Brenier de Montmorand. Ascétisme et mysticisme. Article paru dans la « Revue Philosophique de la France et de l’Etranger », (Paris, 1904, 1, pp. 242-262.

V. Brenier de Montmorand. Ascétisme et mysticisme. Article paru dans la « Revue Philosophique de la France et de l’Etranger », (Paris, 1904, 1, pp. 242-262.

Brenier de Montmorand Antoine François Jules Henri Louis Maxime (Vicomte) (1864-1960).
Quelques publications retenues :
— Des mystiques en dehors de l’extase. Revue Philosophique de la France et de l’Etranger, (Paris, 1904, 2, pp. 602-625.
— Les états mystiques. Revue Philosophique de la France et de l’Etranger, (Paris), 1905.
Hystérie et mysticisme. Le cas de Sainte Thérèse. Article extrait de la « Revue Philosophique de la France et de l’Etranger », (Paris), trente et unième année, LXI, janvier à juin 1906, pp. 301-308. [en ligne sur notre site]
— L’érotomanie chez les mystiques chrétiens. Extrait de la « Revue philosophiques de la France et de l’Étranger », (Paris), LVI, juillet à décembre 1903, pp. 382-393. [en ligne sur notre site]

Pour l’auteur l’extase religieuse est un état cognitif par lequel la connaissance se réalise par des moyens surnaturels et inexplicables rationnellement.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons corrigé plusieurs fautes de composition.
 – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

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ASCÉTISME ET MYSTICISME

Sorciers cafres, angekoks esquimaux, shamans tartares, pia-atua polynésiens, hommes-médecines peaux-rouges, — tous les non-civilisés se flattent de communiquer à leur gré avec les puissances supérieures. Jeûnes, ingestion de certains narcotiques ou de certains anesthésiques, c’est en quoi consistent leurs plus habituelles recettes, les pratiques infaillibles au moyen desquelles ils obtiennent visions et révélations, et provoquent la crise nerveuse qui leur entr’ouvrira l’au-delà.

De telles pratiques, toutes mécaniques, sont réprouvées des mystiques chrétiens, en particulier des mystiques orthodoxes. Ils estiment les « états mystiques » essentiellement passifs, c’est-à-dire donnés par Dieu « quand il lui plaît (1) », sans qu’aucune industrie humaine puisse suppléer à ce don gratuit. Prétendre atteindre de soi-même aux communications mystiques, c’est, disent les théologiens, vouloir voler sans ailes, ou, parce qu’on la désire, compter sur la pluie. Cette eau céleste n’est pas à notre disposition. « Tous nos empressements, toutes nos larmes, déclare sainte Thérèse, ne nous la donneront point. Dieu la répand sur qui il veut, et souvent même lorsque l’âme y pense le moins (2). » En ces matières, dit-elle encore, « celui-là fait plus qui croit et veut moins faire (3) ; et elle compare les âmes à de la cire « il n’est pas en leur pouvoir d’imprimer le cachet ni de s’amollir elles-mêmes ; tout ce qu’elles peuvent, c’est de recevoir l’impression sans y résister (4) ». Erat patiens divina, — « il subissait l’action divine », dit, dans le même sens, le pseudo-Denys de son maître Hiérothée ; et cette brève formule résume bien, en l’espèce, la pure doctrine mystique.

Si éloignés que soient les mystiques orthodoxes d’attribuer à l’effort humain une efficacité quelconque, ils ne méconnaissent pas, du reste, qu’il n’y ait « des dispositions qui préparent et secondent l’oraison contemplative ». Et, en fait, leurs biographies à tous ou [p. 243] leurs autobiographies nous les montrent voués à un certain genre d’existence, pratiquant un certain « entraînement » se pliant à de certaines disciplines physiques et psychiques qui, — sans qu’ils l’aient prémédité ni voulu, car ils ne poursuivent d’autre but que moral, — se trouvent être les plus propres à déterminer chez eux l’apparition des phénomènes contemplatifs. En tout mystique, il y a un ascète et l’ascétisme est, si l’on peut dire, à la source même du mysticisme. Mais qu’est-ce au juste que l’ascétisme ?

I

Deux grandes écoles, dont les doctrines adverses entraînent des conséquences morales, politiques et sociales opposées, se partagent les esprits, touchant la nature humaine.

L’une de ces écoles est foncièrement optimiste. Elle estime la nature essentiellement bonne, et, de plus, toute-puissante. Les idées d’abnégation et de sacrifice lui sont étrangères, et elle réprouve comme immorale et absurde toute tentative de limiter la personne humaine, d’en entraver la libre expansion. Cette école-là prend pour devise sequere naturam. C’est celle d’un Rabelais, opposant à Physis, mère de Beauté et d’Harmonie, Antiphysis, « laquelle de tout temps est partie adverse de Nature » et d’où procède Discordance (5). C’est celle d’un Montaigne, qui nous peint en sa personne l’homme naturel, non touché ni modifié par la grâce. C’est celle d’un Rousseau, déclarant que « la nature a fait l’homme heureux et bon » et que « la société le déprave », et dénonçant, du même coup, comme injuste et corruptrice, toute institution sociale. C’est celle d’un Nietzsche, qui voit dans la croyance au péché, dans le sentiment du repentir et dans le besoin de l’expiation autant de manifestations d’une « morale d’esclaves » et d’un profond détraquement physique et mental.

Mais, en face de cette école, s’en élève une autre, laquelle, au rebours de la première, pose en principe que la nature humaine est viciée et corrompue. Cette doctrine de la corruption originelle, cette croyance en une déchéance primitive, résultant de quelque mystérieuse prévarication dont les générations successives porteraient solidairement la peine, se retrouve au centre de la plupart des religions, en particulier du christianisme, qui affirme l’héréditaire culpabilité de tout homme venant en ce monde.

Le christianisme, du reste, ne s’en tient pas à cette affirmation [p. 244] pessimiste. Il enseigne en outre que la maladie dont nous sommes infectés n’est pas incurable, et que nous y pouvons remédier par un traitement héroïque, par le sacrifice et la souffrance acceptés volontairement, voire même recherchés et désirés. Tout l’ascétisme chrétien est dans cette affirmation complémentaire.

L’ascétisme, au point de vue chrétien, n’est autre chose, en effet, qu’un ensemble de procédés thérapeutiques tendant à la purification morale. Ascétisme vient du grec άσϰεῒῒν — s’exercer, combattre ; qui dit ascète dit athlète. L’ascète chrétien lutte pour transformer en lui la nature corrompue, pour se frayer un chemin vers Dieu, à travers les obstacles que lui suscitent ses passions et le monde. Et il ne lutte pas seulement dans son intérêt propre, mais encore en vertu du principe de la réversibilité des mérites, qui compense celui de la solidarité dans la faute, pour le bien et pour le salut de la société tout entière.

Cette lutte comporte des efforts positifs, mais aussi et peut-être surtout des privations et des renoncements. Même l’idée de renoncement, de mutilation volontaire a prévalu dans l’esprit des philosophes contemporains qui se sont occupés de psychologie religieuse, et non sans raison. L’ascétisme, où je voyais tout à l’heure, avec les ascètes, et en me plaçant au point de vue subjectif, un instrument de purification morale, apparaît, en effet, considéré objectivement, comme un procédé de simplification psychologique. L’examen de la méthode ascétique, telle que l’ont pratiquée les mystiques orthodoxes, éclaircira cette définition.

