Bouillet. Sommeil. Extrait de « Encyclopédie moderne : dictionnaire abrégé des sciences, des lettres, des arts, de l’industrie, de l’agriculture et du commerce. 25. Rongeurs-Sucre / publ. par MM. Firmin Didot frères ; sous la dir. de M. Léon Renier », Paris, tome 25, 1847, colonne 565-569.

Bouillet. Sommeil. Extrait de « Encyclopédie moderne : dictionnaire abrégé des sciences, des lettres, des arts, de l’industrie, de l’agriculture et du commerce. 25. Rongeurs-Sucre / publ. par MM. Firmin Didot frères ; sous la dir. de M. Léon Renier », Paris, tome 25, 1847, colonne 565-569.

 

Bouillet Jean-Henri-Nicolas (1729-1790). Médecin et épidémiologiste, docteur de la faculté de médecine d Montpellier, ilcooabora également à l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[colonne 565]

SOMMEIL. Buffon dépeint ainsi le sommeil : « Une langueur agréable, s’emparant peu à peu de tous les sens, appesantit mes membres, et suspendit l’activité de mon âme. Je jugeai de son inactivité par la mollesse de mes pensées ; mes sensations émoussées arrondissaient tous les objets, et ne me présentaient que des images faibles et mal terminées. Dans cet instant, mes yeux, devenus inutiles, se fermèrent, et ma tête, n’étant plus soutenue par la force des muscles, pencha pour trouver un appui sur le gazon. Tout fut effacé, tout disparut ; la trace de mes pensées fut interrompue ; je perdis le sentiment de mon existence. »

Si l’on explique le sommeil par ses effets apparents, on dira que c’est, en quelque sorte, une intermittence de la vie animale. En effet, [colonne 566] pendant son action il y a suspension complète des actes de la vie par lesquels l’homme se met en rapport avec les objets extérieurs. Mais si on l’explique par les phénomènes internes, on dira que c’est tout simplement le repos périodique et nécessaire de la matière organisée, une suspension momentanée d’action de la plupart des organes, sans pour cela que le cours des phénomènes de la vie et de la nutrition soit un seul instant interrompu. Pour l’homme, indépendamment du repos physique dont il jouit comme les autres animaux, c’est encore le baume réparateur qui vient rafraîchir ses esprits, suspendre les peines de son âme, adoucir l’impression des sensations diverses qui l’ont frappé dans la journée, et lui donner de nouvelles forces pour soutenir les nouveaux combats qui l’attendent souvent au réveil. Le malheureux trouve dans le sommeil l’oubli de ses peines ; son âme, un instant consolée par des rêves agréables, goûte un repos réparateur ; et souvent celui qui s’endort en désespérant de l’avenir, en maudissant sa destinée, trouve à son réveil une force nouvelle, qui lui fait envisager son sort sous des couleurs moins sombres. Peu de criminels dorment d’un sommeil paisible ; les nuits qui précèdent leur supplice ou leur jugement sont troublées par de terribles insomnies, ou par des rêves plus cruels encore. On a vu, au contraire, des hommes condamnés à perdre la vie pour des causes politiques, d’innocentes victimes de l’ignorance de leurs juges, de la fureur ou de la stupidité des partis, s’endormir tranquillement, pour n’ouvrir les yeux qu’au moment où la foule avide se rassemblait pour voir couler un peu de sang sur l’échafaud.

L’homme dort-il tout entier ? Ses facultés intellectuelles participent-elles complètement à l’état d’engourdissement où se trouvent ses organes locomoteurs ? Des physiologistes ont tour à tour établi ou repoussé cette opinion. L’observation et l’expérience apprennent que nos sens perdent successivement leur action ; le corps ne s’endort pas au même moment dans toutes ses parties. Les actions musculaires, soumises à l’empire de la volonté, sont les premières qui tombent dans l’engourdissement.

D’abord la vue s’obscurcit, les paupières se ferment, et la perception des objets devient impossible. Si l’homme est debout, ses jambes fléchissent, sa tête se penche, tous les muscles tendent à cesser leur action, la main laisse échapper ce qu’elle tient, l’engourdissement des membres avertit le corps qu’il n’aura bientôt plus d’appui. Le sol, un lit, une pierre, tout est bon, pourvu que les muscles puissent se détendre et cesser momentanément leurs fonctions. [colonne 567]

Le sens du goût, puis celui de l’odorat et celui de l’ouïe, puis enfin celui du tact, s’engourdissent successivement, et viennent compléter l’état de sommeil. L’appareil respiratoire, celui de la circulation, les sphincters, sont les seuls qui ne participent point à l’état d’engourdissement général. La digestion et les sécrétions diverses se font comme dans l’état de veille. Le cerveau, qui n’est plus sollicité par l’impression des sensations extérieures, entre sans doute lui-même dans un état qui doit être mixte entre l’état de travail et l’état de repos absolu les rêves qui accompagnent si souvent le sommeil, le somnambulisme qui singularise celui de quelques personnes, ne permettent guère de douter qu’il se passe en nous, pendant le sommeil, quelque chose d’analogue aux opérations ordinaires qui produisent la pensée pendant l’état de veille. La durée du sommeil est entièrement arbitraire, ainsi que son retour périodique. L’âge, les habitudes, les occupations, modifient cette condition essentielle de notre existence ; mais on peut dire que la durée moyenne et nécessaire du sommeil de l’homme est de cinq à six heures sur vingt-quatre.

