Boileau de Castelnau. Maladie du sens moral. Misopédie ou lésion de l’amour de la progéniture. Extrait des « Annales, médico-psychologiques », (Paris), tomes septième, 1861, pp. 553-568.

Boileau de Castelnau. Maladie du sens moral. Misopédie ou lésion de l’amour de la progéniture. Extrait des « Annales, médico-psychologiques », (Paris), tomes septième, 1861, pp. 553-568.

 

Philippe Joseph Boileau de Castelnau (1798-1874). Médecin aliéniste qui s’est spécialisé en médecine légale.
De la gravité des lésions du cou ; des caractères qui peuvent faire reconnaître si elles sont l’effet de l’homicide, du suicide, d’un accident ou d’un état morbide.Thèse de médecine. Montpellier, Chez Mme veuve Ricard, 1835.
De l’Épilepsie dans ses rapports avec l’aliénation mentale, considérés au point de vue médico-judiciaire,  (Lu à l’Académie du Gard.)
De l’Insalubrité des rizières, 1850.
De la Folie instantanée. Paris, 1851.
De la Folie affective considérée au point de vue médico-judiciaire,, 1856
Des Enfants naturels devant la famille et devant la société, , 1861
Des Prodomes de la folie considérés au point de vue médico-légal, 1854
Maladies du sens moral, misopédie ou lésion de l’amour de la progéniture,, 1862

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité nous avons renvoyer les notes de bas de page de l’article originale fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p 553]

MISOPÉDIE
ou
LÉSION DE L’AMOUR DE LA PROGÉNITURE
par 
le Docteur Ph. BOILEAU DE CASTELNAU
Chevalier de la Légion d’honneur,
Ancien médecin principal de la maison centrale de Nîmes,
Membre correspondant de la Société médico-psychologique.

I. — Un travail du docteur A. Tardieu, imprimé dans les Annales d’Hygiène publique et de médecine légale(1), renferme des faits dont la marche simple, dégagée de complication, permet de classer, dans un ordre nosologique, la lésion morale qui les a produits.

Notre très honorable confrère examine, au point de vue médico-légal, les sévices et mauvais traitements exercés sui· des enfants, et leurs conséquences sur la vie et 1a santé de ceux-ci.

De celle étude somatique, on peut remonter aux caractères de la lésion morale qui a déterminé ces sévices. [p. 554]

Cette dernière étude servira d’exemple pour la marche à suivre, afin de distinguer les divers étais pathétiques du sens moral dont nous nous sommes occupé précédemment (2).

Les causes peuvent être différentes, mais la lésion du sens moral marche seule : elle n’est ni composée, ni compliquée.

Nous n’examinerons du travail du docteur Tardieu que des actes d’atrocité commis par les parents et qui dénotent une maladie particulière émanée de la haine de la progéniture, nous y ajouterons d’autres faits recueillis ailleurs….

II. — L’amour de la progéniture est une conséquence, un complément de la fonction génésique. Il est lui-même une Ion et ion aussi nécessaire à l’enfant, qu’il était indispensable à cc dernier de recevoir Je sang de sa mère pendant la vie intra-utérine.

Pendant celle période, la fonction maternelle est surtout somatique. Après la naissance, l’aspect somatique cède sa prééminence au sens moral, en conservant l’exercice d’une fonction importante : l’allaitement.

Je dis que, pendant la gestation, la fonction maternelle est surtout somatique et non purement matérielle, parce que tous les éléments matériels et spirituels se lient dans l’homme. On connaît l’influence des affections morales sur le produit de la gestation. La moralité de la mère, comme la morale publique, protège l’existence du fœtus.

La misopédie, ou lésion de l’amour de la progéniture, tient sans doute à la lésion de la sympathie en général. Il est évident que si les parents, qui vont nous occuper, avaient été empreints de celte sympathie générale, de la charité, ils n’auraient pas maltraité leurs enfants, partie constituante de l’espèce humaine et des êtres vivants, car la charité chez l’homme, chez un être bien organisé, s’étend ri tous les êtres vivants, [p. 555]

La misopédie est un ordre de maladie morale.

