A. Pilcz. Quelques contributions à la Psychologie du sommeil chez les sains d’esprit et chez les aliénés. Extrait des « Annales Médico-Psychologiques », (Paris), 57eannée, huitième série, tome neuvième, 1899, pp. 66-75.

A. Pilcz. Quelques contributions à la Psychologie du sommeil chez les sains d’esprit et chez les aliénés. Extrait des « Annales Médico-Psychologiques », (Paris), 57eannée, huitième série, tome neuvième, 1899, pp. 66-75.

 

Alexander Pilcz (1871-1954). Neurologue et psychiatre autrichien. Professeur à la Clinique Psychiatrique de l’Université de Wiedeńskiego.Quelques publication :
— Lehrbuch der Speziellen Psychiatrie für Studierende und Ärzte. Franz Deuticke (1904).
— Spezielle gerichtliche Psychiatrie für Juristen und Mediziner. Leipzig-Wien: Deuticke, 1908
— Über Hypnotismus, okkulte Phänomene, Traumleben usw. Sieben Vorträge für gebildete Laien. Leipzig-Wien: Deuticke, 1926.
— Nervöse und psychische Störungen. Ein Leitfaden für Seelsorger und Katecheten. Freiburg: Harder, 1935.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité les notes de bas de page ont été renvoyées en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 66]

QUELQUES CONTRIBUTIONS
A LA
PSYCHOLOGIE DU SOMMEIL
CHEZ LES SAINS D’ESPRIT ET CHEZ LES ALIÉNÉS

Par le Dr Alexandre PILCZ,
Médecin-adjoint de la 1reclinique psychiatrique à Vienne (Autriche),
membre associé étranger de la Société médico-psychologique de Paris.

Tandis que les recherches des physiologistes s’occupent surtout des phénomènes physiques du sommeil (rapports de la pupille, des réflexes, de l’excrétion et de la sécrétion, etc.), ce sont justement les phénomènes psychiques auxquels s’intéressent peu les médecins ; aussi le domaine des rêves reste le territoire exclusif des réflexions philosophiques et spéculatives.

La difficulté principale qui rend stériles nos recherches sur ce sujet et ne nous y fournit que peu de succès, c’est qu’en étudiant ce vaste champ plein d’intérêt psychologique, nous sommes privés de toute méthode exacte, de tous signes objectifs ; que nous sommes bornés plutôt à l’observation de nous-mêmes, c’est-à-dire, à des communications tout à fait incontrôlables.

Si malgré ces difficultés j’ose publier quelques contributions à l’étude des rêves, je citerai d’abord les mots suivants de Naecke sur la valeur de l’observation de soi-même : « … Comme conclusion je voudrais dire quelques mots sur la grande valeur de l’observation intérieure, méthode qui, à mon avis, n’est pas encore appréciée à sa juste valeur dans les sphères de la psychiatrie. Il nous appartient justement à nous médecins de prendre les devants sur les autres en faisant [p. 67] aussi exactement que possible cette observation intérieure, et chacun doit, lorsqu’il a observé sur lui-même quelque fait psychologique intéressant, le publier, pour ne pas laisser perdre un document précieux (1). »

Aussi les réponses concordantes de nombreuses personnes intelligentes qui avaient été interrogées d’une manière excluant absolument toute suggestion verbale, me semblent mériter quelque égard. Il s’agissait de personnes qui ignoraient complètement ce dont se préoccupait l’examinateur ; j’avais soin que les questions posées laissassent libre une réponse aussi bien affirmative que négative.

Enfin je me permets d’attribuer quelque valeur aussi à mes observations personnelles puisque, ayant noté mes rêves exactement depuis plus de cinq années, j’avais fixé au début mon attention sur des points tout à fait différents de ceux qui depuis m’ont paru importants.

Qu’il me soit permis d’appeler encore l’attention sur les faits suivants. Grâce à la vie monotone de l’Institut, je me trouve dans des conditions toujours à peu près les mêmes. Je me soumis à une sorte d’influence expérimentale durant quelques semaines : avant de m’endormir je prenais du bromure de potasse, de la paraldéhyde, du thé, de l’alcool, etc., ou je me soumettais à de grands efforts tantôt physiques (à la salle d’escrime), tantôt psychiques en travaillant outre mesure jusqu’à 2 à 3 heures du matin. Je suis habitué à me coucher à minuit et à me lever à 7 heures du matin. Aussitôt après m’être réveillé je note mes rêves ; de même je les fixe pour écrit quand je suis réveillé pendant la nuit, ce qui m’arrive, en ma qualité de médecin adjoint, assez souvent, à des heures les plus différentes. [p. 68]

Je vais maintenant exposer les résultats de mes observations. Comme fait le plus intéressant je note nue certaine corrélation qui me semble exister entre la. profondeur du sommeil et la matière des rêves eu vue de leurs rapports temporels. Je vais m’expliquer sur ce point.

