Bonnet. Un cas de folie spirite. Article paru dans le « Bulletin de la Société Clinique de Médecine Mentale », (Paris), tome deuxième, année 1909, pp. 307-311.

bonnetspiritisme0001Bonnet. Un cas de folie spirite. Article paru dans le « Bulletin de la Société Clinique de Médecine Mentale », (Paris), tome deuxième, année 1909, pp. 307-311.

Nous n’avons pas trouvé de références sur ce Dr Bonnet en particulier.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. — L’ image a été rajoutée par nos soins. — Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 307]

Un cas de folie spirite, par M. BONNET. (Présentation de malade).

On a dit que tous les délirants spirites étaient des prédisposés portant plus ou moins le sceau de la dégénérescence ou de la débilité mentale. Mais je crois aussi — et c’est le cas que je vous présente ici — que chez des personnes suffisamment équilibrées mais chez lesquelles une instruction insuffisante ne permet pas de contrôler le résultat des pratiques spirites, le spiritisme peut être la cause occasionnelle du délire, parce qu’il fait naître l’automatisme des centres psycho-moteurs. La prédominance du sub-conscient s’exercera d’autant plus facilement que le sujet moins instruit, basant ses convictions sur de vaines apparences, ne cherchera pas à remonter des effets à leurs causes logiques et croira mieux à l’influence du surnaturel.

Nous ne trouvons pas de tare dégénérative chez notre malade.

Ses antécédents héréditaires sont normaux. Elle n’a qu’une instruction primaire mais elle a pu exercer pendant 8 ans les fonctions de vendeuse aux magasins du Louvre ce qui dénote une intelligence suffisante. Notre malade donne avec facilité et intelligence les détails demandés sur ses pratiques spirites et sur son trouble mental.

Elle a quitté le Louvre pour se marier avec un huissier établi [p. 308] en Normandie. Pendant 18 ans elle se montre pondérée, bonne mère de famille, intelligente dans la direction de son intérieur. Elle élève deux enfants, en perd un à l’âge de 10 ans ; à ce moment se produit ce qu’elle appelle une crise de désespoir qui s’explique d’une façon normale.

La mort de son mari survient en août 1908. Quelque temps avant sa mort, elle se trouve dans une société d’amis où l’on fait tourner des tables. Elle n’y attache pas grande importance étant plutôt même incrédule. Mais son mari lui laisse une situation financière quelque peu embarrassée. Au lieu de 15.000 francs environ sur lesquels elle comptait, elle ne recueille que 3.000 francs. Elle se rend compte qu’elle doit travailler, elle a bon courage, elle se montre énergique même et comme elle était restée 8 ans au Louvre, elle croit pouvoir trouver facilement à Paris une place de vendeuse. Partout on l’éconduit sous prétexte qu’elle est trop âgée et les déboires commencent. C’est sans succès qu’elle recherche diverses situations malgré les avis de son entourage et si j’insiste un peu sur cette période de sa vie c’est pour vous montrer par suite de quelles circonstances elle a eu l’idée de recourir aux pratiques spirites.

A cette époque, une dame de ses amies qui s’occupait de spiritisme, lui apporte une communication émanant de son défunt mari, communication que lui avait donnée un médecin célèbre. « Moi qui ne croyais à rien disait le mari à sa chère femme, je suis bien obligé de croire maintenant. Ne te tourmente pas, je veillerai sur toi et sur nos enfants. » La communication était accompagnée d’un trèfle à 4 feuilles de grande dimension qui lui parut extraordinaire.

Cette communication de son défunt mari l’impressionne beaucoup. Elle pense bien cependant que n’ayant qu’un enfant, son mari n’aurait pas dû lui dire : Je veillerai sur nos enfants, néanmoins cet encouragement post-mortem contribue à étayer sa foi au spiritisme.

La dame amie l’encourage du reste à demander au spiritisme des consolations, des conseils et elle frappe son esprit en lui disant que la feuille de trèfle est un envoi de son mari, une matérialisation produite par un médium qui a la spécialité des matérialisations. Elle ajoute d’ailleurs que les médiums qui arrivent à produire des matérialisations sont les plus forts de tous, plus forts que ceux qui déterminent des apparitions.

