Anne OSMONT. Le Folklore magique en Normandie. Vers 1930.

Anne OSMONT. Le Folklore magique en Normandie. Vers 1930.

 

Nous avions glané ce petit article il y a plusieurs années,  est dans une revue que nous consultions par hasard, mais n’avons pas eu la pertinence d’un relevé l’origine. Nous vous prions de nous en excuser.

Anne Osmont (1872-1953). Romancière et poétesse, elle s’intéressa beaucoup à l’occultisme en général. Nous retiendrons d’elle quelques publications :
— Le Rythme, créateur de forces et de formes. Éditions des Champs-Élysées, 1942 –
— Plantes médicinales et magiques, Éditions des Champs-Élysées. 1944
— Traité de physiognomonie. Ariane (impr. de Chaix) 1946
— Clartés sur l’occultisme. Paris, Dervy 1947
— Le Pater : commentaires ésotériques Éditions des Champs-Élysées (Impr. de l’Omnium littéraire) 1949
— Envoûtements et exorcismes à travers les âges : rituel de défense. Précédé de Souvenirs personnels sur l’auteur par Sonia Bentkowski-Levritch / Paris, Omnium littéraire 1954
— Soixante années d’occultisme vécu, mes voyages en astral. Éditions des Champs-Élysées 1955

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’ouvrage. – Les images ont été rajoutées par nos soins. –  Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

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Le Folklore magique en Normandie ..

par Anne OSMONT.

Si nouveauté voulait être progrès, il faudrait déplorer un des éléments les plus curieux de la vie provinciale : la persistance des usages antiques, restes des civilisations disparues, gestes dont l’origine est ignorée de ceux qui les accomplissent. Le paysan a oublié d’où lui viennent ces rites ; mais il n’ose les abolir parce que les Anciens faisaient ainsi et qu’il est peut-être imprudent de cesser telle ou telle pratique, autrefois usitée dans certain cas donné.

Cette pensée n’est point si sotte et des esprits comme Louis Menard ou Théophile Gautier la poussèrent jusqu’à ses extrêmes conséquences. Α sοn départ pour l’Égypte, Gautier, supposant que ce qui fut divin le demeure toujours, pria Isis et Osiris et il leur en voulυt un peu quand il lui arriva malheur. Malgré les droits qu’il croyait avoir acquis à la protection des dieux égyptiens, il se cassa un bras et ses lettres le montrent déçu par l’abandon d’Isis.

Sur le seuil sacré

La Normandίe, riche et prospère, a oublié Freya et les dieux ancestraux des Wikings, mais dans certains de ses cantons, les sacrifices sanglants se perpétuent encore dans un geste qui remonte plus loin que la conquête romaine de la Neustrie. Autour de Rouen, à Deville, Gournay, Boos et maints autres gros bourgs, en dépit des trams à trolley et des poteaux télégraphiques, quand une maison vient d’être construite, on immole sur le seuil un animal, de préférence une poule noire, dont le sang doit baigner la pierre. La maîtresse de Ια maison doit saigner elle-même la victime et, pour l’écoulement du sang, lui tourne le bec vers le sol ; cette attitude ayant pour but d’attendrir les mauvaises puissances souterraines. Toute construction nouvelle offense quelque Némésis ; elle se sent bravée dans son pouvoir de destruction. En pareille occurrence, un présent lui vient du Destin : elle peut « saisir une vie » pour prix de sa future neutralité, et ce dans les douze mois après la couverture de l’édifice. Le sacrifice sanglant du poulet, si cher aux augures, leur offre une [p. 259] νie animale pour le rachat d’existences plus précieuses. Il est à remarquer que le malheureux immolé n’est point bouilli ni mis en sauce. Il doit « étrenner le feu » comme il a purifié le seuil. Le feu reprend ici son pouvoir purificateur : le poulet doit être rôti au feu de bois, en contact direct avec la flamme. Μais, comme nous vivons dans un siècle pratique, la νictime propitiatoire est mangée gaiment à la pendaison de crémaillère.

Dans toutes les traditions, le seuil est considère comme sacré, chose sainte qui a gardé l’empreinte des aieux. Bien que plusieurs chemins conduisent à la maison, c’est sous la pierre du seuil comme en un lieu où se concentrent les actiνités ataviques ; que le sorcier déposera le volt chargé de nuire. Comme chez les anciens Étrusques, la jeune mariée normande ne doit pas toucher le seuil de sa nouvelle maison, quand elle y pénètre pοur la première fois. C’est son mari qui la porte sans que ses pieds touchent la terre sacrée. Le lendemain seulement, deνenue femme, elle est en droit, mais seulement alors, de se dire de la famille et de toucher de ses pieds la trace des pas effacés.