II

La méthode ascétique comprend deux opérations, deux temps que Tauler a nettement distingués : « Le Saint-Esprit, dit-il, fait en nous deux choses il nous vide, puis il remplit le vide qu’il a fait. Le vide est la première et la principale opération ; car plus nous sommes vides et plus nous avons de capacité pour recevoir. Pour que Dieu entre en nous, il faut que la créature en sorte. Il faut que l’âme animale disparaisse pour que l’âme raisonnable s’épanouisse. Lorsque cette première préparation est accomplie, le Saint-Esprit exécute aussitôt la seconde et remplit la capacité du cœur qu’il a vidé (6). »

Faire en soi le vide et la nuit, mourir, en un mot, c’est en quoi consiste le premier temps de la méthode ascétique., Or, les ascètes [p. 245] appliquent d’instinct ce principe que de récents travaux ont mis en lumière, à savoir que l’émotion religieuse est une émotion compte, ayant ses conditions physiologiques ; il savent que, suivant le mot de Pascal, « nous sommes automate autant qu’esprit » ; aussi, cette mort dont ils veulent mourir pour renaître à la vie surnaturelle sera-t-elle avant tout celle du corps, par conséquent celle des sens.

Les sens, qui nous mettent en relation avec le monde extérieur, sont, dit saint Jérôme, « les fenêtres par où les vices s’introduisent dans l’âme ». Ces fenêtres, l’ascète les aveuglera. Il fermera ses yeux à toutes les vaines images, à tous les dangereux spectacles, ses oreilles au bruit des paroles oiseuses et des musiques amollissantes ; il refusera à son odorat les parfums qui grisent, à son goût l’appât des vins et des viandes, à son toucher les frôlements lascifs. En un mot, il « se plongera dans un vide universel par rapport à tout ce qui est créé » (7) et, « comme la tortue retire ses membres sous sa carapace » (8) se réfugiera au plus profond de lui-même. Mais cette solitude obtenue ne lui suffira pas. Non content de vivre dans l’obscurité et le silence, dans la continence et le dénuement, et de priver son corps de tous les plaisirs, il en méconnaîtra les plus essentiels besoins et le traitera en criminel dont on se venge, en esclave vicieux que l’on torture. Il le chargera de chaînes, l’ensanglantera de coups, le fera gémir sous le poids des cilices. Il lui interdira le sommeil, lui imposera, le fouet levé, d’effrayantes abstinences, pis que cela, d’horribles nourritures à soulever le cœur décoctions d’absinthe, crachats, pus suintant de plaies infectes, vomissements, déjections (9) Tous ces supplices, [p. 246] combinés avec des ruses de bourreau, afin de mieux l’achever, ce corps pantelant, d’en mieux dompter les suprêmes révoltes et les derniers soubresauts.

La mortification du corps n’est, du reste, qu’un préliminaire. L’ascète poursuit la mortification de l’âme, son « anéantissement (10), » et c’est elle, en fin de compte, qu’il prétend obscurcir et vider. « Le vide opéré dans les puissances de l’âme les dispose en effet, dit saint Jean de la Croix, à être remplies du surnaturel et illuminées de ses splendeurs ; au contraire, leur activité naturelle et leur capacité propre ne peuvent que la distraire et l’empêcher de parvenir à des biens si éminents. »

C’est la foi qui fait la nuit dans l’entendement, comme l’espérance la fait dans la mémoire, et la charité-dans la volonté (11). La foi est une nuit pour l’entendement, puisqu’elle lui propose des vérités qu’il est par lui-même impuissant à saisir. Il devra, pour y acquiescer plus pleinement, renoncer à ses opérations propres, s’abstraire de toutes ses connaissances naturelles, qui ne sont que grossière ignorance auprès de la science divine (12).

La mémoire, si habile à retenir dans ses mailles les souvenirs profanes et dangereux, si prompte à laisser passer au travers les pures idées et les pensées saintes, la mémoire devra, elle aussi, se vider de tout le créé car « en dehors de Dieu et de son Christ, le vide est la meilleure disposition pour recevoir en soi la plénitude de l’esprit d’amour (13) ». Elle s’affranchira donc de toutes les vaines représentations, et remplacera ses souvenirs périssables par d’immortelles espérances.

La volonté, enfin, devra opérer son dépouillement. « Si Joseph eût eu des agrafes à son manteau, a dit une mystique, il n’eût pas échappé des mains de sa maitresse. » Si l’âme ne réussit pas à briser les innombrables liens, ténus ou forts, visibles ou cachés dont l’enserrent l’amour-propre et l’égoïsme, si elle ne se purifie pas au feu de la charité, c’est-à-dire de l’amour divin substitué à tout autre amour, elle ne réalisera pas la condition essentielle d’où dépend sa résurrection future.

Ce dépouillement nécessaire de la volonté s’opère par le moyen de deux vertus — l’obéissance et l’humilité — que les ascètes chrétiens [p. 247] ont prisées très haut et dont la pratique nous apparaît intimement liée au développement de la vie contemplative.

Que l’obéissance assure la mortification de la volonté, c’est ce qui résulte de sa définition même. En quoi consiste-t-elle en effet, sinon, comme le dit sainte Thérèse, « à rendre notre volonté conforme à celle de Dieu (14) », c’est-à-dire à renoncer à soi en abdiquant toute volonté propre ? L’obéissant prononce un perpétuel fiat, il se félicite de ne plus s’appartenir — sui juris non esse (15) ; il s’abandonne à la Providence et, par là même, se met en état de recevoir passivement l’impression divine (16).

L’humilité est, au même titre que l’obéissance, un antidote à l’amour-propre; elle aussi creuse l’âme et la vide, lui donnant, suivant Alvarez de Paz, « l’immense capacité qu’il faut pour contenir les trésors célestes ». Pascal n’a-t-il pas dit qu’il faut « s’offrir par les humiliations aux inspirations » ? Sainte Thérèse avait dit avant lui : « Je ne doute nullement, mes filles, que vous ne souhaitiez de vous voir bientôt en cet état (d’oraison mystique). Et c’est à juste titre que vous désirez savoir comment on arrive à un pareil bonheur. Pratiquez d’abord ce que j’ai recommandé dans les demeures précédentes et ensuite, de l’humilité, de l’humilité, puisque c’est par elle que le Seigneur se laisse vaincre et cède à tous nos désirs. Qu’une âme soit humble et détachée de tout et le divin Maître, je n’en doute point, lui accordera non seulement cette grâce, mais encore beaucoup d’autres qui surpasseront ses désirs (17) ». — Et elle parle, dans son grand langage, de cette humilité, née de l’extase, qui, « s’illuminant au foyer même de la Vérité, voit en un instant, dans ses clartés infinies, ce qu’elle n’eût pu découvrir par un pénible travail de plusieurs années son néant, et la grandeur de Dieu (18) ».

Cette humilité profonde, qui les « rabaisse au centre de leur néant (19) », est celle de tous les ascètes chrétiens, en particulier des mystiques orthodoxes. Non contents de supporter patiemment les humiliations (l’humiliation, dit saint Bernard, est le chemin de l’humilité, comme la lecture l’est de la science), ils s’exercent à les aimer, et, quoique naturellement sensibles au point d’honneur, [p. 248] les recherchent avec autant de soin que d’autres mettent à les fuir. Ce sont les applaudissements qu’ils fuient, et les louanges. Et là est le secret de leur attitude si caractéristique, si opposée à celle des mystiques hétérodoxes, à l’endroit des manifestations extraordinaires, des « faveurs spirituelles » dont ils sont l’objet. Ces faveurs, non seulement ils ne les désirent pas, mais ils les redoutent, on pourrait dire qu’ils les détestent : ils supplient Dieu de les leur épargner et les dissimulent et déprécient de leur mieux. C’est, à coup sûr, qu’ils les savent d’origine équivoque et non méritoires en elles-mêmes ; mais c’est encore et surtout parce qu’ils les jugent dangereuses pour l’humilité (20).

