Angelo Hesnard et René Laforgue. La Conception psychanalytique ou « instinctiviste » de la Schizophrénie. Extrait du « Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et de Pays de langue française – XXXe session, Généve-Lausanne, 2-7 août 1926, Comptes rendus », (Paris), 1926, pp. 211-215.

Angelo Hesnard et René Laforgue. La Conception psychanalytique ou « instinctiviste » de la Schizophrénie. Extrait du« Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et de Pays de langue française – XXXe session, Généve-Lausanne, 2-7 août 1926, Comptes rendus », (Paris), 1926, pp. 211-215.

 

Angelo Louis Marie Hesnard (né à Pontivy (Morbihan) le 22 mai 1886 et décédé à Rochefort-sur-mer le 17 avril 1969). Médecin-Général de la Marine Nationale, neuropsychiatre, membre fondateur de la Société Psychanalytique de Paris (S.P.P.), président de la Société Française de Psychanalyse (S.F.P), professeur de neuropsychiatrie et de Médecine légale ) l’Ecole de Santé Navale de Bordeaux et à l’Ecole d’Application du Service de Santé de la Marine. Il reste une figure de l’introduction de la psychanalyse en France, même si, a y regarder de plus près, il présenta de nombreuses ambiguïtés. Il fut un de ceux qui souhaitèrent réserver la pratique de la psychanalyse exclusivement aux médecins (comme nous pouvons dans l’article ci-dessous). Assistant d’Emmanuel Régis à Bordeaux, il publiera avec lui un de ses ouvrages de référence, premier ouvrage important en langue française, après trois articles communs parus dans la revue l’Encéphale : La Psychanalyse des névroses et des psychoses, 1914. Quelques autres publications parmi ses nombreuses contributions et ouvrages :
— (avec Emmanuel Régis. La Doctrine de Freud et de son école. Article paru dans la revue « L’Encéphale », (Paris), huitième année, premier semestre, 1913, pp. 356-378, 446-481, 537-564. [en ligne sur notre site]
— Une maladie de l’attention intérieure : la dépersonnalisation. Article parut dans la revue de « Association française pour l’Avancement des Sciences – Compte-rendu de la 4e session – Strasbourg 1920 », (Paris), 1921, pp. 367-370. [en ligne sur notre site]
— L’inconscient. Préface du Dr Toulouse. Avec 8 figures et 3 tableaux dans le texte. Paris, Octave Doin, 1923. 1 vol. in-8°. Dans la collection « Encyclopédie scientifique. Bibliothèque de psychologie expérimentale ».
— Les récents enseignements psychologiques de Freud. Article parut dans la revue « L’encéphale, journal de neurologie et de psychiatrie », (Paris), dix-huitième année, 1923, pp. 525-531.[en ligne sur notre site]
— Les aspects multiples du refoulement. Article paru dans la revue « L’Encéphale », (Paris), dix-huitième année, 1923, p. 200-201. [en ligne sur notre site]
— (Avec René Laforgue). Contribution à la psychologie des états dits schizophréniques. Article parut dans la revue « L’Encéphale », (Paris), dix-neuvième année, 1924, pp. 45-50. [en ligne sur notre site]
— Les psychoses et les frontières de la folie. Préface du professeur Henri Claude. Paris, Ernest Flammarion, 1924. 1 vol. in-8°, 278 p., 1 fnch. Dans la « Bibliothèque de philosophie scientifique ».
— Traité de sexologie normale et pathologique. Préface du Dr Toulouse. Avec 72 figures. Paris, Payot, 1933. 1 vol. in-8°.
— Ce que la clinique française a retenu de la Psychanalyse, Article perçut dans lld journal «La Clinique », n° 240, Février 1935 (B). t tiré-à-art : 1 vol; in)8°, 15 p. [en ligne sur notre site]
— Psychologie du crime. Au-delà de l’infrastructure biologique, sociale et psychiatrique du crime. Connaissance concrète de l’homme criminel en situation. Conceptions compréhensives du crime: clinique élargie, psychanalytique, phénoménologique. Paris, Payot, 1963.
— Manuel de sexologie normale et pathologique. Préface du Dr Toulouse. Avec 72 figures. Paris, Payot, 1946. 1 vol. in-8°. Dans la « Bibliothèque scientifique ».
— L’univers morbide de la faute. Préface de Henri Wallon. Paris, Presses Universitaires de France, 1949. 1 vol. in-8°. Dans la « Bibliothèque de psychanalyse et de psychologie clinique ».

