréguliers, enfoncés d’un côté, échancrés, ou qui se plissent toujours différemment, ne sont pas une bonne recommandation, et ne doivent pas inspirer beaucoup de confiance. Les fronts carrés, dont les marges latérales sont encore assez spacieuses, et dont l’os de l’œil est en même temps-bien solide, supposent un grand fond de sagesse et de courage. Toits les physionomistes s’accordent sur ce point. Un front très-osseux et garni de beaucoup de peau annonce un naturel acariâtre et querelleur. Un front élevé, avec un visage long et pointu vers le menton, est un signe de faiblesse. Des fronts allongés, avec une peau fortement tendue et très-unie, sur lesquels on n’aperçoit, même à l’occasion d’une joie peu commune, aucun pli doucement animé, sont toujours l’indice d’un caractère froid, soupçonneux, caustique, opiniâtre, fâcheux, rempli de prétentions, rampant et vindicatif. Un front qui, du haut, penche en avant et s’enfonce vers l’œil est, dans un homme fait, l’indice d’une imbécillité sans ressource. Voy. MÉTOPOSCOPIE.

Au-dessous du front commence sa belle frontière, le sourcil, arc-en-ciel de paix dans sa douceur, arc tendu de la discorde lorsqu’il exprime le courroux. Des sourcils doucement arqués s’accordent avec la modestie et la simplicité. Placés en ligne droite et horizontalement, ils se rapportent à un caractère mâle et vigoureux. Lorsque leur forme est moitié horizontale et moitié courbée, la force de l’esprit se trouve réunie à une bonté ingénue.

Des sourcils rudes et en désordre sont toujours le signe d’une vivacité intraitable ; mais cette même confusion annonce un feu modéré, si le poil est fin. Lorsqu’ils sont épais et compactes, que les poils sont coupés parallèlement, et pour ainsi dire tirés au cordeau, ils promettent un jugement mûr et solide, un sens droit et rassis.

Des sourcils qui se joignent passaient pour un trait de beauté chez les Arabes, tandis que les [p. 531, colonne 2] anciens physionomistes y attachaient l’idée d’un caractère sournois. La première de ces deux opinions est fausse, la seconde exagérée, car on trouve souvent ces sortes de sourcils aux physionomies les plus honnêtes et les plus aimables. Les sourcils minces sont une marque infaillible de flegme et de faiblesse ; ils diminuent la force et la vivacité du caractère dans un homme énergique. Anguleux et entrecoupés, les sourcils dénotent l’activité d’un esprit productif. Plus les sourcils s’approchent des yeux, plus le caractère est sérieux, profond et solide. Une grande distance de l’un à l’autre annonce une âme Calme et tranquille. Le mouvement des sourcils est d’une expression infinie ; il sert principalement à marquer les passions ignobles, l’orgueil, la colère, le dédain. Un homme sourcilleux est un être méprisant et souventes fois méprisable.