*
*    *

Il appartient à Dieu seul, affirment les théologiens, d’achever l’épuration de l’âme, de la dégager pleinement « de là servitude des sens et des illusions de l’esprit ». Et ils distinguent deux sortes de purgations ou purifications : les purifications actives, œuvre de l’homme, et les passives, qui sont l’œuvre exclusive de Dieu. Quelle que soit la valeur de cette distinction, il est certain que, le corps et l’âme une fois traités par les procédés qu’on vient de décrire, l’effort humain a réalisé, dans l’ordre des mortifications, tout ce dont il était capable. L’être naturel est vide, et ne vit plus ; il s’agit de le ressusciter surnaturellement et de le remplir c’est le second temps de la méthode ascétique.

Le corps — l’automate — aura part à cette résurrection, et ne sera pas négligé, au cours de cette seconde série d’exercices. L’automate, en effet, c’est encore un mot de Pascal — « entraîne l’esprit sans qu’il y pense ». Et les théologiens ascétiques ne méconnaissent pas son rôle. Aussi, traitant de l’oraison et de ses « conditions extrinsèques », donneront-ils la plus grande importance à des questions toutes matérielles, telles que celles de la « composition du corps » (ils savent que le geste détermine, en une mesure, les émotions qu’il traduit), de l’alimentation, de l’éclairage. « S’il vous arrive, Philothée, dira saint François de Sales (21), de [p. 249] n’avoir point de goût ni de consolation en la méditation,… piquez quelquefois votre cœur par quelque contenance et mouvement de dévotion extérieure, vous prosternant en terre, croisant les mains sur l’estomac, embrassant un crucifix… » — Écoutons maintenant saint Ignace (22) : « Je commencerai ma contemplation tantôt à genoux, tantôt prosterné, tantôt étendu sur la terre, le visage vers le ciel, tantôt assis, tantôt debout. Si je trouve ce que je désire à genoux ou prosterné, je ne chercherai pas une autre position. Je choisirai la lumière ou les ténèbres ; je profiterai de la sérénité ou de l’obscurité du ciel, autant que j’espérerai en retirer de l’utilité pour trouver ce que je désire. Quand celui qui fait les Exercices n’obtient pas ce qu’il désire, comme des larmes, des consolations, etc., il est souvent avantageux qu’il fasse quelque changement dans la nourriture, dans le coucher, ou dans le sommeil. »

Il y a, comme on voit, toute une gymnastique et une hygiène ascétiques, indépendantes des austérités. Celles-ci d’ailleurs ne sont pas seulement des procédés de mortification ; elles valent aussi comme stimulants. La discipline, par exemple, dompte les révoltes de la chair ; mais les théologiens ascétiques la conseillent en outre comme ayant une merveilleuse vertu pour exciter l’esprit, lui « donner allégresse », pour « réveiller l’appétit de la dévotion », pour « chasser la mélancolie » (23).

Leurs prescriptions relatives au corps (qui tendaient tout à l’heure à sa mortification) ne visent d’ailleurs, au point où nous en sommes, qu’à seconder le travail assimilatoire de l’âme, son « entraînement » vers les choses divines. Cet entraînement comprend un grand nombre d’exercices, tous appropriés au but poursuivi la fixation de l’idée religieuse et du sentiment correspondant ; et qui, remplissant, du lever au coucher, la journée de l’ascète, en « sanctifient », ou, si l’on veut, en utilisent méthodiquement toutes les heures.

Parmi ces exercices, il en est un d’un caractère très spécial. Je veux parler de l’examen de conscience.

L’examen de conscience est général ou particulier. Pour être efficace, l’examen général, dit un auteur ascétique (24), doit se faire au moins une fois par jour et comprendre un double regard : l’un pour la constatation matérielle des fautes commises, l’autre pour les [p. 250] rattacher aux causes qui les amènent. La cause qui intervient habituellement dans nos chutes, et qui entraîne la volonté, trahit le défaut dominant que l’on cherche à reconnaître. L’examen particulier porte sur ce défaut dominant, sur la passion qui, en chaque individu, « donne le branle à tous les autres » et, par suite, « a la plus grande part dans ses fautes habituelles ». C’est saint Ignace qui en a introduit la pratique raisonnée

Il le propose dès le début de ses Exercices spirituels, et veut qu’on le répète trois fois le jour le matin, en se levant, pour renouveler la résolution de veiller sur soi-même et de combattre généreusement le vice que l’on commence à extirper ; après-midi, pour noter les fautes commises, et, le soir, pour répéter cet examen. — Il conseille d’écrire ses fautes de la manière suivante. On trace sur une même feuille autant de lignes qu’il y a de jours dans la semaine, mais de plus en plus courtes à mesure que l’on se rapproche de la fin de la semaine, parce qu’on est censé commettre moins de fautes à la fin qu’au commencement ; et chaque jour, après chaque revue, on marque sur la ligne par autant de barres transversales les fautes que l’on vient de constater. Le long du jour, à chaque fois que l’on s’apercevra que l’on vient de tomber dans le défaut à combattre, on portera la main à sa poitrine en signe de repentir, ce que l’on peut faire, même dans les compagnies. Le soir, on comptera le nombre de traits tracés sur la ligne, on comparera le nombre inscrit au premier examen avec celui du second : on rapprochera le jour présent du jour précédent, et la semaine qui finit de la semaine écoulée, et l’on se rendra ainsi un compte exact des progrès réalisés.

C’est, on le voit, d’une vraie comptabilité qu’il s’agit ici ; et il est inutile d’insister sur l’intérêt d’une pratique qui met l’ascète en mesure de vérifier, pour ainsi dire à chaque instant, son bilan psychologique et moral. L’examen de conscience n’a, du reste, d’efficacité qu’indirecte ; il n’est en lui-même qu’un procédé de vérification et de contrôle ; en quoi il se distingue de tous les autres « »exercices spirituels ».

Le plus important de ces exercices, le plus propre à remplir de Dieu l’âme vidée du monde (25) c’est celui que l’on appelle la « méditation ».

Il y a différentes méthodes de méditer. La plus connue, la plus caractéristique est celle des Exercitia.

La méditation, telle que l’enseigne saint Ignace, qui la qualifie d’« exercice des trois puissances de l’âme », comporte une préparation [p. 251] éloignée et une préparation prochaine, laquelle consiste à choisir la veille le sujet de la méditation du lendemain, à repasser ce sujet avant de s’endormir, et à y penser au réveil. En outre, « avant de commencer, l’on se tiendra debout, le temps de réciter l’oraison dominicale, à un ou deux pas de l’endroit où l’on doit méditer, l’esprit élevé vers le ciel et considérant comme quoi Dieu, notre Seigneur, nous regarde »… — Cet « acte de présence de Dieu » sera suivi d’une « oraison préparatoire », par laquelle on invoquera l’assistance divine. Cela fait, s’ouvrira, par deux préludes au moins, la méditation proprement dite.

