Brown-Séquard. Recueil de faits : le sommeil normal, comme le sommeil hypnotique, est le résultat d’une inhibition de l’activité intellectuelle. Extrait des « Archives de physiologie normale et pathologique », (Paris), 1889, pp. 333-335.  

Brown-Séquard. Recueil de faits : le sommeil normal, comme le sommeil hypnotique, est le résultat d’une inhibition de l’activité intellectuelle. Extrait des « Archives de physiologie normale et pathologique », (Paris), 1889, pp. 333-335.  

 

Brown-Séquard Charles Édouard (1817-1894). Physiologiste et neurologue. A décrit le syndrome qui porte son nom,  syndrome neurologique consécutif à une atteinte de l’hemi-moelle, en 1850 et publié en 1851. Ses très nombreuses publications nous obligent à renvoyer le lecteur aux diverses études spécialisées en particulier les deux notices : Notice sur les travaux scientifiques de M. C.E. Brown-Séquard, G. Masson (Paris), 1878, et Notice sur les travaux scientifiques de M. C.E. Brown-Séquard, G. Masson (Paris), 1881,
Nous signalons seulement :
— Recherches et expériences sur la physiologie de la moelle épinière [Thèse pour le doctorat en médecine présentée à la Faculté de Médecine de Paris le 3 janvier 1846], (Paris) Rignoux, 1846, 32 p
— Deux mémoires sur la physiologie de la moelle épinière, E. Thunot et Cie (Paris), 1855, 41 p.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr.

[p. 333]

RECUEIL DE FAITS

LE SOMMEIL NORMAL, COMME LE SOMMEIL HYPNOTIQUE,
est le résultat d’une inhibition de l’activité intellectuelle,

Par M. BROWN-SÉQUARD

Dans les recherches que j’ai publiées en 1882 sur l’inhibition et son rôle dans l’hypnotisme et le transfert (Gazette hebdomadaire de médecine, etc., p. 382), j’ai déjà démontré que le sommeil hypnotique est un effet d’inhibition. D’une autre part, dans plusieurs publications, mais surtout dans une communication à l’Académie des sciences (Comptes rendus de l’Académie des Sciences, 1883, vol. XGVI, p. 417), j’ai montré que dans l’épilepsie et dans les affections organiques ou lésions traumatiques de l’encéphale la perte de connaissance temporaire est due à une inhibition de l’activité intellectuelle. Je vais maintenant donner, en quelques mots, les raisons qui conduisent à considérer le sommeil normal comme l’effet d’un acte inhibitoire.

La théorie d’après laquelle le sommeil dépend d’une contraction vasculaire ayant lien dans les lobes cérébraux (Durham, Hammond) est absolument fausse, comme je l’ai montré depuis longtemps. En effet, j’ai trouvé que les cobayes et les lapins, après la section des deux nerfs grands sympathiques, au cou, dorment comme si la circulation cérébrale était à l’état normal, c’est à-dire lorsqu’elle peut cesser par contraction vasculaire. Il en est de même chez les chiens et les chats, après qu’on leur a enlevé le ganglion cervical supérieur d’un côté et coupé le nerf vago-sympathique de l’antre côté. Lorsqu’on a, par ces opérations, paralysé les vaisseaux du cerveau, il est évident que le sommeil, qui alors [p. 334] se produit comme à l’ordinaire, non seulement ne dépend pas  d’une anémie cérébrale par contraction vasculaire, mais encore  peut exister malgré l’état inverse, c’est-à-dire une hyperhémie  même notable. Il est donc certain que le sommeil peut exister, qu’il y ait peu ou qu’il y ait beaucoup de sang dans les vaisseaux du cerveau.

La perte de connaissance dans le sommeil, comme dans de nombreuses autres circonstances accidentelles ou pathologiques, est l’effet d’une inhibition des facultés cérébrales.

Je me fonde, pour établir cette opinion : 1° sur des preuves directes établissant que la perte de connaissance, dans le cas d’une piqûre du bulbe et dans d’autres cas aussi, est incontestablement due à un acte inhibitoire (1) ; 2° sur tout ce qu’on sait des circonstances qui précèdent ou accompagnent le sommeil (2).