C’est surtout dans les yeux, dit Buffon, que se peignent les images de nos secrètes agitations, et qu’on peut les reconnaître. L’œil appartient à l’âme plus qu’aucun autre organe ; il semble y toucher et participer à tous ses mouvements ; il en exprime les passions les plus vives et les émotions les plus tumultueuses, comme les sentiments les plus délicats. Il les rend dans toute leur force, dans toute leur pureté, tels qu’ils viennent de naître ; il les transmet par des traits rapides. Les yeux bleus annoncent plus de faiblesse que les yeux bruns ou noirs. Ce n’est pas qu’il n’y ait des gens très-énergiques avec des yeux bleus ; mais, sur la totalité, les yeux bruns sont l’indice plus ordinaire d’un esprit mâle ; tout comme le génie, proprement dit, s’associe presque toujours des yeux d’un jaune tirant sur le brun. Les gens colères ont des yeux de différentes couleurs, rarement bleus, plus souvent bruns ou verdâtres. Les yeux de cette dernière nuance sont en quelque sorte un signe distinctif de vivacité et de courage. On ne voit presque jamais des yeux bleu clair à des personnes colères. Des yeux qui forment un angle allongé, aigu et pointu vers le nez, appartiennent à des personnes ou très-judicieuses ou très-fines. Lorsque la paupière d’en haut décrit un plein cintre, c’est la marque d’un bon naturel et de beaucoup de délicatesse, quelquefois aussi d’un caractère timide. Quand la paupière se dessine presque horizontalement sur l’œil et coupe diamétralement la prunelle, elle annonce souvent un homme très-adroit, très-rusé ; mais il n’est pas dit pour cela que cette forme de l’œil détruise la droiture du cœur. Des yeux très-grands, d’un bleu fort clair, et vus de profil presque transparents, annoncent toujours une conception facile, étendue, mais en même temps un caractère extrêmement sensible, difficile à manier, soupçonneux, jaloux, susceptible de prévention. De petits yeux noirs, étincelants, sous des sourcils noirs et touffus, qui paraissent s’enfoncer lorsqu’ils sourient malignement, [p. 532, colonne 1] annoncent de la ruse, des aperçus profonds, un esprit d’intrigue et de chicane. Si de pareils yeux ne sont pas accompagnés d’une bouche moqueuse, ils désignent un esprit froid et pénétrant, beaucoup de goût, de l’élégance, de la précision, plus de penchant à l’avarice qu’à la générosité. Des yeux grands, ouverts, d’une clarté transparente, et dont le feu brille avec une mobilité rapide dans les paupières parallèles, peu larges et fortement dessinées, réunissent ces caractères : une pénétration vive, de l’élégance et du goût, un tempérament colère, de l’Orgueil.

Des yeux qui laissent voir la prunelle entière, et sous la prunelle encore plus ou moins de blanc, sont dans un état de tension, qui n’est pas naturel, ou n’appartiennent qu’à des hommes inquiets, passionnés, à moitié fous, jamais à des hommes d’un jugement sain, mûr, précis, et qui méritent confiance. Certains yeux sont très-ou-verts, très-luisants, avec des physionomies fades ; ils annoncent de l’entêtement, de la bêtise unie à des prétentions.

Les gens soupçonneux, emportés, violents, ont souvent les yeux enfoncés dans la tête et la vue longue et étendue. Le fou, l’étourdi, ont

Olivier le Daim

souvent les yeux hors de la tête. Le fourbe a, en parlant, les paupières penchées et le regard en [p.532, colonne 2] dessous. Les gens fins et rusés ont coutume de tenir un œil et quelquefois les deux yeux à demi fermés. C’est un signe de faiblesse. En effet, on voit bien rarement un homme bien énergique qui soit rusé : notre méfiance envers les autres naît du peu de confiance que nous avons en nous.

Les anciens avaient raison d’appeler le nez honestamentum facici. Un beau nez ne s’associe jamais avec un, visage difforme. On peut être laid et avoir de beaux yeux ; mais un nez régulier exige nécessairement une heureuse analogie des autres traits : aussi voit-on mille beaux yeux contre un seul nez parfait en beauté, et là où il se trouve, il suppose toujours un caractère distingué : Non cuiquam datum est habere nasum.