Au commencement, je ne poursuivis que le but de contrôler les observations de Nelson (2). Cet auteur prétend avoir trouvé une certaine périodicité dans « l’intensité » des rêves, de telle façon que, durant vingt-huit jours, la netteté et la clarté avec lesquelles on se rappelle des rêves, atteint un maximum et un minimum entre lesquels on pouvait constater un affaiblissement et un accroissement continuels et réguliers de l’intensité. Il est vrai, toute mesure objective de cette « intensité » nous manque ; mais avec quelque habitude de l’observation de soi-même on apprend facilement à apprécier l’exactitude avec laquelle on se souvient des rêves chaque fois.

Seulement, pour mon propre usage, afin de pouvoir obtenir quelque expression graphique, je m’étais construit une espèce de gamme en désignant par « 100 » les rêves que je me rappelais avec la clarté la plus parfaite, souvent encore après bien des mois. Avec « 0 » je dénotais une nuit sans rêves ; selon l’impression subjective je marquais les diverses intensités intermédiaires, par 25, 50, etc. D’abord un fait connu vraisemblablement par tout observateur attentif se présenta bientôt, c’est que la netteté du souvenir des rêves change beaucoup au cours des temps, souvent déjà les premières heures. Bien des fois ou se rappelle plus tard des rêves qui, le matin, ont échappé complètement à notre mémoire, tandis que d’antres rêves, pleins d’une vivacité plastique et d’énergie, ne peuvent plus être reproduits [p. 69] après un court espace ; enfin d’autres rêves d’une intensité moyenne persévèrent dans la mémoire avec une ténacité frappante.

Or, je ne pouvais constater nulle périodicité ni de la courbe obtenue par les notations des rêves prises aussitôt après le réveil, ni faites à une période plus tardive.

Mais je crois avoir découvert quelques antres corrélations entre la qualité des rêves et la profondeur du sommeil.

D’abord, ce qui me frappa, c’est l’influence que le temps déjà passé à dormir exerce sur la matière des rêves. Comme je l’ai déjà dit, en ma qualité de médecin de service, je suis réveillé assez souvent pendant la nuit. Or, quand je suis réveillé après n’avoir dormi qu’une ou deux heures, fréquemment je ne me rappelle aucun rêve. Mais les rêves dont je suis conscient ont pour sujet des événements et des situations depuis longtemps passés, des gens à qui je ne pensais guère depuis plusieurs années et que j’avais oublié presque entièrement. Pendant ce temps je ne rêvais jamais de faits nouveaux de ma vie (service militaire, ma position nouvelle à la clinique psychiatrique, des cas curieux et remarquables du service, etc.). A mesure que le moment du réveil inattendu et brusque se rapproche de celui où je suis habitué à m’éveiller spontanément, des images plus nouvelles, des idées et des expériences acquises plus récemment reparaissent de plus en plus dans les rêves. Souvent il arriva que je ne pouvais reproduire que les derniers rêves en me levant, et que je croyais n’avoir rêvé antre chose, tandis qu’un coup d’œil jeté sur mes notations nocturnes m’informait que, par exemple, j’avais subi la fameuse angoisse d’examen, on que j’avais été en relation avec un personnage mort depuis longtemps, etc. [p.70]

Quand on regarde la courbe connue de Kohlschütter, etc., sur la profondeur du sommeil, il semble donc résulter que pendant le plus ferme et le plus profond sommeil, où nuls rêves ne naissent, ou ces rêves seuls qui produisent des images éloignées de la mémoire, étant en subconscience à l’état de veille ; que d’autre part ces complexus d’idées qui forment le contenu, actuel de la vie psychique, se reposent dans le sommeil paisible et ne gagnent d’énergie que quand la profondeur du sommeil est amoindrie d’un certain degré.