Puissance fécondante du bouc

Le bouc est encore respecté, spécialement dans la Manche ou les pâtres de la « grand’Iande de Lessay » conservent les souvenirs de la grande sorcellerie. Il est Il est d’usage, dans chaque troupeau de moutons, d’avoir un bouc parmi les ouailles. Il passe officiellement, pour écarter les maladies épidémiques ; mais son véritable pouvoir consiste à rendre les béliers puissants et plus « cœurus », ardent à se reproduire. Il donne aussi force et vigueur au demeurant des brebis et des agneaux. On serait en droit de se demander pourquoi

« L’impur et fier époux que la chèvre désire »

Peut transmettre ses vertus guerrière à des animaux pacifique ? Il ne faut que songer à Pan, à son culte pastoral, à sa vitalité débordante pour soupçonné l’origine d’un rite en apparence extravagante.

Les bergers sorciers, Hocque et Thorel

Partout où il y a des bergers, il y a des sorciers. Le berger nomade impressionne toujours le sédentaire. Seul, est maître de son troupeau comme un capitaine de son navire, il vague par des chemins hantés seulement des esprits du soir, par les landes abandonnées, [p. 260]

Parle est en guerre ou les feux follet mène leur danse. Ce n’est pas son cause du sans certitude qu’il sera familier avec les visages de l’ombre ; aussi lui c’est on le pas, le haut du pavé et même tout le pavé, le cas échéant. Aux heures maléfique où Diane court par la sombre forêt,

le berger parle aux étoiles et Dieu sait ce qu’elles répondent. Il sait de grands secrets et ne les transmet qu’à son fils, avec quelques livres crasseux ou la sagesse des anciens laissa son ombre terriffique. Il guérir, il s’est tué ; il connaît les voults et les charmes et ce n’est nullement suggestion ou folie de croire à sa malfaisance. Il n’est pas de meilleure preuve que les moutons morts sans raison, ou les bons jeunes gens bien drus qui dépérissent à vue d’œil, tourmenté d’un mal que les savants ne connaissent pas même de nom. Les esprits forts attribuent à la suggestion les maladies des humains et prétendent qu’il y a bien des manières d’empoisonner l’eau ou la pitance du bétail.

Il est, là-bas, en dehors de la grand’lande de Lessay, dont personne ne veut parler est où, seul, les bergers osent passer la nuit, il existe des centres de centre de sorcellerie qui, de temps en temps, ramène la justice à l’étude de ces questions. Pour ne pas remonter trop loin, en 1687, un berger nommé Hocque fut emprisonné à Passy-sur-heures pour fait de nuisances contre les bestiaux. Il y en appela à la Justice royale est fut conduit au Grand Châtelet ou son sort fut remis au juge Lemarié, encore un Normand. Le roi Louis XIV avait fort adouci la jurisprudence à l’encontre des sorciers et ne les voulait condamner qu’en connaissance de cause. Le juge, homme pratique, voyant qu’il ne tirait rien de Hocque dans ses interrogatoires, employa un autre moyen. Il mit avec lui un « mouton », non une bête de laine, mais un de ces prisonniers qui, moyennant de menues faveur et la vie sauve, arrachent les aveux à leurs  co-détenus. Ce mouton, nommé Béatrix, avec les deux lectures fortes, un prix, de la bouche même Ce mouton, nommé Béatrix, avec l’aide des liqueurs fortes, apprit, de la bouche même du coupable, que les moutons de Passy-sur-heures mouraient bien par sa faute, qui avait fait une charge et que cette charge était enterrée dans un lieu où passait les troupeaux. Elle continuait son œuvre dans des conditions d’autant plus favorables que, l’envoûtement s’exerçant à l’absence du berger, les faits lui devenaient de moins en moins imputables. Mais, si par fortune autrement, la charge était déterrée est détruite, en vertu de la loi du choc en retour, lui, Hocque, serait foudroyé par le mal qu’il avait lancé dans le monde. [p. 261]