Trop dormir rend le sang lourd, dit-on ; il faudrait dire, pour être plus exact, que c’est le sang lourd qui provoque au sommeil. L’homme actif, doué d’une imagination ardente, ne dort guère ; et c’est plutôt un effet de son organisation que de sa volonté, quoique cependant l’habitude et une volonté ferme puissent parvenir jusqu’à un certain point à modifier nos dispositions naturelles. Mais, quelle que soit notre volonté, quelque désir que nous ayons d’augmenter notre sphère d’activité en dérobant au sommeil un temps que nous croyons devoir employer plus utilement la nature à poser des bornes qu’il ne nous est pas possible de franchir. Nous ne pouvons pas plus nous passer de sommeil que d’aliments. On a vu des soldats, au milieu des marches forcées si fréquentes dans nos belles campagnes, la nuit, par des temps affreux, profiter de la plus petite halte, et se coucher dans l’eau, dans la boue, espérant retrouver par un seul instant de repos la force qui les abandonnait. Nous avons vu en Espagne, dans un moment critique où un petit corps de notre armée échappait comme par miracle à la poursuite active d’un ennemi sans miséricorde, quelques-uns de nos braves compagnons chercher à se soustraire à la surveillance de leurs camarades, s’écarter de la colonne, et se cacher, dans l’espoir trompeur de ne dormir que quelques minutes, sachant bien pourtant qu’une mort certaine et cruelle les, attendait, s’ils fussent tombés entre les mains de. ceux qui nous harcelaient sans relâche. [colonne 568]

Le sommeil est plus ou moins profond, plus ou moins complet, suivant l’état de fatigue de l’individu, suivant la disposition de son esprit, et suivant le temps qui s’est écoulé depuis qu’il n’a goûté ce repos réparateur. On voit des hommes, fortement préoccupés du devoir qu’ils ont à remplir, conserver libre, tout en sommeillant, celui de leurs sens qui doit particulièrement leur prêter son action, et s’éveiller à la plus légère sensation produite sur l’organe vigilant : une voix connue, un bruit familier, s’ils sont le signal ordinaire du réveil, suspendent à l’instant même le sommeil de celui qui résisterait à toute impression étrangère à cette habitude. Une mère s’éveille au plus léger cri de son enfant, et souvent se montre insensible à tout autre bruit qui frappe son oreille.

L’engourdissement cesse par degrés, comme il a commencé, et les sens se réveillent successivement. L’ordre dans lequel ils se raniment est inverse de celui dans lequel leur extinction avait eu lieu. Les opérations intellectuelles et affectives sont les premières qui se reproduisent, et ce sont aussi celles qui sont les plus faciles à exciter ; ce qui explique l’origine des rêves, dont la production n’est sans doute due qu’à une excitation mécanique du cerveau. Viennent ensuite le sens du toucher et celui de l’ouïe, puis celui de la vue, et les actions musculaires. Les sensations internes, telles que la faim et les douleurs, reparaissent, si l’on est dans le cas de les éprouver. Enfin la volonté reprend son influence régulatrice sur tons les organes soumis à son influence, et le réveil est complet.

Nous avons dit qu’il devait se passer en nous, pendant le sommeil, quelque chose d’analogue à ce qui s’y passait pendant la veille. Les rêves en sont la preuve, et plus encore le singulier phénomène du somnambulisme, qui n’est, à proprement parler, qu’une sorte de rêve, accompagné de l’action des muscles soumis à la volonté. Le cerveau de l’homme, fortement excité dans la journée, conserve pendant le sommeil un ébranlement qui ne s’éteint que peu à peu. Aussi les rêves sont-ils plus fréquents au commencement du sommeil que lorsqu’il est bien établi et il est si vrai que les rêves ne sont dus qu’à celte action mécanique, qu’il y a toujours une grande analogie entre la nature des rêves et l’état moral ou physique, l’âge, le tempérament, les passions, l’état de santé de celui qui les éprouve. Nous avons eu plusieurs fois la preuve de cette vérité ; car nous avons produit à volonté sur plusieurs personnes des rêves de diverse nature, au moyen de différentes sensations que nous leur faisions éprouver. Un homme, profondément endormi sur une chaise, s’éveilla en sursaut, se croyant au milieu des [colonne 569] flammes. Nous avions produit ce rêve chez lui en faisant entendre à ses oreilles pendant assez longtemps ces mots au feu !prononcés à de certains intervalles, en élevant graduellement la voix avec un accent lamentable. Le cauchemar est presque toujours le résultat d’une digestion pénible ou de quelque gêne dans la circulation, produite par une mauvaise position du corps.

La léthargie, qui est aussi une espèce de sommeil, est une suspension plus complète et plus longue des fonctions animales ; elle est due à diverses complications dont il est traité au mot LÉTHARGIE.

Il est une autre espèce de sommeil, provoqué artificiellement par les effets d’une pratique dont les résultats ne sont pas encore bien connus, quoique beaucoup de gens s’en soient occupés et que beaucoup d’écrits aient été publiés à ce sujet nous voulons parler du sommeil magnétique. Bouillet.

 

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