Voici, d’après les physionomistes, ce qu’il faut pour la conformation d’un nez parfaitement beau : sa longueur doit être égale à celle du front ; il doit y avoir une légère cavité auprès de sa racine. Vue par-devant, l’épine du nez doit être large et presque parallèle des deux côtés ; mais il faut que cette largeur soit un peu, plus sensible vers le milieu. Le bout ou la pomme du nez ne sera-ni dure ni charnue. De face, il faut que les ailes du nez se présentent distinctement et que les narines se raccourcissent agréablement au-dessous. Dans le profil, le bas du nez n’aura d’étendue qu’un tiers de sa hauteur. Vers le haut, il joindra de près l’arc de l’os de l’œil, et sa largeur, du côté de l’œil, doit être au moins d’un demi-pouce. Un nez qui rassemble toutes ces perfections exprime tout ce qui peut s’exprimer. Cependant nombre de gens du plus grand mérite ont le nez difforme ; mais il faut différencier aussi l’espèce de mérite qui les distingue. Un petit nez, échancré en profil, n’empêche pas d’être honnête et judicieux, mais ne donne point le génie. Des nez qui se courbent au haut de la racine conviennent à des caractères impérieux, appelés à commander, à opérer de grandes choses, fermes dans leurs projets et ardents à les poursuivre. Les nez perpendiculaires (c’est-à-dire qui approchent de cette forme, car, dans toutes ses productions, la nature abhorre les lignes complètement droites), tiennent le milieu entre les nez échancrés et les nez arqués ; ils supposent une âme qui sait agir et souffrir tranquillement et avec énergie. Un nez dont l’épine est large, n’importe qu’il soit droit ou courbé, annonce toujours des facultés supérieures. Mais cette forme est très-rare. La narine petite est le signe certain d’un esprit timide, incapable de hasarder la moindre entreprise. Lorsque les ailes du nez sont bien dégagées, bien mobiles, elles dénotent-une grande délicatesse de sentiment, qui peut dégénérer en sensualité. Où vous ne trouverez pas une petite inclinaison, une espèce d’enfoncement dans le passage du front au nez, à moins que le nez ne soit fortement recourbé, n’espérez pas découvrir le moindre caractère de [p. 533, colonne 1] grandeur. Les hommes dont le nez penche extrêmement vers la bouche ne sont jamais ni vraiment bons, ni vraiment gais, ni grands, ni nobles : leur pensée s’attache toujours aux choses de la terre ; ils sont réservés, froids, insensibles, peu communicatifs ; ils ont ordinairement l’esprit malin ; ils sont hypocondres ou mélancoliques. Les peuples tartares ont généralement le nez plat et enfoncé ; les nègres d’Afrique l’ont camard ; les Juifs, pour la plupart, aquilin ; les Anglais, cartilagineux, et rarement pointu. S’il faut en juger par les tableaux et les portraits, les beaux nez ne sont pas communs parmi les Hollandais. Chez les Italiens, au contraire, ce trait est distinctif. Enfin, il est absolument caractéristique pour les hommes célèbres de la France et de la Belgique.

Des joues charnues indiquent l’humidité du tempérament. Maigres et rétrécies, elles annoncent la sécheresse des humeurs. Le chagrin les creuse ; la rudesse et la bêtise leur impriment des sillons grossiers ; la sagesse, l’expérience et la finesse d’esprit les entrecoupent de traces légères et doucement ondulées. Certains enfoncements, plus ou moins triangulaires, qui se remarquent quelquefois dans les joues, sont le signe infaillible de l’envie ou de la jalousie. Une joue naturellement gracieuse, agitée par un doux tressaillement qui la relève vers les yeux, est le garant d’un cœur sensible. Si, sur la joue qui sourit, on voit se former trois lignes parallèles et circulaires, comptez dans ce caractère sur un fond de folie.

L’oreille, aussi bien que les autres parties du corps humain, a sa signification déterminée ; elle n’admet pas le moindre déguisement ; elle a ses convenances et une analogie particulière avec l’individu auquel elle appartient. Quand le bout de l’oreille est dégagé, c’est un bon augure pour les facultés intellectuelles. Les oreilles larges et dépliées annoncent l’effronterie, la vanité, la faiblesse du jugement ; Les oreilles grandes et grosses marquent un homme simple, grossier, stupide. Les oreilles petites dénotent la timidité. Les oreilles trop repliées et entourées d’un bourrelet mal dessiné n’annoncent rien de bon quant à l’esprit et aux talents.

Une oreille moyenne, d’un contour bien arrondi, ni trop épaisse, ni excessivement mince,

ne se trouve guère que chez des personnes spirituelles, judicieuses, sages et distinguées.

La bouche est l’interprète de l’esprit et du cœur ; elle réunit, dans son état de repos et dans la variété infinie de ses mouvements, un monde de caractères. Elle est éloquente jusque dans son silence. On remarque un parfait rapport entre les lèvres et le naturel. Qu’elles soient fermes, qu’elles soient molles et mobiles, le caractère est toujours d’une trempe analogue. De grosses lèvres bien prononcées et bien proportionnées, qui présentent des deux côtés la ligne du milieu également, bien serpentée et facile à reproduire au dessin, de telles lèvres sont incompatibles avec la bassesse, elles répugnent aussi a la fausseté et à la méchanceté. La lèvre supérieure caractérise le goût. L’orgueil et la colère la courbent ; la finesse l’aiguise ; la bonté [p. 534, colonne 1] l’arrondit ; le libertinage l’énerve et la flétrit. L’usage de la lèvre inférieure est de lui servir de support.