En attendant, la situation espérée n’arrive pas et notre malade s’impatiente. Elle remarque que les personnes de son entourage ne lui donnent que des avis, avis souvent opposés et non pas de véritables conseils.

C’est alors qu’elle a l’idée de demander aux esprits le véritable conseil dont elle a besoin pour réussir. D’incrédule qu’elle était quand elle assistait à des pratiques spirites faites en public, elle devient très crédule dès qu’elle opère seule. Elle accepte d’emblée les réponses de l’écriture auto-motrice, car elle estime qu’il est surnaturel de pouvoir écrire sans penser ce que l’on va transcrire [p. 309] sur le papier. Elle interroge donc très fréquemment les tables, puis avec un acharnement de plus en plus marqué, elle se livre aux exercices de l’écriture spirite auto-motrice.

Elle invoque de préférence l’esprit de son père plutôt que celui de son mari parce qu’il est mort depuis plus longtemps. Il faut en effet — c’est notre malade qui le dit — un certain temps pour se désincarner. Après la mort on reste dans les ténèbres et on se désincarne peu à peu ; puis on se réincarne sur terre dans d’autres corps de plus en plus parfaits, pour aboutir à la perfection même qui rapproche de Dieu, l’Etre parfait par excellence.

Notre malade achète un petit commerce de mercerie et les voix consultées lui disent, soit : Tu réussiras, soit : Tu ne réussiras pas ou : Tu manques de persévérance, etc. Les essais, comme médium écrivain, lui donnent de meilleurs résultats que les tables qui ne répondent que par oui et par non. Elle a pu converser ainsi avec son père, avec son mari et avec saint Jean. Ce dernier avait une écriture grosse et appliquée.

Au fur et à mesure que les difficultés de son commerce se font sentir, l’idée d’interroger les esprits augmente. Elle ne peut résister au désir de renouveler les expériences ; cela devient une obsession dit-elle. Elle se levait la nuit pour interroger la table ou converser avec les esprits. L’insomnie commence à se faire sentir et elle ne peut chasser de son cerveau les réponses des esprits. Tu vendras, tu ne vendras pas, tu réussiras, tu ne réussiras pas, etc., sont les phrases qui l’obsèdent. Chez elle la représentation mentale d’une réponse de l’esprit devient presque égale comme intensité, à une hallucination. Dans ses pratiques d’écriture spirite, sa main marche malgré elle ; elle écrit, dit-elle, des choses qu’elle ne pense pas, et elle croit que c’est l’esprit qui la fait écrire.

Malgré les promesses des esprits, son commerce ne réussit pas ; elle commence à être désespérée. Les malheurs se succèdent. Son fils est souvent malade et son frère meurt. Elle vend son fonds de commerce et sur ces entrefaites son fils est atteint d’appendicite. Elle souffre moralement, croit que son fils va mourir et subitement entend une voix lui dire : Tu trouveras une place, ton fils ira mieux, tu l’auras, etc. Il y a une transition pour ainsi dire facile, naturelle entre les réponses de l’écriture automatique qui s’imposaient à son esprit d’une manière obsédante et ces hallucinations véritables, déterminées par la constante préoccupation de la maladie de son fils.

Elle reconnait dans ces paroles la voix de sa mère, « une voix tendre qui lui va au cœur, mais c’est la voix d’une mère, d’une incarnation très ancienne et qui avait vécu du temps des Gaulois. »

Bientôt la voix consolatrice ne cesse plus de se faire entendre. A ce moment son centre psychique entre en automatisme et produit l’hallucination. La constante préoccupation d’obtenir les réponses des esprits, l’entraînement répété à la médiumnité, la [p. 310], ont déterminé l’automatisme psychologique.

Elle tombe donc dans une sorte d’automatisme au cours duquel elle se met à errer, en proie à de l’agitation motrice. — Elle entend aussi les paroles d’un esprit méchant : « Tu vas voir la Vierge », lui dit le bon esprit. « Tu vas voir quelque chose d’épouvantable », lui dit le mauvais esprit. En proie à une terreur folle, elle s’enfuit, éprouve le besoin irrésistible de marcher ; les esprits deviennent pour elle de véritables tyrans qui lui donnent des ordres. Finalement elle échoue dans un commissariat parce qu’une voix lui dit : « Rentre là et tu seras sauvée. »

Au poste de police, elle parle sans cesse comme si deux esprits la possédaient, un bon et un mauvais. « On la fait chanter malgré elle. On la fait prier. Mais elle se rend compte qu’elle est comme dans son rêve. » Quand elle m’est présentée à l’asile, elle ne parle que d’après ce que lui dictent ses voix. Elle agit comme une automate. « J’ai vécu à la cour de l’impératrice Eugénie, dit-elle. J’ai été médecin de la cour. Je suis riche. J’ai 20.000 francs de rentes. Je suis la duchesse de Berry, etc. » C’est une véritable logorrhée, ce sont des propos sans suite.