Je fis donc attention si cette régularité ainsi apparente n’avait pas une valeur plus universelle. En effet, en examinant et en relisant mes notations plus soigneusement, et en les comparant chaque fois avec mon état psychique ou physique de la veille, je suis poussé vers l’opinion qu’un degré considérable de profondeur du sommeil est nécessaire pour que des souvenirs plus anciens puissent être reproduits dans les rêves, mais· qu’inversement les groupes des idées plus récentes et les associations plus nouvelles n’apparaissent qu’en un sommeil faible et léger. Après des mouvements psychiques graves, après du surmenage intellectuel, des. travaux excessifs, après l’usage du thé, de la caféine ou de l’alcool, j’avais beaucoup de rêves courts et confus qui, avaient pour sujets presque exclusivement des faits et des objets du passé le plus récent, même de la veille. D’autre part, après des doses de paraldéhyde, de bromure de potassium, après des efforts physiques ou psychiques sérieux mais pas exagérés, la nuit passait ou sans rêves, ou bien il m’apparaissait des associations et des images q ni ne m’avaient pas occupé depuis longtemps. J’ai mentionné plus haut que c’est généralement le sommeil du matin à qui les rêves d’une période postérieure sont propres, et que les rêves remontant à une époque p] us ancienne appartiennent aux premières [p. 71] heures du sommeil. Quelquefois une inversion totale de cette formule s’effectuait, c’est-à-dire les idées m’ayant occupé avant de m’endormir me poursuivaient dans mes rêves le plus longtemps, et ce n’était que vers le matin que quelques images oubliées depuis longtemps s’entremêlaient dans le cours d’associations. En notant mes rêves scrupuleusement, je ne pouvais pas m’explique ce fait an commencement. Mais en portant une stricte attention sur toutes les circonstances précédant telle ou telle nuit, j’y parvins bientôt. Excité par quelque cause, très souvent je n’obtenais pas le sommeil assez calme qui se faisait attendre jusqu’au matin, la fatigue finissant par devenir accablante.

Une corrélation entre la profondeur du sommeil et par suite la matière des rêves et entre leur intensité, leur clarté, n’existe point d’après mes expériences. Des rêves d’une période assez éloignée peuvent apparaître extrêmement plastiques ; des groupes d’associations, dont notre actuelle vie psychique tout entière est pleine, se présentent quelquefois dans des rêves si vagues qu’on se les rappelle à peine quelques heures après le réveil et vice versa.

Malcolm Liepke.

Je peux confirmer aussi par mes recherches l’observation de plusieurs auteurs : c’est que généralement chaque impression nouvelle, quelque importante et quelque répétée qu’elle soit, exige un espace assez long —on dirait même plusieurs mois —jusqu’à ce qu’elle ait des chances d’être reproduite dans les rêves.

Ensuite je m’occupais à interroger les malades de la clinique psychiatrique en ce qui concerne leurs rêves. Il va sans dire que d’abord il fallut exclure toutes les psychoses aiguës avec des hallucinations vives et fréquentes. Les diverses formes de démence (la paralysie progressive, la démence sénile, la démence secondaire après l’hébéphrénie, etc.) ne me donnèrent non plus des [p. 72] résultats satisfaisants, Ces derniers malades me répondaient unanimement qu’ils ne rêvaient pas du tout. Mais c’étaient quelques paranoïaques intelligents qui me fournissaient des réponses d’autant plus remarquables qu’elles s’accordaient presque parfaitement. En étudiant les rêves des aliénés à délires systématisés chronique … , on fait l’observation assez singulière que Delage (1) a déjà publiée, que généralement les idées morbides prédominant la vie psychique de l’aliéné à l’état de veille n’ont pas la tendance de revenir dans leurs rêves. Parmi mes malades je citerai par exemple un prêtre ayant des idées de persécution très prononcées avec des hallucinations les plus abondantes et les plus diverses. Ce malade se plaignit amèrement qu’on lui « faisait » des rêves ; des pollutions lui seraient « faites » par des femmes, qui le masturbaient de telle manière qu’il se sentait tout à fait affaibli et fatigué en se réveillant, Mais ces femmes, il les devinait par conclusion, il ne les voyait jamais, et ce même malade m’affirma avec la plus grande précision que jamais il ne rêvait de ses ennemis et de ses persécuteurs. Un autre paranoïaque, avec des hallucinations de l’ouïe très pénibles, qui entendait des voix par influence « magnéto-hypnoto-spiritistique », qui recevait des injures, dont tontes les actions étaient « critiquées », me déclara positivement qu’en dormant il avait la paix et qu’il ne rêvait pas de ces voix mystérieuses. Celui-ci me fit d’autres déclarations très intéressantes. Il se trouve à la. clinique depuis plus de six mois et il m’assure précisément qu’il ne rêve jamais des médecins de l’asile, de ses infirmiers, des autres malades, etc., qu’au contraire, en rêvant, il se sent retransplanté dans des situations de sa vie précédente, qu’il fréquente des personnages de son ancien [p. 73] milieu. Ce n’était que le premier temps de son séjour à la clinique qu’il rêvait de sa nouvelle situation, de l’asile, etc. Or, la feuille d’observation de ce malade montre qu’il avait été très excité les premières journées, qu’il avait eu le sommeil inquiet. Un apaisement assez grand s’effectua au bout de la première semaine. Donc mes propres observations personnelles semblent avoir une valeur plus générale. La profondeur du sommeil, telle qu’elle existe chaque fois, exerce donc une Influence sur les rêves en un tel sens que les complexes d’idées acquises récemment et toutes ces associations qui forment la matière actuelle du « moi », n’ont des chances d’apparaître dans les rêves que par un certain minimum de la profondeur du sommeil, c’est-à-dire dans le sommeil peu calme et peu paisible.