 

René Laforgue (1894-1962). Médecin et psychanalyste, en 1925 il fonde avec Angelo Hesnard et quelques autres collègues, l’Evolution psychiatrique. L’année suivante avec René Allendy et Edouard Pichon il fond la Société psychanalytique de Paris (SPP). Puis en 1927 il fonde avec quelques membres de cette nouvelle société, il fonde la Revue française de psychanalyse. En 1953 il rejoindra la Société française de psychanalyse, crée par Daniel Lagache et Jacques Lacan. Quelques publication de l’auteur :
– Contribution à la psychologie des états dits schizophréniques. Article parut dans la revue « L’Encéphale », (Paris), dix-neuvième année, 1924, pp. 45-50. (En collaboration avec )Angela Hesnard.  [en ligne sur notre site]
– Les causes psychologiques des résistances qui s’opposent à la diffusion des idées psychanalytiques. Article paru dans la publication « Le Disque vert », (Paris-Bruxelles), deuxième année, troisième série, numéro spécial « Freud », 1924, pp. 95-98. [en ligne sur notre site]
– La pensée magique dans la religion. Article parut dans la « Revue française de psychanalyse », (Paris), tome septième, n°1, 1934, pp. 19-31. [en ligne sur notre site]
 Le rêve et la psychanalyse. Introduction de Mr le Dr Hesnard. Paris, Maloine, 1926. 1 vol.
– Libido, Angoisse et Civilisation. Trois Essais psychanalytiques. Paris, Editions Denoël et Steele, 1936. 1 vol. in-8°, 48 p.
– Devant la Barrière de la Névrose. Etude psychanalytique sur la névrose de Charles Baudelaire. S. l. [Paris], Les Editions Psychanalytqiues, 1930. 1 vol. in-8°,
– Freud et son génie. Article parut dans la revue créée et dirigée par Maryse Choisy, revue chrétienne de psychanalyse « Psyché », (Paris), 1e année, numéro 107-108, numéro spécial FREUD, 1955, pp. 457-466.[en ligne sur notre site]
– Psychopathologie de l’échec. Nouvelle édition revue. Paris, Payot, 1950. 1 vol. in-8°.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination du tiré-à-part de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons corrigé les fautes de frappe.
– Par commodité nous avons renvoyé la note de bas de page en fin d’article.  – Les images ont été rajoutées par nos soins. . – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

 

[p. 211]

La Conception psychanalytique ou « instinctiviste » de la Schizophrénie

Par MM. HESNARD et LAFORGUE

Notre profonde admiration de l’œuvre de Bleuler ne va pas sans une certaine répugnance à admettre, quant à l’interprétation de symptômes de la schizophrénie, le « trouble primaire des associations des associations d’idées ». Pour nous la pensée « autistique » loin d’être un simple contenu de la psychose, est, dans cette affection, l’élément clinique fondamental.

Nos recherches concernant son origine dans l’histoire affective de l’individu et celles de nos collaborateurs français Codetet Pichon, d’une part, de l’autre les travaux cliniques du Prof. H. Claudeet de ses élèves —qui ont imprimé à la psychiatrie française, sur ce terrain, une orientation nouvelle, — nous ont conduits à rechercher cette origine dns un trouble très précoce (probablement en partie congénitale) de l’évolution des instincts (1) ; l’instinct le plus important à considérer au point de vue psychiatrique était probablement cet instinct à peine détaché de la propre personne de l’individu, que Freudconsidère comme l’instinct sexuel tel qu’il se manifeste dans la phase « prégénitale » de son développement.