Ce qui caractérise la lésion morale, génératrice de ces atrocités, .c’est que celles-ci ne se portent que sur les propres enfants des coupables, et que, du moins d’après l’historique, les parents ne sont accusés d’aucun autre acte antihumain. La misopèdie marche seule.

III. — Cette lésion diffère de la folie affective en ce qu’elle consiste dans l’altération du sens moral et non dans une déviation ni dans une dépression de l’amour paternel.

Dans la folie affective, le sentiment paternel existerait, mais il serait dévié. Le père ou la mère, en infligeant des châtiments, auraient un but absurde, mais inspiré par la tendresse: ils y auraient été poussés par une force supérieure, par une voix qui leur aurait ordonné ces actes : ils auraient été mus, par un sentiment imaginaire, de procurer le bonheur éternel à leurs enfants, etc.

Dire ce qui distingue, ce n’est pas dire ce qui sépare, ce qui exclut ces lésions morales des folies affectives ou des folies mentales.

C’est dans la distinction du motif d’impulsion que réside un des caractères distinctifs de la folie et du crime.

L’acte est-il subordonné à une lésion intellectuelle ou affective, ou bien part-il d’une lésion du sens moral ? Voilà la question à résoudre comme dans tous les acte répréhensible.

Ici, comme pour toutes les maladies somatiques ou psychiques, ou arrivera au diagnostic par l’histoire naturelle des antécédents et la marche des phénomènes morbides.

Cette distinction est-elle toujours facile ? est-elle toujours possible ?

Si cette difficulté existe, ne tuez pas ; n ‘envoyez pas dans des lieux de corruption ! Corrigez, guérissez, prévenez.

Plus on s’écriera sur l’impossibilité de mettre en pratique ces principes, qui ne sont pas nouveaux, mieux on pourra répondre que la pratique actuelle présente les mêmes difficultés, et que [p. 556] ses conséquences sont irréparables et sans succès pour la société et pour les individus.

— La misopédie se manifeste par divers degrés d’attentats envers les enfants : depuis les reproches outrés ou mal fondés, les sévices, jusqu’à l’abandon et la mort provoquée.

Sous le nom de pédoctonie , on doit entendre : la mort provoquée chez les enfants de tout âge, en laissant le nom d’infanticide au meurtre du nouveau-né.

La pédoctonie a une marche aiguë ou chronique.

Nous étudierons d’abord la pédoctonie chronique, par la raison que les actes d’atrocité continus caractérisent mieux la lésion du sens moral qui nous occupe,

OBSERVATION l.

Pédoctonie à marche chronique : Mauvais traitements, sévices
infligés par une mère à sa fille, privations suivies de mort,
condamnation à la peine capitole.

M. le docteur Tardieu fit, en 1851, l’autopsie de l’enfant de la femme Pichon, âgée de dix ans, bien conformée, amaigrie et cachectique.

Le corps est couvert de contusions sans nombre, d’ecchymoses, de plaies, de cicatrices, pas un point n’est épargné. Les oreilles arrachées, les paupières excoriées, le cuir chevelu infiltré de sang et de sérosité ; les joues déchirées, le cou marqué de coups d’ongles ; inflammation phlegmoneuse à la cuisse droite, etc.

Rétrécissement général des membranes de l’intestin, avec pâleur et amincissement des tissus.

Ces différentes blessures dataient les unes de plusieurs semaines, les autres sont toutes récentes. Nulle autre cause de mort n’a existé (3). [p. 557]

OBSERVATION II

Jeune fille torturée par son père et sa mère : emploi du fer rouge,
de l’acide nitrique; défloration à l’aide d’un bâton.

Adeline D… , âgée de dix-sept ans, au moment du rapport fait par M. le docteur Nidart, médecin à Saint-Menehoud, a été astreinte, dès l’âge de douze ans, aux plus durs labeurs et frappée à coups de fouet, lorsque ses forces la trahissaient.