Le premier prélude a pour objet la composition ou construction du lieu. « Si le sujet de la méditation est une chose visible, comme dans la contemplation des mystères de Notre-Seigneur Jésus-Christ, ce prélude consistera à me représenter, à l’aide de l’imagination, le lieu matériel où se trouve l’objet que je veux contempler ; par exemple le temple, la montagne où est Jésus-Christ ou Notre-Dame, selon le mystère que je choisis pour ma contemplation (25). Si le sujet de la méditation est une chose invisible… la composition de lieu sera de voir des yeux de l’imagination et de considérer mon âme emprisonnée dans ce corps mortel et moi-même, c’est-à-dire mon corps et mon âme, dans cette vallée de larmes, comme exilé parmi les animaux privés de raison. »

Le second prélude a pour objet de solliciter les grâces que l’on désire et qui se rapportent au sujet de la méditation. « Dans la contemplation de la Résurrection, par exemple, on demandera la grâce de participer à la joie ineffable de Jésus-Christ glorieu ; dans celle de la Passion, l’on demandera la douleur, les larmes, les souffrances avec Jésus-Christ dans les tourments. »

Les préludes achevés font place aux « considérations », où trouvent à s’exercer les trois puissances de l’âme.

La mémoire repassera détail par détail et point par point le sujet de la méditation qu’elle avait, dans le premier prélude, embrassé d’ensemble. L’exercice de la mémoire comprend celui de l’imagination qui, sur le thème proposé, brodera des amplifications méthodiques (26).

L’entendement réfléchira sur les vérités que la mémoire lui a rappelées ; il appliquera ces vérités à l’âme et ses besoins, il en tirera des conséquences pratiques.

Quant à la volonté, elle s’exercera à de pieuses « affections », et s’ingéniera à susciter dans l’âme des sentiments d’admiration, de louange, d’amour, de crainte, etc., conformes au sujet de la méditation. Enfin, elle prendra pour l’avenir des résolutions appropriées aux circonstances et à l’état de l’âme, et fondées sur des motifs solides. Telle est, dans ses éléments essentiels, la méthode de méditer d’après saint Ignace. Les autres méthodes, — celle de saint François de Sales, par exemple, ou celle de Saint-Sulpice (27), — ont un caractère moins mécanique ; elles font moins directement appel à l’imagination, mais, dans la forme et l’ordonnance, elles ne diffèrent de la première que par des détails. Un même principe domine, au reste, toutes ces méthodes, à savoir que la méditation religieuse — en quoi elle diffère, par exemple, de la méditation philosophique — n’a pas, à proprement parler, de but spéculatif ; elle doit aboutir à une prière, et « la considération ne s’y fait, dit saint François de Sales (28), que pour émouvoir les affections ». Non productive d’affections, Rodriguez la compare à une aiguille sans fil : « On a besoin d’aiguille pour coudre, mais ce n’est pas l’aiguille qui coud, c’est le fil ; et ce serait un travail bien inutile que celui d’un homme qui emploierait tout le jour à passer dans la toile une aiguille sans fil. Cependant, c’est à peu près ce que font ceux qui, dans l’oraison, méditent et réfléchissent beaucoup, sans s’appliquer aucunement à produire des actes de charité. Car la méditation doit être comme l’aiguille : il faut qu’elle passe la première ; mais c’est pour faire passer après elle le fil de l’amour et les mouvements affectueux. » — De là cette conséquence que l’esprit ne doit travailler, dans la méditation, qu’autant qu’il est nécessaire pour provoquer l’émotion du cœur. Ce résultat obtenu, son rôle est achevé ; et dès lors, à vrai dire, la méditation a fait place à la contemplation (29). [p. 253]

Les ascètes orthodoxes et notamment les mystiques ont tous attaché la plus essentielle importance à la méditation ainsi comprise. On la trouve à l’origine et elle reste, pour ainsi dire, le centre de leur vie spirituelle (30) ; ils lui font honneur de tous leurs progrès, ils en recommandent ardemment la pratique. Une pratique qui ne va pas sans difficultés. Sainte Thérèse elle-même ne s’y adonna qu’au prix des plus rudes efforts et elle s’accuse (31) de n’y être pas restée constamment fidèle. « Ce saint exercice, dit-elle, a été si pénible pour moi pendant plusieurs années, que je regardais comme une faveur de Dieu de pouvoir retirer une goutte de ce puits sacré (32) » — Et encore (33) : « Pendant des années entières, je me préoccupais moins d’utiles et saintes réflexions que du désir d’entendre l’horloge m’annoncer la fin de l’heure consacrée à la prière. Bien des fois, je l’avoue, j’aurais préféré la plus rude pénitence au tourment de me recueillir pour l’oraison… » — Mais l’ennui, le dégoût, les maladies même ne sont pas c’est l’enseignement de tous les mystiques des motifs suffisants de renoncer à un exercice dont ils n’admettent seulement pas l’interruption (34).

Les questions de méthode les laissent, par contre, fort indifférents, et ils ne s’astreignent à en suivre aucune. La plupart d’entre eux ont commencé, comme sainte Thérèse, à « faire oraison » à leur manière, et « sans savoir ce que c’était (35) », guidés par une sorte d’instinct supérieur ; et, à aucun moment de leur vie spirituelle, ils ne se départiront de leurs libres allures. Ces esprits primesautiers répugnent aux laborieuses déductions, à l’emploi des procédés didactiques ces âmes vibrantes et impressionnables ne s’attardent pas, en méditant, aux considérations discursives ; et elles n’ont que faire de ce travail préparatoire dont le but est de déterminer l’émotion par le moyen du raisonnement.

On voit, d’après cela, combien c’est se méprendre que d’appeler [p. 254

saint Ignace — comme le fait M. Murisier (36) — « le plus grand théoricien de la contemplation ». Le livre des Exercices, avec ses progressions méthodiques, ses procédés d’amplification, ses appels raisonnés aux différentes facultés, n’est rien moins qu’un bréviaire de mysticisme. On le définirait plus justement une sorte de manuel scolaire, de gradus ad Parnassum à l’usage des âmes moyennes ; et je ne sache pas qu’aucun grand mystique se soit formé à l’école de Loyola. Sainte Thérèse, qui déplore si souvent de n’avoir pas « le talent de discourir » et qui manquait d’imagination au point de n’être jamais parvenue à se représenter les traits de l’Homme-Dieu (37) — sainte Thérèse, traitant très longuement, dans son autobiographie (38), du premier degré d’oraison mentale (la méditation), ne mentionne même pas la méthode de saint Ignace, qu’un de ses confesseurs jésuites lui avait pourtant fait suivre, au moins en partie. Et d’autres mystiques — la mère Marie de l’Incarnation par exemple (39) — se plaignent, ayant essayé des procédés méthodiques, de s’être vus arrêtés tout net dans leur essor spirituel. C’est qu’il en est des Exercices et, en général, des méthodes de méditer comme de toutes les méthodes, quel qu’en soit le but. Elles ne valent que pour le grand nombre. Tous les initiateurs — et les mystiques méritent ce nom — sont des autodidactes ; ils se passent de programmes tracés d’avance et négligent les règles toutes faites c’est qu’ils, en trouvent de plus sûres dans les inspirations de leur génie ou- de leur cœur.

III

L’on comprend, après cette analyse, que j’aie, au début de cette étude, défini l’ascétisme un procédé de simplification psychologique. Et l’on reconnaîtra pour exacte la répartition que fait M. Murisier des exercices ascétiques en deux catégories les uns négatifs, éliminatoires, ayant pour but de « vider » l’individu, de réduire le nombre de ses états simultanés ou successifs ; les autres positifs, [p. 255] assimilatoires, tendant à renforcer en lui l’idée religieuse, à la maintenir, à la faire prévaloir sur toutes les autres idées.

