Antheaume et Paul Schiff. Sur quelques applications médico-légal de la psychanalyse. Extrait des « Annales de médecine légale et de criminologie », (Paris), cinquième année, n°8 , octobre 1925, pp. 420-422.

Antheaume et Paul Schiff. Sur quelques applications médico-légal de la psychanalyse. Extrait des « Annales de médecine légale et de criminologie », (Paris), cinquième année, n°8 , octobre 1925, pp. 420-422.

 

André-Alphonse-Luis Antheaume (1867-1927). Neuro-psychiatre. Médecin honoraire de la Maison de Charenton. Médecin du Sanatorium de la Malmaison (Rueil).Officier d’Académie 1898. Officier de l’Instruction Publique 1903. Chevalier (1920) puis Officier (1926) de la Légion d’Honneur.
C’est à l’Asile clinique (Sainte-Anne), dans le service de Valentin Magnan, et surtout à la Clinique des maladies mentales dirigée par le professeur Alix Joffroy qu’il trouve matière à sa thèse de médecine sur la toxicité des divers alcools (1897), et sa mesure par la méthode de Joffroy et Serveaux. En 1899, il devient chef de clinique de la Faculté, puis en 1901, médecin-inspecteur adjoint des asiles d’aliénés. Trois ans plus tard, André Antheaume est nommé médecin suppléant de la Maison nationale de Charenton, et, à dater du 1er janvier 1905, remplace comme médecin titulaire le docteur Jules Christian 1840-1907, admis sur sa demande à faire valoir ses droits à la retraite. Le Dr Antheaume restera peu de temps médecin en chef de la Maison Nationale, puisqu’il démissionne le 5 février 1907 pour fonder une maison de santé à Rueil. Il dirigera ce Sanatorium neuro-psychiatrique jusqu’à sa mort, en association avec le docteur Louis Bour 1876-1944. Fondateur de la revue L’informateur des aliénistes et des neurologistes, Journal d’Information, d’Intérêt professionnel et d’Assistance, en 1906, celui -ci portera comme sous-titre dès n’année suite, 1907, Supplément mensuel de l’Encéphale, qui deviendra à partir de 1925 l’Hygiène mentale.
Quelques publications :
— De la Toxicité des alcools (prophylaxie de l’alcoolisme). Paris, Félix Alcan, 1897 ; 174 p. (Thèse de doctorat en médecine, Paris, soutenue sous le titre : Contribution à l’étude de la toxicité des alcools et de la prophylaxie de l’alcoolisme)
— (avec Raoul Leroy) Un cas de dipsomanie morphinique (morphino-dipsomanie ou morphinomanie vraie). Clermont (Oise), Daix frères, 1900
— (avec Léon Antheaume) Les bouilleurs de cru. Privilège, fraude, alcoolisation. Paris, C. Naud, 1902 ; III-291 p.
— Les psychoses périodiques. Genève, Société générale d’imprimerie, 1907; 112-XIV p.
— (avec G. Dromard) Poésie et Folie. Essai de psychologie et de critique. Paris, O. Doin, 1908 ; XII-639 p.
— (avec Roger Mignot) Les Maladies mentales dans l’armée française. Paris, H. Delarue, 1909 ; 253-XV p., tabl.
—Le Roman d’une épidémie parisienne. La Kleptomanie ? Paris, G. Doin, 1925.