Μ. Lemarié, à la révélation de ces faits, estima judicieusement, que la vie de Hocque, en tout cas promis au bûcher, n’était pas de grande importance, l’essentiel étant de savoir comment faire cesser le charme qui ruinait des innocents. Encore fort émêché, Hocque ne fit point mystère de ce qu’il savait. Il avait au pays un confrère, nommé Bras-de-fer, particulièrement apte à déterrrer la charge et là brûler avec toutes les cérémonies requises. Le juge, musse en quelque coin, ne perdit point une parole et prit les mesures urgentes pour commander à Bras-de-Fer de dissiper le maléfice. Hocque rentra en son bon sens, comprit qu’il s’était vendu et soutenu tout au moins par la neutralité sympathique des autres prisonniers, il est volontiers fait rendre à Beatrix sa vilaine âme de mouchard, si les sergents ne fυssent intervenus à propos. Bras-de-Fer, cependant, surpris de voir Hocqιιe si désireux de réparer ses fautes, n’en déféra pas moins aux ordres qui lui étaient transmis en son nom. Il leνa la « charge » qui était composée de laine, de cheveux, d’un crapaud mort et de fragments d’hosties consacrées. La relation officielle de l’affaire conclut ainsi : « Αu mesme jour et à la mesme heure que Bras-de-Fer avait commencé de lever Ιa dite charge, Hocque qui estoit un homme des plus forts et des plus robustes, estoit mort en un instant dans des convulsions estrange,s et se toumentant comme un possédé, sans νouloir entendre parler de Dieu ni de confession, ce qui fit voir sensiblement qu’il y avoit quelque chose de surnaturel dans les maléfices de ces bergers. »

Fort près dc là, dans le petit bourg de Cideville, νers 1850, des faits magiques se produisirent qui ameutèrent tout le canton et firent venir même des curieux de Paris. La relation qu’en a donnée M. de Mirνille est trop connue pour que nous la répétions en détail. Rappelez-vous cependant que le berger Thorel, se croyait offensé par la cure du village et ne pouvant se venger directement sur lui, s’en prit à deux jeunes élèves qui habitaient au presbytère pour achever leur instruction. L’un, qui devait être de complexion plus réceptive, fut réellement martyrisé. Il receνait de tels soufflets que les doigts restaient marqués sur la joue ; il était battu fort souvent ; le vindicatif berger espérait que lassé de ces fantaisies, il renoncerait à ces leçons de latin qui étaient le plus clair des moyens de vivre du cure. Puis, νoyant que l’effet attendu ne se produisait pas, on constata des phénomènes encore plus étranges : des objets lourds, des fers à repasser par exemple, s’envolaient à travers les pièces et venaient doucement se poser aux pieds des personnes présentes. Les médecins, les magistrats avaient dit des choses fort [p. 262] ingénieuses au cours de cette affaire, mais aucun changement ne venait. Un jour cependant, un jeune prêtre avoua fort timidement que, par curiosité, il avait lu je ne sais quel livre de magie magnétique et qu’il y avait appris que les esprits de ce genre avaient peur des pointes métalliques. On pouvait toujours essayer. On essaya. S’étant procuré de grands clous, les ecclésiastiques présents les plantaient dans la région d’οù venait le bruit et soudain, une flamme jaillit au contact d’une de ces pointes. C’était un résultat encourageant, on planta des clous de nouveau. Une vοix lamentable demanda pardon. Le curé pardonna. La νοix dit qu’ils étaient plusieurs ; le curé pardonna à tous, demandant seulement au coupable de venir le lendemain matin s’excuser envers la petite νictime. Le lendemain, le berger Thorel vint, sous prétexte d’emporter un harmonium a réparer, mais, furieux de sa défaite, il essaya de se rapprocher du curé pour agir sur lui à son tour. Le curé le repoussa, le menaça même de sa canne et Thorel, processif comme il convient, eut l’audace de porter plainte, ce qui nous vaut une procédure fort complète d’un des faits de sorcellerie les plus curieux du XIXe siècle.

De nos jοurs, la sorcellerie n’a rien perdu de sa vigueur. Εn 1910, les tribunaux de l’Orne eurent à juger un sorcier qui aνoίt manifesté son savoir par des actes indiscutables. Le malheur — pour lui —fut qu’il abusa de sa science et, après avoir extorqué de fortes sommes à celui qu’il deνait guérir, il abusa de sa fiancée dans sa propre chambre, presque sous ses yeux et fut condamné pour ce fait, les lois actuelles ignorant volontairement la sorcellerie.

Le sorcier, en s’appuyant sur des traditions dont il accepte les dire comme paroles d’éνangile, finit par se persuader de sa puissance et conquiert une autorité véritable sur les natures simples et crédules. Les gestes souvent baroques et les paroles incompréhensibles, que lιιί suggèrent les grimoires le fortifient dans sa deni-folie et contribuent à le faire redouter. Le grimoire du Pape Honorius, l’Έnchiridion du Pape Léon ΙΙΙ, les divers Dragons Noir et Rouges, vieux livres que sema jadis le colportage, qui se vendent toujours dans les magasins de curiosité ont souνent servi de tremplin ou d’excitants à ces songe-creux, qui dans leur pâture, rêvent de dominer les forces secrètes et de soumettre les esprits.

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