Une bouche resserrée, dont la fente court en ligne droite, et où le bord des lèvres ne paraît pas, est l’indice certain du sang-froid, d’un esprit appliqué, de l’exactitude et de la propreté, mais aussi de la sécheresse de cœur. Si elle remonte en même temps aux deux extrémités, elle suppose un fond d’affectation et de vanité. Des lèvres rognées inclinent à la timidité et à l’avarice. Une lèvre de dessus qui déborde un peu est la marque distinctive de la bonté ; non qu’on puisse refuser absolument cette qualité à la lèvre d’en bas qui avance ; mais, dans ce cas, on doit s’attendre plutôt à une froide et sincère bonhomie qu’au sentiment d’une vive tendresse. Une lèvre inférieure qui se creuse au milieu n’appartient qu’aux esprits enjoués. Regardez attentivement un homme gai dans le moment où il va produire une saillie, le centre de sa lèvre ne manquera jamais de se baisser et de se creuser un peu.

Une bouche bien close, si toutefois elle n’est pas affectée et pointue, annonce le courage ; et dans les occasions où il s’agit d’en faire preuve, les personnes mêmes qui ont l’habitude de tenir la bouche ouverte la ferment ordinairement. Une bouche béante est plaintive ; une bouche fermée souffre avec patience, dit le Brun, dans son Traité des passions, et c’est la partie qui, de tout le visage, marque le plus particulièrement les mouvements du cœur. Lorsqu’il se plaint, la bouche s’abaisse par les côtés ; lorsqu’il est content, les coins de la bouche s’élèvent en haut ; lorsqu’il a de l’aversion, la bouche se pousse en avant et s’élève par le milieu. Toute bouche qui a deux fois la largeur de l’œil est la bouche d’un sot ; j’entends la largeur de l’œil prise de son extrémité vers le nez jusqu’au bout intérieur de son orbite, les deux largeurs mesurées sur le même plan. Si la lèvre inférieure, avec les dénis, dépasse horizontalement la moitié de la largeur de la bouche vue de profil, comptez, suivant l’indication des autres nuances de physionomie, sur un de ces quatre caractères isolés, ou sur tous les quatre réunis, bêtise, rudesse, avarice, malignité. De trop grandes lèvres, quoique bien proportionnées, annoncent toujours un homme peu délicat, sordide ou sensuel, quelquefois même un homme stupide ou méchant.

Une bouche, pour ainsi dire, sans lèvres, dont la ligne du milieu est fortement tracée, qui se retire vers Je haut, aux deux extrémités, et dont la lèvre supérieure, vue de profil depuis le nez, paraît arquée ; une pareille bouche ne se voit guère qu’à des avares rusés, actifs, industrieux, froids, durs, flatteurs et polis, mais atterrants dans leurs refus. Une petite bouche, étroite, sous de petites narines, et un front elliptique, [p. 534,colonne 2] est toujours peureuse, timide à l’excès, d’une vanité puérile, et s’énonce avec difficulté. S’il se joint à cette bouche de grands yeux saillants,

troubles, un menton osseux, oblong, et surtout si la bouche se tient habituellement ouverte,

soyez encore plus sur de l’imbécillité d’une pareille tête.

Les dents petites et courtes sont regardées, par les anciens physionomistes, comme le signe [p. 535, colonne 1] d’une constitution faible. De longues dents sont un indicé de timidité. Les dents blanches, propres et bien rangées, qui, au moment où la bouche s’ouvre, paraissent s’avancer sans déborder, et

qui ne se montrent pas toujours entièrement à découvert, annoncent dans l’homme fait un esprit doux et poli, un cœur bon et honnête. Ce n’est pas qu’on ne puisse avoir un caractère très-estimable avec des dents gâtées, laides ou inégales ; mais ce dérangement, physique provient, la plupart du temps, de maladie ou de quelque mélange d’imperfection morale. Celui qui a les dents inégales est envieux. Les dents grosses, larges et fortes sont la marque d’un tempérament fort, et promettent une longue vie, si l’on en croit Aristote.