L’alitement, quelques bains, un peu de bromure et le traitement moral, ramènent en quelques jours le calme dans son esprit. « Je reconnais, me dit-elle, que j’ai dit des bêtises. Je prends la ferme volonté de ne plus en dire. » Elle ajoute : « Je veux manger de la viande pour ne pas être un médium. » En effet, les médiums sont généralement végétariens.

Je n’ai pas observé de troubles de la sensibilité générale, ni d’hallucinations ou d’illusions de la vue. Il n’y a pas d’hystérie. D’elle-même, elle a la volonté de repousser les voix qui lui parviennent directement aux oreilles. Peu à peu ces dernières diminuent d’intensité et, trois semaines après son entrée à l’asile, elle déclare ne les entendre plus que dans sa pensée et non pas dans ses oreilles. « Mais je laisse cela tranquille », ajoute-t-elle.

Actuellement elle est bien guérie. C’est une personne normale, active, et cherchant à se rendre utile aux autres malades. Il ne lui reste qu’une certaine difficulté à appliquer son esprit à la lecture. Elle doit relire 2 à 3 fois le même passage pour le comprendre. Ce fait dénote que son centre intellectuel supérieur, sa conscience conserve encore un certain affaiblissement de sa faculté de synthèse psychologique. Elle a peine à coordonner ses impressions, à en former un tout bien logiquement réuni au subconscient qui vient d’être chez elle le jouet d’une dissociation maladive.

Notre malade avoue bien facilement que les pratiques spirites lui ont été funestes. Elle ajoute toutefois par une dernière dévotion au spiritisme que ce dernier a, comme toutes les religions, une belle morale. Elle ajoute que quelqu’un qui l’étudierait au point de vue scientifique, y pourrait découvrir des faits intéressants.

En somme, l’étude de ce cas de folie spirite est intéressant [p. 311] parce qu’il est simple, pour ainsi dire schématique, et qu’il éclaire bien la pathogénie déjà connue des délires spirites : l’automatisme du subconscient. Ce trouble mental est semblable à celui des hystériques chez lesquelles il y a prédominance de l’automatisme sur les opérations psychiques, volontaires et conscientes.

Il y a donc danger pour certains esprits à s’entraîner à la médiumnité car des faits d’automatisme psychologique peuvent en résulter et déterminer des obsessions et hallucinations.

Je ne veux rien nier de parti-pris et je ne sais si le spiritisme arrivera à faire découvrir dans le cerveau des facultés nouvelles de clairvoyance ou de prescience inconnues jusqu’à ce jour. En tous cas, ce ne sera pas demain et il est indispensable, en attendant, d’aborder ces matières avec le doute scientifique et salutaire.

Est-il besoin de dire qu’il faut éviter de baser ses convictions sur de vaines apparences, et qu’il est nécessaire de contrôler, de remonter des faits à leur cause logique et surtout de se garder d’une interprétation surnaturelle ?

DISCUSSION

M. MARIE. — J’ai observé dans des cas semblables un état névropathie préalable comparable à l’hystérie, de laquelle se rapprochent certains phénomènes de médiumnité. D’autres cas d’ailleurs peuvent être entièrement indépendants de la névrose ; j’en ai publiés plusieurs observations avec M. le Dr Vigouroux et avec M. le Dr Viollet.

M. BOISSIER. — Je ne crois pas que la dégénérescence mentale soit ici un élément nécessaire. Chez certains malades les pratiques paraissent bien la cause directe du délire ; chez d’autres, ces pratiques ont pour résultat de donner la forme spirite au délire. D’une manière générale, les pratiques spirites devraient être interdites.

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Camera Lucinda

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