A. Chéreau. Sorcellerie et Magie. Article du « Dictionnaire encyclopédique des Sciences Médicales, A. Dechambre Ed. », (Paris), troisième série, tome dixième, SIR – SPE, pp. 455-482.

CHEREAUMAGIE0001Achille Chéreau. Sorcellerie et Magie. Article du « Dictionnaire encyclopédique des Sciences Médicales, A. Dechambre Ed. », (Paris), troisième série, tome dixième, SIR – SPE, pp. 455-482.

Achille Chéreau (1817-1865). Médecin qui s’intéressa plus à la médecine historique qu’à la pratique médicale. Il fut nommé membre associé de l’Académie de médecine en 1876 et bibliothécaire de la Faculté le 1er janvier 1877. Quelques publications parmi ses très nombreuses contributions :
— La Vérité sur la mort de J.-J. Rousseau.
— Guillotin et la guillotine.
— Louise Bourgeois, dite Boursier, sage-femme de la reine Marie de Médicis.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

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SORCELLERIE ET MAGIE. Sorcellerie, ou opération des sorciers ; vient du bas, latin Sortiarius (de sors, sort). qui fait œuvre de sorcellerie ; celui ou celle qui a-conclu un pacte avec le diable à l’effet d’opérer des maléfices, et pour aller ses assemblées nocturnes dites sabbat. Jeter un sort à quelqu’un, c’est à raide d’artifices magiques lui envoyer ou des maladies ou des contrariétés morales, ou faire périr ses bestiaux. « Le sorcier, écrit Boguet, est celui qui par moyens diaboliques sciemment s’efforce de parvenir à quelque chose ». La raison, la philosophie, doivent définir ainsi la sorcellerie : [p. 456] Opération attribuée par la superstition ou par la crédulité à l’invocation ou au pouvoir des démons.,

Dans ce Dictionnaire il n’a pas été traité, spécialement, de la MAGIE, c’est-à-dire, comme la définit Littré, de l’art de produire des faits contre l’ordre de la nature, et qui comporte l’idée de toutes les opérations surnaturelles ; nous en parlerons comme d’un tout recélant dans ses flancs la Sorcellerie, qui n’en est qu’une partie, comme le sont l’Oneiromancie (songes), la Nécromancie (morts), l’Astrologie (astres), l’Horoscopie (carrés astrologiques), la Gyromancie (sorts), la Rhabdomancie [baguette divinatoire), la Cartomancie (cartes à jouer}, la Xylomancie (morceaux de bois), la Cleidomancie (clefs), les présages, les oracles, les pronostics, les augures, les voyants, la kabale, les fées, les génies divins, les amulettes, les talismans, etc.

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L’histoire de la magie se lie étroitement avec les idées théologiques qui ont pendant si longtemps entravé les données sûres et certaines de l’observation et de l’étude physique et morale de l’homme. En peuplant l’univers d’êtres surnaturels, et en leur faisant jouer ici-bas le principal rôle ; en accordant aux anges et aux démons (voy. DÉMONS) une grande part d’influence dans l’accomplissement des événements terrestres, des phénomènes physiques, et même de phénomènes purement organiques ; en soutenant, que des puissances actives et intelligentes étaient placées entre Dieu et l’homme, entre les cieux et la terre, que ces puissances étaient indispensables pour faire l’office de causes occasionnelles, la théologie, représentée par les docteurs chrétiens, et certaines philosophies sont en opposition absolue avec la théorie moderne qui sert actuellement à expliquer les phénomènes qui se passent devant nos yeux. Or, de quelque côté que l’on porte les regards, que l’on consulte les traditions du passé, sacrées ou profanes, que l’on interroge les vrais oracles de la Foi, l’opinion des principaux philosophes, des poëtes, les croyances populaires… partout, à peu près uniformément, on se trouye en face de l’affirmation de l’existence des esprits et de la possibilité de leur apparition. Dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament, dans 1’Iliade comme à Athènes et à Rome, dans l’immense collection des Bollandistes, on ne voit que des essences à part, dignes, par l’excellence de leur nature, d’une sorte de culte, ou de mauvais génies traînant après eux la crainte et la terreur. A présent, la plupart des exemples de visions ou d’apparitions des anges, de démons, d’être de nature spirituelle, qui ont été recueillis depuis le milieu du cinquième jusqu’an quinzième siècle, sont rejetés par la portion du clergé réputée sage et attaché à de saines doctrines théologiques. Mais la validité des témoignages aujourd’hui réputés faux, douteux, ou attribués par les nais fidèles à un état d’exaltation maladive de l’imagination, n’était nullement suspectée pendant le moyen âge ; chaque semaine, alors, si ce n’est chaque jour, on devait se résigner à entendre raconter que quelque abbé, que quelque pieux moine avait eu maille à partir avec des diables ou avec quelques fantômes acharnés contre sa personne, et en général ces fantômes ne jouissaient pas de moins d’autorité que ceux qui sont consignés dans les Écritures saintes, que ceux qui avaient été attestés par les saints martyrs et par les saints Pères .. Des visionnaires crurent sérieusement assister à des réunions d’anges, contempler sous leurs pieds l’abîme de feu où se trouvent relégués les esprits rebelles, distinguer dans les régions de l’air des troupes d’anges luttant contre des bandes de démons pour ravir à leurs redoutables adversaires quelques âmes damnées. Les témoignages de ces visionnaires furent cités avec autant [p. 457] de respect que d’admiration. Chaque fois que par la suite il fut question de résoudre quelques doutes sur la forme, sur les différents modes d’apparition des êtres surnaturels, l’on ne manqua pas d’en référer à l’infaillibilité des sens de pareils personnages » (Calmeil).