Vers la fin (le janvier 1859, les sévices prirent un caractère de violence el de régularité qui décèle la préméditation la plus perverse. Chaque jour, matin et soir, Adeline était fouettée avec un martinet, avec une planchette garnie de clous.

Une fois le père l’avait suspendue par le poignet, et lui appliquait des coups de martinet sur tout le corps nu.

Le père et la mère l’attachaient sur une table : le père promenait des charbons ardents sur le cou, les jambes ; la mère baignait les brûlures avec l’acide nitrique. Huit jours après, les plaies furent ravivées à l’aide du même acide.

Une autre fois, la mère lui appliqua sur les lombes une pelle rougie au feu et l’arrosa encore de cet acide.

Adeline couchait dans une sorte de coffre, garni de paille fétide, d’orties et de chardons , les parents fermaient le coffre avec une chaîne et un cadenas, laissant un espace pour admettre un peu d’air.

Ce n’est pas tout : un soir, Adeline fut étendue sur le dos, les jambes écartées et fixées à des meubles ; le père, aidé de la mère, rompit la virginité avec un morceau de bois de sureau (4).

OBSERVATION Ill.

Mauvais traitement ; sévices graves suivis rapidement de mort.
Jeune fille âgée de trois ans.

Le docteur Lorain rapporte qn’ une fille de trois nos fut [p. 558] maltraitée d’une manière presque incessante pendant deux jours : le père et la mère se relayaient pour frapper. La mort survint au bout de quarante-huit heures.

La tête, le tronc et les bras étaient criblés de coups, portés avec un instrument contondant Les organes splanchniques étaient sains. La mort a dû être la conséquence de la douleur et de l’ébranlement nerveux (5).

Il est d’autres observations de mort dépendant directement d’une maladie survenue dans un état d’inanition qui avait rendu l’organisme incapable de lutter contre le mal.

Le docteur Tardieu divise eu trois séries les observations qu’il rapporte : dans la première sont des sévices simples ; dans la deuxième les sévices et les tortures très graves, mais non suivies de mort ; enfin, la troisième comprend les cas qui se sont terminés par la mort.

C’est dans cette dernière que nous puisons ces faits de pédoctonie chronique. Il y a dans la deuxième série des atrocités qui peuvent être considérées comme provoquées par l’intention de donner la mort,

OBSERVATION IV.

Tentative de pédectonie non suivie d’effet ; sévices graves sur une enfant
âgée de onze ans, par son père et sa mère.

Cette jeune fille passait les journées et les nuits sur un petit banc. Elle travaillait constamment : elle était. battue à coup de bâton et à coup de poings, si elle s’endormait ou n’accomplissait pas sa lâche. Sa mère ne lui permettait qu’une évacuation par jour, à minuit, Elle était frappée si elle ne pouvait se retenir.

Sa nourriture était un demi-verre d’eau et un morceau de pain, l’après-midi ; l’autre dans la nuit

Le docteur Bellouino trouva cette enfant dans tin état <l’anémie des plus avancés : elle n’avait plus que le souille ; son corps [p. 559] n’était qu’une meurtrissure de toutes les couleurs, par conséquent de toutes les dates.

C’était, dit ce confrère, un assassinat lent, commis Jour par jour, avec préméditation.(6).

OBSERVATION V.

Séquestration et tortures d’un jeune garçon par son père et sa marâtre.

Jean Loret, âgé de dix-sept ans, domestique de ferme, atent d’abcès scrofuleux, fut obligé de rentrer chez ses parents.

Son père le porta dans un grenier ouvert à tous les vents, le coucha sur la paille, le couvrit d’une mauvaise couverture. Le froid produisit la gangrène au pied gauche, suivie de la perte de quatre orteils.

Trois fois par jour, Jean recevait, une très petite quantité de soupe qui n’avait autre goût que celui de l’eau et du sel.

Les voisins purent lui faire passer quelques aliments en cachette, sans ce secours il serait mort de faim.

Pendant l’hiver de 1855-1856, ce malheureux ramassait ses jambes sous lui pour les réchauffer ; elles ont gardé la position fléchie.