Pour être en belle proportion, dit Herder, le menton ne doit être ni pointu, ni creux, mais uni. Un menton avancé annonce toujours quelque

chose de positif, au lieu que la signification du menton reculé est toujours négative. Souvent le caractère de l’énergie ou de la non-énergie de l’individu se manifeste uniquement par le menton. Il y a trois principales sortes de mentons : les mentons qui reculent, ceux qui, dans le profil, sont en perpendicularité avec la lèvre inférieure, et ceux qui débordent la lèvre d’en bas, ou, en d’autres termes, les mentons pointus. Le menton reculé, qu’on pourrait appeler hardiment le menton féminin, puisqu’on le retrouve presque à toutes les personnes de l’autre sexe, fait toujours [p. 535,colonne 2] soupçonner quelque côté faible. Les mentons de la seconde classe inspirent la confiance. Ceux de la troisième dénotent un esprit actif et délié, pourvu qu’ils ne fassent pas anse, car cette forme exagérée-conduit ordinairement à la pusillanimité et à l’avarice. Une forte incision au milieu du menton semble indiquer un homme judicieux, rassis et résolu, à moins que ce trait ne soit démenti par d’autres traits contradictoires. Un menton pointu passe ordinairement pour le signe de la ruse. Cependant on trouve cette forme chez les personnes les plus honnêtes ;la ruse n’est alors qu’une bonté raffinée.

Cet entre-deux de la tête et de la poitrine, qui tient-de l’une et de l’autre, est significatif comme tout ce qui a rapport à l’homme. Nous connaissons certaines espèces de goitres qui sont le signe infaillible de la stupidité, tandis qu’un cou bien proportionné est une recommandation irrécusable pour la solidité du caractère. Le cou long et la tête haute sont quelquefois le signe de l’orgueil et de la, vanité,. Un cou raisonnablement épais et

un peu court ne s’associe guère à la tête d’un fat ou d’un sot. Ceux qui ont le cou mince, délicat et allongé sont timides comme le cerf, au sentiment d’Aristote, et ceux qui ont le cou épais et court ont de l’analogie avec le taureau irrité. Mais les analogies sont fausses pour la plupart, dit [p. 536, colonne 1]  Lavater, et jetées sur le papier sans que l’esprit d’observation les ait dictées.

Il y a autant de diversité et de dissemblance entre les formes des mains qu’il y en a entre les physionomies. Deux visages parfaitement ressemblants n’existent nulle part ; de même vous ne rencontrerez pas chez deux personnes différentes deux mains qui se ressemblent.

Chaque main, dans son état naturel, c’est-à-dire abstraction faite des accidents extraordinaires, se trouve en parfaite analogie avec les corps dont elle fait partie. Les os, les nerfs, les muscles, le sang et la peau de la main ne sont que la continuation des os, des nerfs, des muscles, du sang et de la peau du reste du corps. Le même sang circule dans le cœur, dans la tête et dans la main. La main contribue donc, pour sa part, à faire connaître le caractère de l’individu ; elle est, aussi bien que les autres membres du corps, un objet de physiognomonie, objet d’autant plus significatif et d’autant plus frappant, que la main ne peut pas dissimuler, et que sa mobilité la trahit à chaque instant. Sa position la plus tranquille indique nos dispositions naturelles ; ses flexions, nos actions et nos passions. Dans tous ses mouvements, elle suit l’impulsion que lui donne le reste du corps. Voy. MAIN.