Paul Schiff (1891-1947). Médecin, psychiatre et psychanalyste. Neuropsychiatre des prisons. Membre de la Société psychanalytique de Paris et membre fondateur du groupe de l’Evolution psychiatrique. Paul Schiff parviendra non sans peine à rejoindre les gaullistes pour s’engager dans les Forces françaises libres où il combattra jusqu’à l’écrasement des troupes hitlériennes. Fut l’adjoint du secrétaire général, André Cellier, des Sociétés de biotypologie et de prophylaxie criminelle, crées par Edouard Toulouse. Il participa à titre expérimental, aux examens psychiatriques des services, dans les prisons parisiennes de la Santé, de la Petite Roquette et de Fresnes. Quelques publications de l’auteur :
— Délire spirite et spiritisme. Article paru dans les « Annales médico-psychologiques », (Paris), douzième série, tome deuxième, quatre-vingt-quatrième année, 1926, pp. 240-249. [en ligne sur notre site]
— Les anormaux devant la refonte du code pénal. In « L’Evolution psychiatrique », (Pars), 1934, pp. 75-96.
— L’évolution des idées sur la folie de persécution : conceptions psychiatrique et psychanalytique des paranoïas. In « L’hygiène mentale, journal de psychiatrie appliquée », (Paris), XXXe année, n°5-6-7, 1935. Et tiré-à-part : . Paris, Gaston Doin, 1935. 1 vol. in-8°, 56 p.
— Médecine légale et psychanalyse. XVIIème Congrès de médecine légale. 1932,
— Les paranoïas et la psychanalyse. Les paranoïas et la psychanalyse. (Contribution au 9° Congrès des Psychanalystes de langue française de 1935). Paris, le 2 février 1935. pp. 44-105.  [en ligne sur notre site]
— La prophylaxie en dehors de la prison. In « Annales de médecine légale », (Paris), 1937.
— La prophylaxie criminelle et la collaboration médico-judiciaire, in « Revue de sciences criminelles », 1936, p. 479-492.
— Les conceptions psychanalytiques de l’homosexualité. Article parut dans la revue « Schemas », (Paris), volume I, n°5, 1938, pp. 20-24. [en ligne sur notre site]
— Un cas de schizophasie avec glossomanie et syndrome de jeu (présentation de malade). En collaboration avec A. Courtois. [en ligne sur notre site]

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les notes de bas de page ont été renvoyées en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 420]

SUR QUELQUES APPLICATIONS MÉDICO-LÉGALES DE LA PSYCHANALYSE
PAR MM.
A. ANTHEAUME et P. SCHIFF

Il nous a paru intéressant d’apporter au Xe Congrès de médecine légale de brèves observations sur la tendance qui se manifeste chez certains criminologistes, surtout anglo-saxons, à utiliser en médecine légale psychiatrique des données nouvelles fournies par la psychanalyse. On sait qu’après l’échec relatif des théories de Lombroso et de son école sur l’innéité des dispositions criminelles, une réaction se fit chez les médecins légistes dans les questions de responsabilité.

Or on assiste, à l’heure actuelle, quoique peu encore en France, au renouveau d’une conception qui se rapproche, pour certains points, de celle de Lombroso.

La personnalité du criminel et celle du délinquant redeviennent un sujet d’étude, d’une étude enrichie par les acquisitions récentes de la psychiatrie dans le domaine biologique comme dans le domaine psychologique. Le Docteur Vervaeck, dans son remarquable rapport au dernier Congrès de médecine légale à Paris (1924), ainsi que dans les numéros de janvier, à mars 1925 du « Journal Belge de Neurologie et de Psychiatrie », a résumé de façon brillante et très médicale les conceptions actuelles de l’anthropologie criminelle. En France, sous l’impulsion du Professeur H. Claude, la médecine légale psychiatrique s’engage aussi dans une nouvelle voie. On se rend de mieux en mieux compte qu’une assez grande proportion des délinquants placés dans les prisons relève de l’assistance psychiatrique et que, même dans le cadre pénitentiaire, il y a place pour des essais thérapeutiques (annexes psychiatriques des prisons belges). La recherche des facteurs biologiques et psychologiques fera progresser non seulement nos connaissances sur l’étiologie de la criminalité, mais peut aussi fournir des moyens de la prévenir et de l’amender : le point de vue social et le point de vue individualiste ne sont pas contradictoires, la société trouvera son avantage dans un traitement scientifique de l’individu criminel. [p. 421]

Il est un certain nombre de délits, par exemple, pour la compréhension desquels les données fournies par la psychanalyse sont intéressantes. On sait que les doctrines de Freud insistent beaucoup sur le rôle pathogène joué dans le subconscient de certains névropathes par des mécanismes psychologiques remontant à la première enfance : refoulement de complexes affectifs sous l’influence de traumatismes sexuels précoces, « fixation » élective des tendances sexuelles sur l’un des parents, etc. Chez des sujets prédisposés, l’étape de la puberté est franchie avec peine, l’individu n’arrive pas à résoudre le conflit entre certaines tendances infantiles et les tendances sexuelles normales de l’adulte.