Les parents de Jean, trouvant sans doute son sort trop doux, le portèrent dans une masure sans toit, en forme de niche à chien. couverte d’un mauvais paillasson, et fermée par un lambeau de toile cirée.

C’est dans cette cage que vivait depuis un an ce malheureux, couché sur la paille infecte, qui n’avait pas été renouvelée depuis ce laps de temps. Il était couvert de haillons et de vermine.

Son père et sa marâtre furent condamnés à la peine capitale (7).

  1. — Après ces faits de pédoctonie chronique, nous allons en produire un certain nombre de pédoctonie aiguë. [p. 560]

A cette dernière division, se rattache le plus grand nombre d’infanticides.

OBSERVATION VI.

Mort, suite de violences exercées par un père sur son enfant.

Un jour, N… , dans un accès de fureur, saisit son fils, âgé de trois ans, par le corps et le précipite rudement sur la tête. Transporté à l’hôpital, il mourut le troisième jour, 3 août 1859 (9).

Le docteur Tardieu rapporte (p. 389) plusieurs cas de mort d’enfants par suite de blessures récentes.

Nous empruntons au journal Le Droit les observations suivantes

OBSERVATION VII.

Une femme avait un enfant dont son mari n’était pas le père. Celui-ci ne l’ignorait pas et le lui reprochait souvent.

Un jour, cette malheureuse se rendit dans un champ, alluma du feu dans une cabane, saisit son enfant, âgé de deux ans, et le tint sur le foyer jusqu’au moment où il perdît la vie. Cette scène dura quinze minutes.

La cour d’assises de la ·Gironde condamna cette femme aux fors à perpétuité (10).

OBSERVATION VIII.

Cinq infanticides commis par la même femme.

Le 3 mai 1860, comparaissait devant la cour d’assises du Doubs une femme mariée, d’une position bien au-dessus du besoin.

Cette femme avait perdu successivement quatre enfants dans [p. 561] les premiers jours de leur existence. Jamais elle n’appelait de médecins pour les soigner.

Frappé de cette série d’événements funestes, un des parents se chargea du cinquième qui survécut.

L’on s’aperçut qu’une sixième grossesse avait disparu subitement. Des recherches firent découvrir dans un tas de chiffons le cadavre d’un nouveau-né qui aurait vécu après la naissance.

Cette femme, convaincue d’infanticide, a été condamnée pour ce dernier fait ; mais il est resté dans l’esprit des jurés et de La cour que les premiers enfants lui devaient la mort directement ou indirectement. (Le Droit.)

OBSERVATION IX.

Pédoctonie par des sévices nombreux, graves et récents.

Le 29 janvier1859, le docteur Amb. Tardieu constata 1° sur Je corps du jeune Désiré B… , âgé de quatre à cinq ans, des traces presque innombrables de coups disséminés à la tête, sur le tronc et sur les membres.

2° Ces coups ont été portés sur les membres et sur le tronc, à l’aide d’un bâton ou d’un fouet ; sur la tête et sur la face par un corps à large surface.

3° Ils ne remontaient pas à plus d’une huitaine de jours. Leur multiplicité sur les points les plus rapprochés atteste la violence et l’acharnement avec lesquels ils ont été portés.

4° La mort a été la conséquence de l’ébranlement nerveux : et de l’influence érysipélateuse déterminée par ces blessures (11).

OBSERVATION X.

Dans une maison isolée habitait une famille peu estimée des voisins.

Le fils eut successivement sept enfants avec sa sœur ; tous [p. 562] disparurent. Il paraît qu’ils recevaient la mort de leur père naturel.

La cour d’assises condamna les deux coupables (12).

— Nous voilà arrivés aux infanticides ordinaires et malheureusement assez communs. Il est inutile d’en citer un plus grand nombre d’exemples.

Ces meurtres d’enfants émanent d’une maladie morale distincte, dont le diagnostic est précis. Les auteurs ne sont accusés d’aucun autre crime ; ils n’ont peut-être jamais eu la pensée d’en commettre d’une autre sorte. Cette maladie morale peut donc être classée nosologiquement : genre misopédie , espèce pédoctonie.