Pour saisir en raccourci la signification capitale (tant au point de vue pratique qu’au point de vue théorique) de cette conception instinctivistede la schizophrénie, nous allons tracer le schéma affectif évolutif de cette affection.

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Ce schéma affectif évolutif de la schizophrénie peut se concevoir comme comprenant trois temps successifs : un premier [p.212] d’arriération affective, un second d’intériorisation affective, un troisième de démence affective.

I. L’arriération affective schizophrène est plus radicale que celle des autres psychopathes. Elle paraît consister avant tout dans une fixation de l’évolution instinctive à l’âge très précoce ou le petit enfant ne connaît comme élection affective que celle qui concerne la mère, ou ses substituts. (Il est même permis de se demander, quoiqu’une telle hypothèse fasse sourire ceux qui ne sont pas familiarisés avec les résultats de l’enquête psychanalytique, si certains schizophrènes ne tendent pas constitutionnellement à régresser affectivement au stade fœtal de la vie intra-utérine, où l’existence humaine, purement végétative, réalise une absence intégrale de contact avec l’extérieur).

Cette fixation instinctive à la mère est une tendance primordiale purement possessiveet centrée autour de la fonction vitale essentielle à cette époque de la vie : la fonction digestive, seul moyen d’échange psycho-organique du petit enfant avec le monde extérieur ; aussi tend-elle, à l’instar de cette dernière, à disposer intégralement de l’objet aimé, à l’assimiler, en vertu d’un instinct primitif et unique d’« amativité » et d’« alimentivité » tout à la fois.

Or le futur schizophrène souffre plus que quiconque de l’angoissé du sevrage (au sens large) et du partage nécessaire de la mère avec autrui, comme d’ailleurs de tous les sacrifie que l’éducation et l’existence pratique vont ensuite lui imposer, sur le modèle dc ce premier inassouvissement.

L’objet maternel lui échappant, il parvient à y renoncer et à le « scotomiser », c’est-à-dire à le bannir de son cercle d’intérêt affectif, mais seulement au prix d’un dommage psychique qu’il tend à compenser automatiquement par un repliement sur sa propre vie imaginative intérieure. Ce repliement sur soi aboutit à une réalisation instinctive par le dedans, sorte d’épanchement affectif endogène ou d’instinct « rentré » (2). [p. 213]

Désormais toute son énergie affective dérivera dans cette pernicieuse direction, chaque sacrifice nouveau au réel renforçant ce besoin inconscient d’une compensation d’une déception extérieure par la jouissance intérieure. L’individu, alors, sera définitivement à gager dans ce dilemme : pour posséder tout objet réel de son désir comme la mère-aliment, se l’assimiler intégralement, le digérer psychiquement ; ou bien l’ignorer affectivement et y devenir indifférent en se réfugiant en lui-même jusqu’à se donner l’impression d’appréhender et de conserver l’univers dans sa propre personne : —  les deux éléments de ce dilemme aboutissant, le premier à la passion sadique destructible, et le second (qui finit par l’emporter) à la culture de l’autisme, véritable report narcissique de l’instinct sur soi-même.

Ces réactions sont d’ailleurs longtemps silencieuses —tant que le trouble instinctif reste « compenser », c’est-à-dire, le plus souvent, jusqu’aux déceptions de l’âge adulte en rapport avec la possibilité flagrante d’assouvissement instinctif ;— elles restent jusque-là dissimulées derrière une façade purement intellectuelle qui permet à l’individu en latence de trouble mental de copier artificiellement le caractère des individus normaux.

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II. Le deuxième stade, de l’Intériorisation affective(Claude) est atteint lorsque l’individu, renonçant franchement aux intérêts de la vie réelle, se réfugie, de façon cliniquement évidente, en lui-même.