Tout le monde sait que des épaules larges, qui descendent insensiblement et qui ne remontent pas en pointe sont un signe de santé et de force. Des épaules de travers influent ordinairement aussi sur la délicatesse de la complexion ; mais on dirait qu’elles favorisent la finesse et l’activité de l’esprit, l’amour de l’exactitude et de l’ordre. Une poitrine large et carrée, ni trop convexe, ni trop concave, suppose toujours des épaules bien constituées et fournit les mêmes indices. Une poitrine plate, et pour ainsi dire creuse, dénote la faiblesse du tempérament. Un ventre gros et proéminent incline bien plus à la sensualité et à la paresse qu’un ventre plat et rétréci.

On doit attendre plus d’énergie et d’activité, plus de flexibilité d’esprit et de finesse, d’un tempérament sec que d’un corps surchargé d’embonpoint. Il se trouve cependant des gens d’une taille effilée qui sont excessivement lents et paresseux ; mais alors le caractère de leur indolence reparaît dans le bas du visage. Les gens d’un mérite supérieur ont ordinairement les cuisses maigres. Les pieds plats s’associent rarement avec le génie.

Quoiqu’il n’y ait aucune ressemblance proprement dite entre l’homme et les animaux, selon la remarque d’Aristote, il peut arriver néanmoins que certains traits du visage humain nous rappellent l’idée de quelque animal.

Porta a été plus loin, puisqu’il a trouvé dans chaque figure humaine la figure d’un animal ou d’un oiseau, et qu’il juge les hommes par le naturel de l’animal dont ils simulent un peu les traits. [p. 536, colonne 2]

Le singe, le cheval et l’éléphant sont les animaux qui ressemblent le plus à l’espèce humaine par le contour de leurs profils et de leur face. Les plus belles ressemblances sont celles du cheval, du lion, du chien, de l’éléphant et de l’aigle. Ceux qui ressemblent au singe sont habiles, actifs, adroits, rusés, malins, avares et quelquefois méchants. La ressemblance du cheval donne le courage et la noblesse de l’âme. Un front comme celui de l’éléphant annonce la prudence et l’énergie. Un homme qui par le nez et le front ressemblerait au profil du lion ne serait certainement pas un homme ordinaire (la face du lion porte l’empreinte de l’énergie, du calme et de la force) ; mais il est bien rare que ce caractère puisse se trouver en plein sur une face humaine.

La ressemblance du chien annonce la fidélité, la droiture et un grand appétit (1) ; celle du loup, qui en diffère si peu, dénote un homme violent, dur, lâche, féroce, passionné, traître et sanguinaire ; celle du renard indique la petitesse, la faiblesse, la ruse et la violence. La ligne qui partage le museau de l’hyène porte le caractère d’une dureté inexorable. La ressemblance du tigre annonce une férocité gloutonne. Dans les yeux et le mufle du tigre, quelle expression de perfidie ! La ligne que forme la bouche du lynx et du tigre est l’expression de la cruauté. Le chat : hypocrisie, attention et friandise. Les chats sont des tigres en petit, apprivoisés par une éducation [p. 537, colonne 1] domestique. La ressemblance de l’ours indique la fureur, le pouvoir de déchirer, une humeur misanthrope (2) ; celle du sanglier ou du cochon annonce un naturel lourd, vorace et brutal. Le blaireau est ignoble, méfiant et glouton. Le bœuf est patient, opiniâtre, pesant, d’un appétit grossier. La ligne que forme la bouche de la vache et du bœuf est l’expression de l’insouciance, de ]a stupidité et de l’entêtement. Le cerf et la biche : timidité craintive, agilité, attention, douce et paisible innocence. La ressemblance de l’aigle annonce une force victorieuse ; son œil étincelant a tout le feu de l’éclair. Le vautour a plus de souplesse, et en même temps quelque chose de moins noble. Le hibou est plus faible plus timide que le vautour. Le perroquet : affectation de force, aigreur et babil, etc. Toutes ces sortes de ressemblances varient à l’infini, mais elles sont difficiles à trouver.

Tels sont les principes de la physiognomonie, d’après Aristote, Albert le Grand, Porta, etc., mais principalement d’après Lavater, qui a le plus écrit sur cette matière, et qui du moins a mis quelquefois un grain de bon sens dans ses essais. Il parle avec sagesse : lorsqu’il traite des mouvements du corps et du visage, des gestes et des parties mobiles qui expriment, sur la figure de l’homme, ce qu’il sent intérieurement et au moment ou il le sent. Mais combien il extravague aussi lorsqu’il veut décidément trouver du génie dans la main ! Il juge les femmes avec une injustice extrême.