Et c’est ici le moment de remarquer qu’entre l’ascétisme., considéré comme procédé de simplification, et les « états mystiques » les relations sont étroites. Ceux-ci consistent, en effet, en un rétrécissement progressif du champ de la conscience, en autant de « simplifications » successives (40) au cours desquelles les raisonnements vont se raréfiant, et peu à peu font place, dans l’âme du sujet, à des « affections », lesquelles se simplifient à leur tour jusqu’à se réduire à l’unité, comme il arrive dans l’extase, où le monoïdéisme devient absolu.

Que l’« entraînement » ascétique aboutisse à des résultats certains, qu’il détermine infailliblement, et à lui seul, chez ceux qui s’y livrent, l’état de monoïdéisme extatique, — il serait aussi contraire à la réalité des faits qu’à l’enseignement des théologiens de le prétendre les ascètes n’atteignent pas tous aux « états mystiques ». Mais, en revanche, — j’ai déjà eu l’occasion de le constater, — il y a, en tout mystique, un ascète, et l’efficacité de l’ascétisme, en tant que procédé de simplification, ne saurait être contestée. Efficace, reste à savoir si le procédé est légitime. Je m’explique. L’emploi s’en accorde-t-il avec une parfaite intégrité mentale ? Ou bien faut-il voir dans l’ascétisme un symptôme pathologique, l’indice d’une dégénérescence et d’un déséquilibrement ? — C’est à cette dernière opinion que se rangent la plupart des psychologues contemporains, entre autres M. Murisier.

Les mystiques, d’après lui — je lui emprunte ses expressions — sont, dans des corps malades, des esprits faibles dont les éléments se dissocient au moindre contact avec la réalité sensible. Leur personnalité, mal cimentée, risque à chaque instant de se désagréger, de se perdre en une confusion de sensations variables, d’images incohérentes, de désirs contradictoires. Ils se sentent impuissants à gouverner leurs instincts, à les hiérarchiser. De là, chez eux, un sentiment de profond malaise, et le désir ardent d’échapper aux désordres organiques, au conflit des tendances, à la multiplicité et à la variabilité des sensations et des images, aux exigences opposées de la piété naissante et de la mondanité persistante. Cette délivrance, qu’ils souhaitent si passionnément, comment l’obtiendront-ils, sinon en atteignant à l’unité, et, si possible, à la stabilité de la conscience ? [p. 256] Mais l’unité ne s’établit jamais, chez ces malades, grâce à une coordination normale des éléments psychiques. Ils la réalisent par l’élimination des états variables et des tendances antagonistes. Leur moi, en un mot, ne s’unifie qu’en s’appauvrissant. Et c’est par le moyen de l’ascétisme que s’opère cette simplification pathologique. Donc, pour notre auteur, les mystiques sont des simplifiés, et il donne au mot le sens le plus défavorable. M. le Dr Pierre Janet, lui, les rangeait naguère parmi les hystériques; mais il les tient aujourd’hui pour des abouiques, des scupuleux (au sens des aliénistes), qui demandent à l’ascétisme l’apaisement de leurs conflits intérieurs ; et sa théorie se confond, en somme, avec celle de M. Murisier :

L’état de scrupule ou d’aboulie, dit-il, est déterminé par une incapacité mentale de réunir d’une manière ferme le grand nombre des idées, des sentiments, des sensations qui affluent à notre conscience. Quand l’esprit est vigoureux, il peut conduire tous ces phénomènes psychologiques au dernier degré de la pensée consciente. Quand nous cessons de pouvoir parvenir à ce dernier degré, nous restons dans les états de pensée inférieure caractérises par le doute, l’hésitation, le défaut du sentiment du réel, l’indifférence aux choses présentes. Cet état, surtout s’il se prolonge, est très pénible, et le malade fait des efforts désespérés pour en sortir. Quelques-uns ont senti ou deviné que l’une des principales difficultés de cette synthèse mentale était la multiplicité des phénomènes psychologiques, et ils sont amenés à cette solution qui consiste à restreindre leurs pensées pour les mieux étreindre. La complexité de notre vie est, en effet, la grande raison de cette complexité mentale que d’affaires soulèvent les relations sociales, que de tendances et de désirs amènent la recherche de la fortune et du pouvoir, que de complications et de soucis renferme la famille. Notre vie ne serait-elle pas bien plus simple en supprimant ces complications ? Déjà, des scrupuleux qui ne sont pas du tout des extatiques arrivent sans s’en douter à cette solution. Je connais une jeune fille très bien douée, très artiste et très riche qui, depuis six ans vit seule dans un petit appartement, sans voir jamais sa famille, sans recevoir personne, si ce n’est son médecin, sans jamais sortir, sans presque rien connaître du monde extérieur ; il est certain que, dans cette retraite, ses phobies, ses angoisses, ses hésitations de toute espèce se sont fort atténuées et qu’elle a pu se faire, une existence, sinon agréable, du moins exempte des souffrances du délire. Ne peut-on pas se demander si les phénomènes extatiques ne se développent pas chez certains scrupuleux par un mécanisme analogue ? Il ne faut pas oublier un grand caractère par lequel commence la maladie de l’extase c’est le symptôme pathologique de l’ascétisme ces malades se suppriment successivement toutes les joies, et en même temps tous les désirs de la vie, et toutes les complications, [p. 257] le luxe, les honneurs, les relations sociales, la famille. C’est, parait-il, pour faire plaisir au bon Dieu n’est-ce pas plutôt pour se faire plaisir à eux-mêmes, parce qu’ils commencent déjà à trouver le calme dans cette vie restreinte ? Les véritables extatiques vont encore plus loin, ils arrivent à supprimer par moment toutes les actions matérielles, la perception même du monde extérieur, et ils se renferment dans la contemplation intellectuelle d’un très petit nombre d’idées. Mais alors ils n’ont plus de peine à embrasser ces idées, à les conduire à la perfection psychologique, à ce dernier degré où les idées touchent au réel, déterminent la décision volontaire, la certitude et l’unité absolue de la pensée. Je me demande si la béatitude caractéristique de l’extase n’est pas due à la perfection momentanée des idées à laquelle les malades ne sont pas accoutumés. Les scrupuleux ont aussi des oscillations du niveau mental quand ils sont au bas degré, incapables de pousser au réel et d’unifier leurs idées, ils ont une souffrance perpétuelle, et ils deviennent très heureux quand, pour un moment, leur esprit monte plus haut et atteint la certitude. C’est cette unité, cette concentration de l’esprit sur un point qui donne au sujet le sentiment d’une activité mentale complète et lui fait éprouver ce bonheur.

L’extatique est donc un scrupuleux qui tend vers l’hystérie, qui s’en rapproche momentanément, sans y atteindre jamais tout à fait (41).

*
*    *

Je pourrais nommer, après MM. Janet et Murisier, des hommes tels que M. le D’r Georges Dumas, par exemple (42), qui font, eux aussi, et par les mêmes arguments, le procès de l’ascétisme, un procès dont il y a lieu, ce me semble, de tenter la révision.