Dans cette vie autistique, tout instinct tend à la jouissance personnelle : les misères de la vie réelle sont niées. L’avenir n’est plus qu’un mot. Le temps et l’espace non plus d’importance. La condensation des images d’objets réels et des éléments du langage, la transmutation des valeurs affectives extérieures en valeurs intérieures s’organisent autour d’une toute-puissance subjective, l’absurdité colossale ; et parmi les idées délirantes nées de cette désadaptation au réel, les idées de grandeursuppriment le souvenir de tout sevrage en ressuscitant les voluptés (amorales et auto-érotiques) du paradis de l’enfance.

Peu à peu se constitue toute cette symptomatologie bleulérienne dont Minkowski nous a donné de remarquables du définitifs exposés. [p. 214]

Devenu lui-même l’unique et définitif objet de son propre intérêt, le schizophrène réalise jusqu’au bout cette inversion des polarités affectivesen vertu de laquelle le monde extérieur, principe de toute vie, devient pour l’individu ce qu’est pour le normal une matière morte et répulsive, tandis qu’inversement, le monde intérieur, prenant la signification d’une matière assimilée, occupe le centre de ses plus puissantes appétences.

Bien entendu, cette perte de contact avec le réel, phénomène purement affectif secondaire à la régression de l’instinct vers sa fixation infantile primitive, est essentiellement variable dans son degré, suivant la gravité de l’arriération affective et aussi, dans de plus faibles proportions, suivant l’action favorable des circonstances : Le schizoïde, constitutionnel simple de la tendance à l’extériorisation affective, reste capable d’action sociale. Le schizomanede M. Claude se console durant de longues années des déceptions réelles par un rêve autistique que supporte de façon relativement correcte sa personnalité. Le schizophrènevrai sombre vite dans la culture du monde imaginaire, ne restant en contact approximatif avec l’extérieur que pafrune couche superficielle de son être affectif.

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III. Le troisième stade, de Démence affective, n’est atteint que par certains malades. La vie proprement intellectuelle résiste longtemps à cette entrave de l’élan instinctif ; mai certains processus affectifs s’effritent du fait de la défectueuse utilisation, par l’individu, de ses énergies instinctives. Le meilleur critère clinique de ce déficit affectif est l’indifférence vraie au réel(qu’il ne faut pas confondre avec la fausse indifférence, par déplacement transitoire des intérêts, si fréquente chez les psychopathes absorbés par leur trouble mental).

Aux dernières périodes cliniques de la maladie, apparaissent les signes d’abolition absolue de tout sentiment social, en rapport avec l’intégrale satisfaction instinctive de l’individu en soi-même. Ce dont témoignent les symptômes caractéristiques comme : la masturbation insouciante de tout public, et la reviviscence de l’intérêt infantile aux excréments. [p. 215]

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 Cette conception instinctiviste de la schizophrénie, qui demande à être complété.e, analysée en détail, contrôlée, ne heurte aucune des idées traditionnelles. Elle s’accorde en particulier avec que certaines conceptions organicistes, les causes organiques comme le déséquilibre humorale, l’infection, l’alcoolisme, etc. agissant au point de vue psychanalytique, en annulant les progrès évolutifs de l’instant et en favorisant sa régression à des stades primaires de plus en plus anciens de la préhistoire affective de l’individu.

Bien entendu nous l’avons exposée, faute de temps, de manière extrêmement schématique, notre but étant seulement de montrer le grand avenir des conceptions psychiatriques dont nous sommes redevables à la psychanalyse, et dont deux grands esprits comme Bleuler et H. Claudeont su entrevoir ou vérifier l’immense intérêt scientifique.

Notes

(1) L’un de nous a récemment attiré l’attention sur l’intérêt humain et scientifique considérable de cette notion d’évolution normale de l’instinct (Voyez : Hesnard : La vie el la Mort des instincts chez l’Homme. Paris, Stock, 1926).

(2) Cette tendance à ne rien abandonner d’inassimilé à l’extérieur sans remédier à cette privation affective par une compensation autistique, est un des principaux éléments de la tendance schizonoïaque (ou tendance à la discordance entre l’attitude consciente d’un individu et son activité inconsciente). décrite par Laforgue et Pichon dans les Névroses et la Schizophrénie (Evolution psychiatrique, Payot, 1925).

 

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