En se plaçant à ce point de vue psychanalytique, certains aliénistes anglais et américains ont déjà fait des études très intéressantes sur les criminels. L’un d’eux, M. Hamblin Smith (de Londres) aboutit même, en matière de répression judiciaire, à une théorie qui néglige un peu trop l’aspect social de la criminalité. Pour lui, beaucoup de crimes et de délits de toutes espèces sont dus au « refoulement » des complexes infantiles ; le but de la criminologie devrait être, d’après cet auteur, non d’accentuer ce refoulement, cette répression psychologique interne, par une répression pénale venue du dehors, mais au contraire de transformer les tendances anti-sociales, de les « sublimer » (terme freudien) en les orientant vers des buts appropriés.

Si cette généralisation médico-légale des doctrines freudiennes nous semble prématurée, il est toute une catégorie de délits pour laquelle la psychanalyse peut fournir des clartés nouvelles ; nous voulons parler des délits sexuels.

Pour montrer à quel point l’appréciation psychanalytique de ces délits fait des progrès dans les pays anglo-saxons, nous rapportons, d’après le Journal of Mental Science de janvier 1925, une décision prise récemment par un juge anglais dans une affaire d’attentat public à la pudeur (il s’agissait d’homosexualité). Le prévenu reconnaissait les faits, mais, à la demande de la défense, le Docteur Gilbert Scott expliqua au jury les théories freudiennes sur le développement de l’instinct sexuel et sur ses déviations par la persistance d’impressions infantiles. Le Docteur Scott confirma qu’un examen psychanalytique avait été entrepris par lui chez le sujet consécutivement an délit. A la suite de cette déposition, le juge mit le prévenu en liberté sous caution, à la condition de continuer son traitement par la psychanalyse, sous la direction du Docteur Scott. [p. 422]

Le Journal of Mental Science remarque que c’est la première fois qu’un Tribunal anglais reconnaît formellement la valeur du traitement psychanalytique.

Des faits de ce genre montrent l’évolution de la jurisprudence anglaise, pour qui les délits sexuels paraissent petit à petit devoir relever d’un traitement psychologique plutôt que de la répression pénitentiaire.

L’un de nous a eu l’occasion récemment (1) de s’élever contre un libéralisme exagéré dans la question de la soi-disant impulsion irrésistible au vol, de la prétendue kleptomanie.

Au contraire de cette prétendue kleptomanie, les déviations de l’instinct sexuel nous paraissent reconnaître à la base un trouble profond de la personnalité instinctive. Le caractère d’irrésistibilité est, dans l’impulsion sexuelle morbide, plus évident que dans les autres impulsions. Pour la soi-disant obsession-impulsion kleptomaniaque, la meilleure prophylaxie semble être l’intimidation, puis une condamnation régulière. Dans le cas de délit sexuel, d’impulsion exhibitionniste par exemple, la question de responsabilité est plus difficile à trancher et la prophylaxie sera différente. Un traitement psychologique capable de redresser le mécanisme instinctif faussé paraît devoir être, au point de vue des récidives, plus efficace qu’une répression purement pénale. A cé titre, la psychanalyse dans son ensemble (freudisme, adlerisme, etc…) pourra recevoir des applications médico-légales, car elle a apporté en psychiatrie des données théoriques intéressantes et possède à son actif des succès thérapeutiques indubitables, comme nous le confirme notre expérience personnelle.

Discussion

M. Vervaeck (de Bruxelles). — La suggestion de M. Antheaume, est très intéressante ; elle est susceptible d’applications heureuses à condition de restreindre les cas où la méthode psychanalytique sera utilisée. Je vous signale dans le même ordre d’idées que le Parquet de Bruxelles a admis récemment comme conclusion de rapports d’expertise déclarant irresponsables les délinquants sexuels morbides, — la proposition de surseoir à leur internement, à condition qu’ils se soumettent régulièrement à un contrôle psychiatrique. Ce contrôle est actuellement assuré d’une manière effective, par les dispensaires d’hygiène mentale, avec la collaboration de l’Office de réadaptation sociale.

Note.

(1) A. ANTHEAUME, Sur la prétendue existence du vol kleptomaniaque (Société de Médecine Légale, séance du 20 avril 1925).

 

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