Les psychologues que je viens de citer partent tous d’une constatation identique, à savoir que les mystiques aspirent unanimement et passionnément à l’unité. Constatation fort exacte. La doctrine mystique orthodoxe (à supposer qu’il y en ait une indépendante du dogme) se ramène à l’affirmation de l’universelle unité. Dieu est un, l’Univers est un, l’homme, ce microcosme, était primitivement un ; et il doit se donner pour tâche-essentielle de reconquérir l’unité perdue. « Le vrai adorateur, écrit une mystique contemporaine, est celui dont l’âme, affranchie de toute multiplicité, revenue à la simplicité parfaite, est parvenue à s’accorder elle-même dans une harmonie sans aucune dissonance, ayant effacé par un effort soutenu [p. 258] tout partage, toute division, toute contradiction, pour rentrer dans l’unité primitive de son être (43)… »

Cette aspiration à l’unité n’est pas, qu’on le remarque, spéciale aux mystiques. Le savant, le penseur, l’artiste y aspirent, eux aussi ; ils fuient toutes les occasions de se dissiper ou de se distraire et s’enferment à triple clef dans leur tour d’ivoire. Mais que vais-je cherchant mes exemples parmi les individus exceptionnels ? La tendance à l’unité est proprement humaine. Ondoyant et divers, conscient de n’être au dedans de lui-même que variabilité, confusion, incohérence, l’homme se préoccupe naturellement et à juste titre d’organiser son chaos intérieur, et s’efforce de donner quelque consistance au fil si lâche et si cassable qui relie entre eux les innombrables phénomènes dont la succession constitue son moi.

La tendance à l’unité que l’on constate chez les mystiques ne préjuge donc rien contre eux et n’a pas nécessairement de caractère pathologique. Aussi ne l’incrimine-t-on pas en elle-même. Mais on leur reproche de n’assurer l’ordre dans leur conscience qu’au prix d’une série de mutilations. Ce n’est pas tout; et parce qu’ils méprisent les biens, les joies et les honneurs d’ici-bas; parce que, dans un monde où l’argent règne en maître absolu, ils ont choisi pour dame et pour épouse la Pauvreté, cette libératrice; parce qu’ils se gardent chastes parmi les foules en rut, et parce qu’ils tiennent levé au-dessus des passions humaines l’« étendard de l’humilité », comme dit sainte Thérèse, et celui de l’obéissance, on les accuse de se dérober à toutes les complications et à toutes les responsabilités de la vie, de déserter la cité et de renier la famille de s’isoler, en un mot, sous couleur de mortification, dans un égoïsme, « le plus absolu et le plus glacial de tous », pareils à ces alcyons dont parle saint François de Sales et « dont le nid repose sur les flots, impénétrable à la mer, ouvert seulement du côté du ciel (44) ».

Ce réquisitoire, qui ne vise à rien moins qu’à faire de l’ascétisme un instrument trop efficace de mutilation intellectuelle et, par là même, l’auxiliaire des plus mortels instincts de paresse et d’inertie, ne me paraît pas irréfutable.

Et d’abord, une simple remarque. Le savant, le penseur, l’artiste dont je constatais tout à l’heure l’aspiration à l’unité, méritent, tout comme les mystiques, la qualification de « simplifiés » ; ils [p. 259] s’appliquent à concentrer leur esprit sur un petit nombre d’idées ou sur une idée unique. L’homme d’action, voué à l’accomplissement de quelque grand dessein, tend, lui aussi, au monoïdéisme. « La concentration de nos facultés sur une idée unique n’est-elle pas, comme l’a dit M. Boutroux (45), le principe même de l’action ? » Et l’on est en droit de supposer qu’en fait l’unité mentale ne s’établit jamais que par voie de simplification.

Jugeât-on cette opinion erronée, il ne s’ensuivrait pas que les mystiques fussent les mutilés de l’esprit qu’on nous dépeint. On ne les dépeint comme tels qu’en les assimilant à des abouliques, à des scrupuleux. Et ils ont, en effet, avec les abouliques, quelques traits de ressemblance. Mais la ressemblance est toute superficielle, et l’on peut même affirmer que, dans le monde mental, mystiques et abouliques occupent les pôles opposés. Les abouliques sont affligés d’une « trop grande richesse d’impressions et d’idées », d’une « abondance excessive de données conscientes » (46). Impuissants à les coordonner, ils en sacrifient une partie. Tel n’est pas du tout le cas des mystiques. Leurs idées, le plus souvent, s’harmonisent et se coordonnent en un ordre parfaitement logique. Ces êtres intuitifs, peu portés aux spéculations abstraites, et qui se soucient moins de « penser beaucoup » que « d’aimer beaucoup (47) », de philosopher que de bien vivre, ne souffrent pas d’ailleurs d’une complexité mentale exagérée. Ils ne connaissent ni les angoisses du doute, ni l’obsession des problèmes métaphysiques, mais, en revanche, se préoccupent d’assurer en eux le triomphe de l’humilité sur l’orgueil, par exemple, ou de l’amour de Dieu sur l’amour du monde. Les conflits intérieurs dont l’ascétisme leur procure l’apaisement sont, en un mot, des conflits d’ordre moral bien plutôt que d’ordre intellectuel. Si, chez les mystiques orthodoxes, ascétisme n’est pas synonyme de mutilation intellectuelle, il ne l’est pas davantage d’égoïsme et de paresse.

C’est un des caractères de la vie d’être rythmique, faite d’élans et de recueillements alternés. Ces oscillations prennent, dans la vie des mystiques, une amplitude exceptionnelle et la partagent en deux [p. 260] états, reliés entre eux par une série indéfinie d’états intermédiaires, mais qui, à de certains moments caractéristiques, s’opposent nettement l’un à l’autre.

A de certaines heures, lorsque le champ de leur conscience se rétrécit au point de ne plus admettre qu’un très petit nombre de représentations, on constate chez eux un affaiblissement graduel des sentiments sociaux ; ils se détachent peu à peu du monde sensible et de toute pensée ou préoccupation relative aux créatures. Et quand ils atteignent au monoïdéisme extatique, à l’unité absolue de la conscience, cet affaiblissement des sentiments sociaux dégénère en suppression totale (48). Leur âme, ramassée sur elle-même .et concentrée en un regard fixe, oublie tout ce qui n’est pas l’unique objet dont la vision l’éblouit.

Mais l’extase et les états qui la précèdent ne durent que de courts moments (49) ; et ces états si passagers sont séparés les uns des autres par de longs intervalles. Entre temps, les mystiques font preuve de sentiments éminemment sociaux et c’est à tort qu’on les représente engourdis en un lâche isolement — in angulo cum libello — et se dérobant à tous les contacts. Ils nous apparaissent, au contraire, comme des militants, épris de mouvement et d’action, doués au plus haut point des qualités qui font les manieurs d’hommes et les organisateurs. La tendance qu’on leur reproche le plus témoigne, chez eux, à elle seule, d’un puissant instinct social, et elle implique toute une sociologie. S’ils aspirent à s’unifier, ce n’est pas dans un intérêt égoïste mais ils croient l’humanité appelée à n’avoir en Dieu qu’un cœur et qu’une âme, et que par le moyen de l’unité individuelle se réalisera cette unité collective où vont leurs plus chers désirs. Le Christ n’a-t-il pas dit : « Qu’ils soient un tous ensemble, comme vous, Père, êtes en moi et moi en vous ; qu’ils soient de même un en nous (50) ». — « Être un tous ensemble », voilà la suprême ambition [p. 261] des mystiques, et ils ne conçoivent le bonheur que dans la fraternité (51). Aussi, comme le veut l’Évangile, ne séparent-ils pas de l’amour de Dieu l’amour du prochain (52). Cet amour du prochain prend chez eux mille formes diverses ils se répandent en aumônes et en prières ; ils ont pour toutes les misères physiques des trésors de pitié et de tendresse et, pour les âmes, brûlent d’un zèle « apostolique ». Et non seulement ils pratiquent la charité sous toutes ses formes, mais ils la mettent au-dessus de tout. « La consolation intérieure, dit Ruysbroeck, est d’un ordre moins élevé que l’acte d’amour, qui rend service aux pauvres spirituellement ou corporellement. Si vous êtes ravi en extase aussi haut que saint Pierre ou saint Paul… et si vous apprenez qu’un malade a besoin d’un bouillon chaud… je vous conseille de vous éveiller un instant et de faire chauffer le bouillon… » — Et sainte Thérèse (53) : « Il ne faut pas consacrer à l’oraison un temps qui serait réclamé par l’obéissance ou par l’utilité du prochain ». Dans les deux cas l’on doit « sacrifier généreusement ces heures si chères et si délicieuses que l’on voudrait passer à s’entretenir avec Dieu dans la solitude ». Les longues périodes actives que je viens de décrire et qui, dans la vie des mystiques, alternent avec de courts éblouissements contemplatifs, ne sont méconnues de personne, et les psychologues contemporains en constatent, tout les premiers, la réalité. D’où vient cependant qu’ils persistent à dénoncer, pour la plupart, l’égoïsme et l’inertie mystiques, affirmant qu’« en droit », sinon en fait, « le type mystique pur exclut l’élément social » et que « la vie contemplative est la négation de la vie active » ?