La haine de la progéniture en est la source commune. Cette haine, ce sentiment de répulsion, ont porté ceux qui n’étaient atteints à des actes atroces répétés souvent et longtemps chez les uns, promptement accomplis chez les autres,

De là, pédoctonie chronique et pédoctonie aiguë.

Il semble que la manifestation symptomatique provient d’un besoin (sit gratia pro verbo, — mais il est vrai), d’un besoin permanent, d’une nécessité fatale, d’un plaisir monstrueux. — Que n’a-t-on pas vu ! que ne dit pas l’histoire ?

L’âme pervertie, viciée, produit ces atrocités. avec une force d’impulsion aussi impérieuse <eue dans l’ordre somatique, la fièvre, la dysenterie produisent les caractères qui sont inhérents à ces maladies.

VII. — A un degré moins élevé, la misopédie engendre l’exposition et l’abandon de l’enfant.

La première est une sorte d’infanticide, soit qu’elle ait lieu hors du tour d’un hospice ou au tour même. L’exposition est un homicide moral : la mère rompt d’une manière absolue avec sa progéniture; elle annule ses rapports avec cette dernière ; elle annule, pour ainsi dire, l’existence de son enfant ; [p. 563]  sa venue au monde, son rang dans la société ; elle lui enlève ses droits dans la famille ; elle l’expolie et jette le discrédit sur l’enfant. Elle le prive de l’éducation du milieu, où il aurait vécu, pour l’envoyer parmi une population abrutie et sauvage où l’administration est réduite à le placer.

L’exposition est encore un homicide réel, à marche plus ou moins rapide, puisque la mortalité est plus considérable chez les enfants assistés, soit pendant leur passage aux hospices, soit pendant qu’ils sont eu nourrice, qu’elle ne l’est chez les enfants de famille.

Chez les enfants secourus par les départements et restés auprès de leur mère, la mortalité est à peu près égale à celle des enfants de famille.

Chez les enfants secourus par les départements et restés auprès de leur mère, la mortalité est à peu près égale à celle des enfants de famille.

Quelles que soient les circonstances sociales dans lesquelles un enfant ait reçu la naissance, les auteurs de celle-ci doivent en supporter la responsabilité. Son délaissement est une lésion de l’amour de l]a progéniture,

L’on dira peut-être qu’ici la maladie est consécutive, et subordonnée à la crainte du déshonneur pour la fille-mère et sa famille ; à la crainte de la fille-mère de perdre les moyens d’existence, en se voyant retirer la confiance qu’elle avait dans une maison ou dans un atelier.

Mais il ne faut pas oublier que le motif déterminant est basé sur le désir de cacher une autre lésion morale : l’infraction à la pudeur et à la loi du mariage, qui seule autorise l’acte de ]a procréation.

Toutes les raisons alléguées dans le but d’atténuer la criminalité de l’exposition ou de l’abandon de l’enfant ne peuvent être acceptées aujourd’hui.

Nul ne doit supporter les conséquences de l’immoralité d’un autre : l’enfant ne doit pas souffrir pendant toute sa vie les conséquences d’un préjugé, de l’orgueil, de la débauche ou de la cruauté de ses parents.

Une naissance illégitime compromet une famille ! Mais, hélas ! [p. 564]  des· familles très honorables n’ont-elles pas eu des membres Indignes d’elles ?

La misère ni la honte ne peuvent être cause de l’infanticide ni de l’exposition, puisque les départements assistent à domicile les enfants des filles-mères indigentes ; ils admettent aux hospices ceux des mères infirmes ou malades.

Les enfants dont la présence dans une famille porterait atteinte à sa considération sont admis aux hospices, sur la déclaration faite sous le sceau du secret et sans inscrire aucune note qui puisse faire remonter à l’origine du malheureux produit de l’inobservation de la morale.

Le bureau d’admission aux hospices rassure la mère coutre toute pénalité.

Cette double institution d’assistance des enfants n’est pas, comme celle-du tour, complice aveugle de la rupture des liens de famille et de la lésion morale qui nous occupe.