On pourrait s’imaginer que les cellules nerveuses et les fibres d’association de l’écorce cérébrale, qui travaillent le plus fort durant la journée, ont le plus grand besoin de repos, sont donc mises hors fonction, paralysées, dans le sommeil profond, tandis que ces groupes d’idées qui à l’état de veille se trouvent plus on moins en subconscience, pourraient développer plus d’énergie. A mesure que le sommeil dure, et que le repos qui en résulte devient de plus en plus parfait, les premières cellules entrent en action avec d’autant plus de force et en plus grand nombre que le dormeur se rapproche davantage du réveil spontané. Mais après certains poisons stimulants, après du surmenage intellectuel, dans le sommeil peu paisible, tout l’être psychique étant surexcité, justement ces éléments de l’écorce cérébrale, auxquels la vie psychique actuelle est attachée, sont dans un état de surirritation, d’excitation augmentée, et elles « vibrent » aussi encore dans les rêves.

Dana les formes de la démence simple acquise, telles qu’on les voit par exemple dans la démence sénile [p. 74] simple, non compliquée d’hallucinations, d’anomalies d’humeur, de délires, nous considérons comme le symptôme le plus marquant un trouble de mémoire particulier, consistant en ce que les expériences et connaissances acquises ultérieurement sont fortement atteintes parfois jusqu’à l’anéantissement complet, tandis que les images de souvenirs du temps passé sont conservée merveilleusement intactes, souvent même celles-ci forment la matière seule, exclusive, des idées qui restent encore. Enfin toute vie psychique s’est éteinte dans le. formes les plus graves de ]a démence on dans les phases terminales de ces maladies.

Cette analogie est bien remarquable. Si l’on considère le sommeil comme un état psychique dont le caractère essentiel est la paralysie on la suppression de la faculté de penser avec conscience, nous voyons dépérir les premières les idées nouvelles, et le contenu des rêves se former des images anciennes dès que le sommeil a atteint un certain degré de profondeur. Le sommeil le plus profond est sans rêves, comme la syncope.

J’ai fait aussi des hallucinations hypnagogiques, l’objet de mes recherches. Mais je ne réussis pas à y pouvoir trouver une régularité quelconque ou une influence quelconque des médicaments énumérés plus haut. Peut-être je noterai que, bien que je sois musicien passionné et doué d’une assez bonne mémoire auditive —par exemple, je puis me représenter chaque pièce d’orchestre avec toute clarté sensorielle à l’aide de la partition —pourtant je n’ai presque que des hallucinations optiques. Bien des fois, après un concert ou une représentation de l’Opéra, je me couchais, l’oreille pleine des mélodies entendues, et malgré cela je n’ai eu d’hallucinations hypnagogiques de l’ouïe qu’à peine quatre ou cinq fois pendant une période de cinq années.

Le but de ce travail n’est pas de donner une théorie [p. 75] des rêves ni de critiquer les nombreuses théories diverses formées sur ce problème. Aussi j’éviterai de donner une énumération et une exposition des travaux y ayant rapport. En passant, je me permettrai de mentionner ma théorie du sommeil publiée en 1891 (4), d’après laquelle la supposition d’une interruption de conduite dans les voies centrifuges on centripètes me semble inutile et superflue, et d’après laquelle j’essaye de démontrer que le sommeil et les rêves sont comme un état d’hyperémie relative du tronc cérébral et d’anémie du manteau, causées par la puissance amoindrie de l’attraction nutritive (Virchow) des cellules ganglionnaires de l’écorce.

CONCLUSIONS. —1 ° Une périodicité on régularité de l’intensité des rêves n’est pas démontrable.

2° Il y a une certaine corrélation entre la profondeur du sommeil et la matière des rêves. Le sommeil le plus profond est sans rêves. Dans le sommeil d’une profondeur moyenne, des associations et des images plus anciennes apparaissent. Des impressions nouvelles ne s’entremêlent dans les rêves que lors d’un sommeil peu paisible.

3° Dans le sommeil calme, chaque impression nouvelle n’est reproduite qu’après un temps assez long.

4° Généralement, les aliénés à formes chroniques ne rêvent pas de leurs idées morbides.

Notes

(1) Neurolog. Centralblatt, 1897, n° 24, p. 1122, etc.

(2) Amer. Journal of physiology, vol. I, n.

(3) Delage. Revue scientifique, t. XLVIII. [en ligne sur notre site]

(4) Wiener· medicinische Wochenschrift, 1891, n° 43-45.

 

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