Je me bornerai à dire à ce sujet que, de même que dans toute inhibition, il existe, lorsque le sommeil se produit et tant qu’il dure, des irritations à distance de l’organe où la cessation d’activité a lieu. On trouve la preuve de l’existence d’irritations dans les particularités suivantes :

1° Ce qu’on appelle le besoin de dormir, qui consiste en certaines sensations et particulièrement un sentiment de lourdeur dans l’œil ;

2° Contraction persistante de la pupille ;

3° Contraction des muscles orbiculaires palpébraux ;

4° Contraction des muscles droits interne et supérieur ;

5° Contraction des vaisseaux sanguins de la rétine et des lobes cérébraux.

J’ajoute qu’en outre de l’inhibition des facultés psychiques il y [p. 335] a une inhibition spéciale de certains muscles (releveur de la paupière supérieure et les muscles du cou) et peut-être aussi un degré d’inhibition du cœur et de la respiration. Ces divers phénomènes inhibitoires, associés au sommeil, montrent bien l’existence d’une irritation quelque part et peut-être en plusieurs points, pendant cet état périodique de cessation de l’activité intellectuelle.

La production du sommeil chez l’homme, dans l’expérience de Fleming et d’Augustus Waller, consistant en une pression exercée à la fois sur la carotide, le sympathique cervical et le nerf vague, montre bien que le sommeil peut provenir d’une irritation périphérique. À ce fait il importe d’ajouter ce que tout le monde sait à l’égard de l’influence somnifère de certaines irritations gastriques.

Quant au siège ordinaire de l’irritation ou des irritations que causent le sommeil, je ne puis rien dire de plus que ceci : 1° il n’est pas probable qu’il soit dans le cerveau proprement dit, car, ainsi que nous le savons, les oiseaux et surtout le pigeon dorment et se réveillent périodiquement, après l’ablation de leur cerveau comme avant ; 2° les contractions réflexes et les inhibitions paralytiques qui sont associées au sommeil, si nous les considérons comme dues à des irritations provenant d’un même point, ont leur siège bien plus probablement dans les parties excitables de la base de l’encéphale que dans les lobes cérébraux (3).

Avant de conclure, je rappellerai que, dans l’épilepsie que je produis chez les cobayes, la perte de connaissance, comme les convulsions, est aisément causée par une irritation périphérique, et qu’il en est ainsi quelquefois clans les attaques de petit-mal chez l’homme. Je rappellerai aussi que la perte de toutes les activités cérébrales peut avoir lieu, par inhibition, comme je l’ai montré, sous l’influence d’irritations, même très légères, de la base de l’encéphale ou de la moelle cervicale, mais surtout du point que Flourens a nommé nœud vital.

Il n’est pas douteux, d’après tous ces faits, que des irritations, à sièges divers, existent pendant le sommeil, ayant commencé un peu avant le moment où il survient. Il y a donc tout lieu d’accepter que le principal phénomène du sommeil ordinaire, c’est-à-dire la perte de connaissance, est l’effet d’un acte inhibitoire.

Notes

(1) J’ai été profondément étonné de voir que deux physiologistes qui se sont occupés de la décapitation m’aient attribué des opinions que je n’ai jamais eues, et n’aient pus pris la peine de lire ce que j’ai écrit à ce sujet. La décapitation doit produire toujours ou presque toujours la perte immédiate de toutes les puissances morales et physiques des lobes cérébraux, non pas parce que la circulation sanguine cesse dans le cerveau, mais parce que deux causes (au moins) d’inhibition surviennent alors : irritation soudaine de nombre de nerfs de la région cervicale et section irritatrice de la moelle près du bulbe (voy. le travail remarquable de M. Paul Loye : Recherches expérimentales sur la mort pur décapitation Paris, 1887).

(2) Les théories du sommeil, d’après lesquelles il serait dû à l’action de certaines substances se produisant dans le sang (Preyer, Pflüger), trouvent un démenti chez les personnes qui peuvent, à volonté, s’endormir ou chez celles que l’on hypnotise, ce qui n’empêche pas cependant que l’accumulation de ces substances dans le sang ne soit une circonstance favorable à la production du sommeil.

(3) Je me suis assuré maintes et maintes fois que la base de l’encéphale, et surtout le bulbe, ainsi que la moelle épinière sont congestionnés pendant le sommeil. Il y a là une cause d’irritation qui contribue probablement à causer et à faire durer le sommeil, mais qui n’en est pas la cause principale.

 

 

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