En conséquence de ce que nous venons de dire, les moyens qui cachent une faute favorisent son accomplissement, ils diminuent l’énergie de la résistance morale. L’on doit espérer les voir disparaître, et laisser à chacun toute la responsabilité de ses actes.

Le tour d’exposition montre le peu de cas que la société fait d’on enfant, d’un homme futur. De là à l’infanticide, il n’y a qu’au pas.

Plus l’être humain sera sacré et inviolable aux yeux de la société, plus les individus Je respecteront.

Le tour ne prévient pas l’infanticide : les statistiques et le raisonnement le prouvent.

La mère ne peut elle-même, au moment de la parturition, apporter son enfant au tour. Si elle a un confident, il vaut autant que ce soit un délégué de l’autorité.

L’infanticide tient à une réunion de circonstances, de lésions morales et souvent de lésions mentales, qui portent la mère à attenter aux jours de son produit. C’est un sentiment exalté ou dévié de honte, de pudeur. [p. 565]

OBSERVATION XI.

Ainsi, en 1859, une fille habitant Nîmes devint enceinte ; ses voisines, ses amies, des personnes charitables la pressèrent d’accepter leur intervention pour faire admettre son enfant à l’hospice.

Elle nia toujours sa grossesse, celle-ci disparut tout à coup. Les soupçons amenèrent la découverte de la matérialité du crime, et la fille fut condamnée.

OBSERVATION XII.

Le journal Le Droit rapportait, il y a quelques jours (septembre 1860), qu’une fille devint enceinte. Son père la pressa d’avouer sa faute, lui disant que sa position de fortune lui permettant de faire élever l’enfant, il le garderait ; que toutes les mesures seraient prises pour assurer le secret. Rien ne put la décider à se confier à la tendresse paternelle. La malheureuse accoucha de nuit, et cacha son produit dans un caveau peu fréquenté. La justice se saisit de l’affaire, la fille-mère fut condamnée.

C’est en étudiant, en analysant les actes résultant de la misopédie, comme de tout autre crime, que l’on parviendra à découvrir si, chez le sujet observé, la maladie morale est congénitale ou acquise ; quels sont les éléments morbides qui la constituent ; la part qu’y a prise l’ordre somatique, intellectuel et moral ; que l’on constatera les causes, les symptômes précurseurs et les signes diagnostiques. Par l’étude généalogique des phénomènes morbides de leur action réciproque des uns sur les autres, de leur mode de combinaison, par l’examen des causes qui exaltent ou qui atténuent l’un des éléments, son mode d’action sur l’un ou l’autre ou sur l’ensemble de la maladie morale ; on établira les indications et l’on fixera les moyens de les remplir ; enfin, l’on précisera les règles [p. 566] prophylactiques propres à détourner l’homme du crime ; de même que Pinel et ses disciples ont guéri et guérissent un nombre de plus en plus considérable de lésions mentales et de lésions affectives,

Lorsque Pinel prit le service d’un asile d’aliénés, il le trouva dans une situation pareille à celle que présentent encore les prisons : rien pour la cure de la maladie mentale dans les premières, rien pour celle de la maladie morale dans les dernières.

Ce grand homme n’avait, sans doute, que des principes généraux de traitement de la folie, ses études pratiques le conduisirent progressivement à une thérapeuique rationnelle répondant à tous les cas particuliers.

Livrez les prisons aux psychologues, qu’ils étudient les prévenus et les condamnés : qu’ils analysent leurs maladies morales et qu’ils soient libres d’appliquer la thérapeutique inspirée par les éléments morbides. Ainsi que Pinel a obtenu du succès dans les maladies mentales, ils guériront les maladies du sens moral et assureront les moyens de les prévenir.

CONCLUSION.

Il résulte des observations précédentes et de beaucoup d’autres qu’il existe une maladie du sens moral, dont les caractères sont les sévices et le meurtre, exercés sur les enfants par les parents eux-mêmes.

Les parents sont atteints de cet ordre de criminalité, exclusivement de tout autre.

Ainsi, les annales du crime révèlent : diverses espèces de filouterie, exercée par des agents qui ne sortent pas de cette spécialité du vol.