Tant que la physiognomonie apprendra à l’homme à connaître la dignité de l’être que Dieu lui a donné, cette science, quoique en grande partie hasardeuse, méritera pourtant quelques éloges, puisqu’elle aura un but utile et louable. Mais lorsqu’elle dira qu’une personne constituée de telle sorte est vicieuse de sa nature ; qu’il faut la fuir et s’en défier ; que, quoique cette personne présente un extérieur séduisant et un air plein de bonté et de candeur, il faut toujours l’éviter, [p. 537,colonne 2] parce que son naturel est affreux, que son visage l’annonce et que le signe en est certain, immuable, la physiognomonie sera une science abominable qui établit le fatalisme.

On a vu des gens assez infatués de cette science pour se donner les défauts que leur visage portail nécessairement et devenir vicieux, en quelque sorte, parce que la fatalité de leur physionomie les y condamnait, semblables à ceux-là-qui abandonnaient la vertu parce que la fatalité de leur étoile les empêchait d’être vertueux.

Les pensées suivantes, publiées par le Journal de santé, sont extraites d’un petit Traité de la physiognomonie, par M. Bourdon :

« La douleur physique, les souffrances, donnent souvent à la physionomie une expression analogue à celle du génie, l’ai vu une femme du peuple, affectée d’un cancer, qui ressemblait parfaitement à madame de Staël quant à l’expression profonde de la physionomie. Je dis la même chose des passions contrariées, des violents chagrins, des fatigues de l’esprit et de l’abus des jouissances : tout ce qui remue vivement notre âme, tout ce qui porte coup à la sensibilité, a des effets à peu près semblables sur la figure.

« Une grosse tête annonce de l’imagination par instants, de la pesanteur par habitude, de l’enthousiasme par éclairs, beaucoup de volonté et souvent du génie. Un front étroit indique de la vivacité ; un front rond de la colère.

« Chaque homme a beaucoup de peine à se faire une juste idée de ses propres traits ;les femmes elles-mêmes n’y parviennent que très-difficilement. Cela vient de ce qu’on ne peut voir les mouvements des yeux, par qui la physionomie reçoit sa principale expression.

« On peut, jusqu’à un certain point, juger de la respiration d’une personne d’après son style, d’après la coupe de ses phrases et sa ponctuation. Assurément J. J. Rousseau ne ponctuait pas comme Voltaire, ni Bossuet comme Fénelon. Quand je dis qu’on peut à l’aide du style apprécier la respiration d’un individu, c’est dire qu’on peut aussi juger des passions qui l’agitent, de l’émotion qu’il éprouve ; car les vives pensées ont pour effet de remuer le cœur, et les palpitations du cœur accélèrent la respiration et rendent la voix tremblante. Voilà d’où vient le pouvoir qu’une voix émue est toujours sûre d’exercer sur nous : elle attire l’attention, elle indique un orateur ou inspiré, ou timide, ou consciencieux. Les orateurs froids et médiocres simulent celle émotion vraie, qui vient du cœur, à l’aide de l’agitation oscillatoire et saccadée des bras.

«  La même émotion morale qui hâte la respiration, qui fait palpiter le cœur et rend la voix tremblante, rend de même tous les mouvements du corps vacillants et incertains, tant que dure l’inspiration morale, et quelquefois même longtemps [p. 538, colonne 1] après que l’agitation de l’esprit a cessé. Voilà pourquoi l’écriture de nos grands écrivains est généralement si illisible ; et comme il est écrit que toujours l’incapacité singera jusqu’aux défauts inséparables du vrai mérite, voilà pourquoi beaucoup d’hommes médiocres se sont crus engagés d’honneur à graver en caractères indéchiffrables les stériles pensées qu’une verve engourdie leur suggérait.