C’est qu’ils n’ont pas approfondi la notion d’alternance et n’en ont pas dégagé tout le contenu. Elle implique, en même temps qu’une opposition, un rapport de cause à effet. Le sommeil alterne [p. 262] avec la veille, l’hiver avec l’été, l’action avec le repos. Entendons par là que le sommeil prépare la veille, que l’été sort de l’hiver, que l’action enfin naît du repos et ne le suit pas seulement. La légende et l’histoire nous montrent tous leurs grands hommes se recueillant dans la solitude et le silence avant d’entrer en lice. Ne nous arrive-t-il pas à nous-mêmes de demander à l’isolement, à la réflexion solitaire des forces pour mieux affronter les luttes prochaines ? Nous avons tous notre grotte de Manrèse, où nous nous retirons à de certaines heures ; et le cas des mystiques ne diffère au fond du nôtre que comme étant plus caractéristique. Sainte Thérèse, pour ne citer qu’elle seule, déclare, à bien des reprises, que « le but de l’oraison n’est pas le repos, mais l’activité ». « Cherchons, dit-elle, dans ce saint exercice, non les douceurs spirituelles, mais des forces tout apostoliques pour servir notre Époux. Pour donner à Notre-Seigneur une hospitalité parfaite, il faut que Marthe et Marie se joignent ensemble (54) ». Quant à elle, c’est au sortir de l’extase — elle en sort « le corps plein de santé et admirablement disposé pour agir (55) —qu’elle sent « germer en son âme les promesses et les résolutions héroïques (56). Qu’est-ce à dire, sinon que, chez les mystiques, non seulement la contemplation n’exclut pas l’action, mais encore qu’elle la prépare et la détermine ? Cette proposition contient, si elle est juste — et dans la mesure où elle est juste — un sérieux argument en faveur de la vie contemplative, et, puisque le mysticisme est fonction de l’ascétisme, la meilleure apologie que l’on puisse faire de l’ascétisme mystique.

MONTMORAND.

Notes

(1) Le Château intérieur, 4e demeures, ch. I.

(2) Château, 4e dem., ch. II.

(3) lb., 4e dem., ch. III.

(4) Ib., 8e dem., eh. II.

(5) Pantagruel, liv. IV, ch. XXXII.

(6) 2e sermon pour la Pentecôte.

(7) Saint Jean de la Croix, La Montée du Carmel, liv. I, ch. III.

(8) Cette comparaison, qui est cette de la sagesse indienne, a été employée par sainte Thérèse, Château, 4e dem., ch. III.

(9) Les ascètes chrétiens sont presque tous des scatophages. Rien d’exceptionnel dans le cas d’une Agnès de Jésus avalant le vomissement d’une cancéreuse et léchant ses doigts couverts du pus d’une plaie qu’elle venait de panser ; ni dans celui d’une Marguerite-Marie avalant, elle aussi, des vomissements, et, pour se punir d’avoir eu un haut-le-cœur en soignant une dysentérique, en mangeant la déjection. Remarquons, du reste, que les ascètes, dans la vie desquels on note beaucoup de traits du même genre, ne sont pas, comme on pourrait le croire, atteints de perversion du goût. Ce n’est qu’en surmontant les plus violentes répugnances qu’ils en viennent à des actes tels que ceux dont je viens de parler. La moindre saleté lui faisait bondir le cœur dit Marguerite-Marie parlant d’elle-même, et elle compte parmi ses plus cruelles pénitences, détestant le fromage, d’avoir pris sur elle d’en manger régulièrement. Quant à Mme Guyon, à qui il arriva de goûter à un crachat, voici en quels termes elle raconte le fait (Vie, Ire p., ch. X) : « J’avais un tel dégoût pour les crachats que, lorsque je voyais ou entendais cracher quelqu’un, j’avais envie de vomir. Il me fallut, un jour que j’en aperçus un, le plus vilain que j’aie jamais vu, mettre ma bouche et ma langue dessus l’effort que je me fis fut si étrange, [p. 246] que je ne pouvais en revenir ; et j’eus des soulèvements de cœur si violents que je crus qu’il se romprait en moi quelque veine… Je fis cela tout autant de temps que mon cœur y répugna… »

(10) Montée du Carmel, liv. III, ch. I.

(11) Montée, liv. II, ch. VI.

(12) I, Cor. III, 19.

(13) Montée, liv. III, ch. XIV.

(14) Fondations, ch. V.  — Chemin de la Perfection, ch. XIX.

(15) Imitation, f, XI.

(16) Les mystiques ont voulu être et ont été, en un sens, des obéissants. Mais j’aurai à me demander ailleurs comment la pratique de l’obéissance se concilie chez eux avec l’instinct de souveraine indépendance qui les caractérise à un tel point que leur vie a pu être définie : une perpétuelle auto-suggestion.

(17) Château, 4e dem., ch. II. — Chemin de la Perfection, ch. XIX.

(18) Chemin de la Perfection, ch. XXXIII.

(19) Saint Jean de la Croix, Montée, liv. I, ch. XIII. On trouve la même expression chez Marguerite-Marie.

(20) Sainte Thérèse, Vie, ch. XX. « Je suppliai instamment Notre-Seigneur de vouloir bien ne plus me favoriser de ces grâces qui se trahissent par des signes extérieurs ». —Cf. Marguerite-Marie, Autobiographie : « Pourvu, ô mon souverain Maître, que vous ne fassiez jamais rien paraître en moi d’extraordinaire que ce qui me pourra le plus causer d’humiliations et d’abjections devant les créatures, et me détruire dans leur estime… » — Tels sont les sentiments de tous les mystiques orthodoxes. Ils redoutent par-dessus tout d’attirer sur eux l’attention, et ne veulent que « la croix toute pure ».

(21) Introduction à la vie dévoilée, IIe partie, ch. IX. — Cf. IV partie, ch. XII.

(22) Exercices. — Additions à observer pour mieux faire les exercices et trouver plus sûrement ce qu’on l’on désire.

(23) Introduction à la vie dévote, 3° p., ch. XXIII ; cf. le P. Surin, Catéchisme spirituel, 5° p., ch. III.

(24) Ribet, l’Ascétique chrétienne.

(25) En regardant souvent Notre Seigneur par la méditation, dit très exactement saint François de Sales, toute votre âme se remplira de lui ; » (Introduction de la vie dév., 2e p., ch. I.)