D’autres criminels exercent l’abus de confiance, etc. ; d’autres le vol avec effraction, escalade : d’autres à l’aide de l’effusion du sang ; ils aiment à répandre le sang humain et non un autre sang. [p. 567]

On peut dire des diverses espèces de maladies du sens moral, comme de celles de l’ordre somatique, en variant les temps du verbe, de la devise : sunt ut sunt, aut non sunt :

Ainsi le récit qui précède montre : 1 ° des parents exerçant des sévices plus ou moins graves, plus ou moins féroces, mais ne tuant point ; 2° d’autres abandonnent leurs enfants, les exposent, ne les tuent pas ; 3° d’autres les tuent, au lieu de les confier à l’assistance publique, dont les bras sont largement ouverts pour les accueillir.

Quelle est la cause primitive d’affection particulière de ces crimes, aussi bien que de toute espèce d’acte répréhensible ?

Les uns et les autres ont pour origine une lésion psychique on psychosomatique congénitale ou acquise.

Les moyens prophylactiques consistent : dans l’éducation générale et spéciale, éducation qui ne se contenterait pas d’enseigner la lecture et le calcul, mais en s’en servant comme de perfection et en les complétant de tous ceux qui sont susceptibles d’incarner la morale dans l’âme de l’enfant.

Et qu’ainsi tontes les causes de démoralisation, de mauvais exemples disparaissent de la société.

Qu’en tout temps de sa vie, l’homme puisse se perfectionner. L’homme n’est distinct de la brute que par l’éducation. Rendre l’éducation obligatoire à tout ordre de fortune. Multipliez les écoles, disait le vénérable Gérando, et vous diminuerez le nombre des prisons.

Ah ! que ces paroles sont douces à entendre ! qu’il serait heureux pour tous de voir élever au rang d’hommes ces enfants privés de toute lumière intellectuelle et morale, n’ayant pas devant les yeux des exemples de nature à les mal diriger dans la vie.

Quelques petits sacrifices pour l’institution de l’éducation obligatoire seraient largement rendus dans un avenir très prochain.

Si, aux pertes occasionnées à la société, par le crime, pour [p. 568] les moyens de s’en garantir et de les réprimer, on ajoutait toutes celles qu’amènent la maladresse, le refus de se rendre aux lumières de la raison, aux règles tracées par ceux qui possèdent les connaissances nécessaires ; pertes occasionnées, toutes, par le défaut ou mauvaise direction de l’éducation, en additionnant, disons-nous, toutes ces pertes occasionnées à la chose publique ou privée, on serait convaincu de ce qui est dit dans ces quelques lignes.

En un mot : les actes répréhensibles ont pour origine la folie ou la lésion du sens moral.

Lorsque l’auteur du crime appartient à la première catégorie, il sera envoyé dans un asile d’aliénés.

S’il ne peut être classé dans celle-ci, il sera condamné par les tribunaux à un minimum de peine, pendant la durée de laquelle il sera soumis à un traitement curatif.

A l’expiration de ce minimum, le coupable sera présenté à une cour de libération, et ne sera mis en liberté que sur la décision de celle cour portant qu’il est rentré entièrement dans les lois de la moralité.

Avant l’expiration du minimum, la cour pourra proposer le détenu à la clémence impériale.

On voit que nous ne tendons pas à supprimer l’intimidation sur la ressource d’aujourd’hui, ni à excuser les criminels,

Notes

(1) Avril 1860, p. 361.

(2) Annales médico-psychologiques, 1860, p. 349.

(3) Annales d’hygiène publique et de médecine légale, avril 1860, p. 397.

(4) Ibid., p. 377-401.

(5) Ibid., p. 395-397.

(7 Ibid., p. 374.

(8) Ibid., p. 375-377.

(9) A. Tardieu, Annales d’hygiène publique et de médecine légale, p. 392,

(10) Le Droit, 17 juin 1860.

(11) Annales d’hygiène publique et de médecine légale, p. 393

(12) Le Droit, août 1860.

 

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