«  L’extrême laideur est presque toujours un signe d’esclavage, de souffrances morales ou de durs travaux. Il est certain que l’oisiveté, qu’une douée incurie sont favorables à la beauté corporelle : il y avait donc plus de vrai qu’on ne pense dans ce titre de gentilhomme dont on gratifiait jadis tout heureux fainéant.

«  Il n’est pas d’homme peut-être qui ne consentît très-volontiers à échanger, à son choix et selon son goût, quelque trait de sa physionomie, une partie quelconque de son corps. On n’est jamais aussi complètement satisfait de sa figure que de son esprit. Jugez combien la perfection corporelle doit être rare chez les peuples actuels de l’Europe, puisque la Vénus de Tornwaldsen lui a nécessité trente différents modèles ! J’observe toutefois que la démoralisation des villes capitales, mais surtout les bienfaits récents de la vaccine, sont des causes qui doivent puissamment seconder le génie des peintres et des sculpteurs de nos jours.

« Un homme qui a le malheur de loucher doit se montrer beaucoup plus réservé qu’un autre dans ses actions et ses discours car ; la malignité humaine est naturellement disposée à augurer mal de la symétrie de tout édifice dont les issues sont désordonnées.

«  De profondes rides aux côtés de la bouche font conjecturer qu’on est ou moqueur, ou naturellement gai, ou soumis aux caprices d’un maître mauvais plaisant.

«  Le rire (je ne parle pas du sourire) est un caractère d’ineptie plutôt que d’intelligence : les hommes supérieurs sont généralement graves. L’habitude des grandes pensées rend presque toujours indifférent aux petites choses qui sont en possession d’exciter le rire.

« Plus sont profondes celles des rides qui dépendent des muscles, et plus il est permis de croire à une longue vie, à une santé durable. En effet, l’énergie des muscles indique toujours une heureuse organisation, des fonctions régulières. Voilà sur quel principe vrai l’art de la chiromancie est fondé : s’il ne conduit si souvent qu’à des mensonges, cela vient de ce qu’on lui fait dire autre chose que ce qu’il dit en effet… »

Terminons ce long article par une anecdote : Louis XIV était si persuadé du talent que Lachambre, médecin et académicien français, s’attribuait de juger, sur la seule physionomie des gens, quel était non-seulement leur caractère, mais encore [p. 538,colonne 2] à quelle place et à quels emplois chacun d’eux pouvait être propre, que ce prince ne se déterminait, soit en bien, soit en mal, sur les choix qu’il avait à faire qu’après avoir consulté ce singulier oracle. « Si je meurs avant Sa Majesté, disait Lachambre, elle court grand risque de faire à l’avenir beaucoup de mauvais choix. » Lachambre mourut en effet avant le roi, et sa prédiction parut plus d’une fois justifiée. — Ce médecin a laissé des ouvrages dont le genre dénote assez le penchant qu’il avait à étudier les physionomies. Voy. MIMIQUE.

Notes

(1) Dans la Physiognomonie de Porta, Platon ressemble à un chien de chasse.

(2) Beaucoup d’écrivains se sont exercés dans ces données. M. Alexis Dumesnil, dans ses Mœurs politiques, divise les hommes en deux espèces sociales, l’espèce conservatrice et l’espèce destructive. Le mot n’est pas correct. Pour être conséquent en langage, l’auteur aurait dû dire : l’espèce destructrice. Destructif non plus ne s’applique pas rigoureusement aux êtres animés ; et nous le sommes, nous que M. Dumesnil, détracteur du présent, juge en dernier ressort espèce destructive. Ce sont les anciens qui conservaient, si on veut l’en croire, eux qui n’ont cessé de saccager et de renverser. Il va plus loin ; il prétend qu’on peut reconnaître par la mimique et la physiognomonie les individus destructifs. « L’espèce destructive, dit-il, a sa forme de tête particulière, courte ordinairement et étroite du haut, quelquefois même terminée en pain de sucre, mais toujours remarquable par un très-grand développement du crâne vers les oreilles ; ce qui lui donne l’apparence d’une poire. » Voilà qui passe la plaisanterie ; une tête au contraire qui a la tournure d’un pain de sucre renversé ou d’un navet dénote l’espèce conservatrice…

 

 

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