(25) On évitera avec soin, dans la représentation des objets sensibles, de se les figurer comme de simples tableaux ou comme des faits accomplis il y a plusieurs siècles. On agira au contraire comme si l’on était soi-même actuellement témoin de tous ces faits, comme si l’on était dans l’étable de Bethléem, ou sur le calvaire, comme voyant tout de ses oreilles, comme étant réellement présent à l’accomplissement de tous ces mystères. » (Le P. Roothaan, De la manière de méditer.)

(26) Les Exercices contiennent de nombreux modèles d’amplifications de ce genre, de nombreuses matières de méditations (ce mot de collège est ici bien à [p. 252] sa place), avec la façon de les développer. Soit, par exempte, la méditation sur l’enfer : « Dans le premier point, je verrai des yeux de l’imagination ces feux immenses, etc. Dans le deuxième, j’entendrai les gémissements, les cris, etc. Dans le troisième, je me figurerai que je respire la fumée, etc. Dans le quatrième, je m’imaginerai goûter intérieurement des choses amères, … etc. Dans le cinquième, je toucherai ces flammes vengeresses »… etc.

(27) Introd. à la vie dév., 2° p., ch. II et suiv. —Tronson, Manuel du Séminariste.

(28) Introd., 2e p., ch. V, VII.

(29) Saint François de Sales. Traité de l’amour de Dieu, liv. VI, ch. III : « L’oraison s’appelle méditation jusqu’à ce qu’elle ait produit le miel de la dévotion après cela, elle se convertit en contemplation. Le désir d’obtenir l’amour divin nous fait méditer, mais l’amour obtenu nous fait contempler… »

(30) Ils y reviennent même une fois qu’ils ont atteint aux « états surnaturels » d’oraison. « Il n’est point d’âme, dit sainte Thérèse, fût-elle de la taille d’un géant dans la vie spirituelle, qui ne doive souvent revenir à l’enfance et à la mamelle. Il n’existe aucun état d’oraison si élevé où il ne soit souvent nécessaire de revenir au commencement. (Vie, ch. XIII.)

(31) Vie, ch. VII.

(32) Ib., ch. XI.

(33) Ib., ch. VIII.

(34) Ib., ch. VII, VIII. — Chemin, ch. XXII, XXIV.

(35) Ib., ch.  IX. Cf. Marguerite-Marie, Autobiographie : « Je me sentais si fortement attirée à l’oraison, que cela me faisait beaucoup souffrir de ne savoir, ni pouvoir apprendre comme il la fallait faire… et je n’en savais autre chose que ce mot d’oraison, qui ravissait mon cœur… Mon souverain Maitre m’apprit comme il voulait que je la fisse. »

(36) Les maladies du sentiment religieux.

(37) Vie, ch. IV, IX. Cette impuissance à discourir, ce défaut d’imagination, ce sont justement les signes de la vocation contemplative : « Or, il y a trois signes. Le premier est quand on reconnaît qu’on ne peut plus ni méditer ni se servir de l’imagination… Le troisième signe… c’est lorsque l’âme se plaît à demeurer seule en son fond, sans faire aucun acte développé, soit de la mémoire, soit de l’entendement, soit de la volonté… » (Montée, liv. II, ch. XIII.)

(38) Ch. XI-XIII.

(39) Histoire de la vénérable mère Marie de l’Incarnation (ursulines), par l’abbé Léon Chapot, 1er p., ch. IV.

(40) « Quand, par le progrès du temps, les âmes se sont exercées à cette multip[icité d’actes intérieurs… il faut que ces exercices s’unissent en un exercice de plus grande simplicité… de sorte que cette multiplicité se convertisse en unité. » (Directoire de la Visitation, art. 13, in fine.)

(41) Une Extatique, Conférence faite à l’Institut psychologique international, le 25 mai 1901.

(42) Auguste Comte amoureux et mystique, Conférence faite à l’Institut général psychologique, le 6 avril 1903.

(43) La Vie spirituelle et l’Oraison d’après la Sainte Ecf~Mt’e et la tradition monastique. Solesmes, 1899.

(44) A. Godfernaux, Sur la psychologie du mysticisme. Revue philosophique, février 1902.

(45) La Psychologie du mysticisme. — Revue Bleue, 15 mars 1902. — « C’est dans la mesure où elles deviennent exclusives que nos idées cessent d’être de pures idées pour tirer à elles les forces vives de l’âme et se changer en volontés et en actes. »

(46) Ce qu’a fort bien montré M. Leuba (Les tendances fondamentales des mystiques chrétiens. — Revue philosophique, juillet 1902).

(47) « L’essentiel n’est pas de penser beaucoup, mais d’aimer beaucoup (Château, 4e dem., cit. I.)

(48) « L’âme s’élève au-dessus de tout le créé dit sainte Thérèse. (Vie, ch. XX.)

(49) J’insiste sur ce point. Les psychologues contemporains auraient en effet une propension à exagérer la durée des périodes d’« union mystique ». C’est qu’ils subissent à leur insu, le fait est curieux à constater, l’influence quiétiste et paraissent avoir lu plus attentivement Mme Guyon que sainte Thérèse. Tel d’entre eux (M. Godfernaux, Le Sentiment et la Pensée, p. 50, à la note), empruntant, dit-il, « aux ouvrages mystiques les éléments d’une étude sur l’extase, ne citera guère que des auteurs quiétistes. Or les quiétistes admettaient, comme on sait, l’acte continu et universel.

En réalité, la contemplation mystique n’est qu’un éclair, un acte essentiellement transitoire, une communication dont on ne jouit qu’en passant, raptim, dit saint Bernard. (Cf. Bossuet, Instruction sur les Etats d’oraison, liv. I, XIV et suiv.).

(50) Jean, XVII, 21-24.

(51) La suprême récompense des élus est, d’après sainte Thérèse, dans le spectacle de l’allégresse commune. (Chemin de la Perfection, ch. XXXI.)

(52) « Dieu ne demande de nous que deux choses, dit sainte Thérèse, l’une de l’aimer, l’autre d’aimer notre prochain. La marque la plus assurée pour savoir si nous pratiquons fidèlement ces deux choses, c’est, à mon avis, d’avoir un amour sincère et véritable pour notre prochain… ». (Château, 5e dem., ch. III.) Les maux qu’elle a constamment endurés (dans son amour pour les âmes) sont tels qu’elle compte les autres pour rien. Pour en tirer une seule du péché mortel, elle « donnerait mille vies ». (Vie, ch. XXXII.)

(53) Fondations, ch. V. —Cf. Château, 5e dem., ch. III : « Si vous voyez une personne infirme ou souffrante que vous puissiez soulager en quelque chose, quittez hardiment l’oraison pour l’assister ; compatissez à ce qu’elle endure ; que sa douleur soit aussi la vôtre ; et si, pour lui donner la nourriture dont elle a besoin, il faut que vous jeûniez, faites-le de grand cœur. C’est là la véritable union. »

(54) Château, 7e dem., ch. IV. —Cf. Vie, ch. XVII, et Fragments du livre sur le Cantique, ch. VII. — « Quoiqu’il semble que l’âme ne puisse s’adonner à l’action qu’au détriment de la contemplation, ces deux choses ne sont pas incompatibles, Marthe et Marie peuvent marcher de concert, car l’intérieur opère dans les choses extérieures… » (Château, 5e dem., ch. III.)

(55) Vie, ch. XX.

(56) Ib., ch. xXIX.

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