Avec cette idée d’êtres spirituels qui ont prise sur l’homme, qui le gouvernent. et sont les dispensateurs de ses joies ou de ses malheurs, de sa souffrance ou de son bien-être, toutes les erreurs, même les plus monstrueuses de la magie et de la sorcellerie, s’expliquent, puisqu’à la place des causes physiques ; ce système met des abstractions qui donnent raison de tout, puisqu’une théorie qu’on croyait basée sur la certitude de faits révélés, qui paraissait appuyée sur une foule de témoignages humains, avait cet immense avantage de rendre compte de tous les événements heureux ou malheureux de la vie. À une cause occasionnelle réelle, mais qu’on ne pouvait saisir, on substitua une autre cause occasionnelle que l’on croyait avoir surement dans les mains, et dans ce sens ce fut encore la vérité que l’homme chercha, mais une vérité que l’observation moderne a reconnu pour n’être qu’une illusion et un mirage.

Dans la magie il faut donc voir la tendance qu’a eue toujours l’homme d’expliquer les phénomènes physiques qui se passent sous ses yeux et qui agissent sur lui et malgré lui ; mais, comme le sens scientifique lui manquait, ce fut par un amas de superstitions, par des procédés empiriques, qu’il prétendit lire dans le livre de la nature ; au lieu d’étudier les phénomènes avant d’en saisir les lois et de les appliquer à ses besoins, il s’imagina pouvoir, à l’aide de pratiques particulières et de formules sacramentelles, contraindre les agents physiques d’obéir à ses désirs et à ses projets. Loin de se représenter les phénomènes de l’univers comme la conséquence de lois immuables et nécessaires, toujours actives et toujours calculables, il les fit dépendre de la volonté arbitraire et mobile d’esprits ou de divinités dont il substitua l’action à celle des agents mêmes et auxquels il crut pouvoir commander, Ce que la religion crut pouvoir obtenir par des supplications et des prières, la magie tenta de le faire par des charmes, des formules, des conjurations, elles envahit toutes les sciences, astronomie, physique. médecine, chimie, écriture même et poésie, tout fut placé sous sa tyrannie. Il n’y eut pas toutefois que mensonge et délire dans les procédés magiques ; il suffit de contempler quelque temps la nature pour en découvrir certaines lois. Les enchanteurs arrivèrent ainsi de bonne heure à la notion de plusieurs phénomènes dont ils ne surent pas percer la cause, mais dont ils suivaient avec attention tous les accidents. De la magie sont ainsi sorties quelques sciences qui restèrent longtemps infectées des doctrines chimériques au sein desquelles elles avaient pris naissance. Mais l’illusion se dissipa peu à peu, et toutes les merveilles que les magiciens prétendaient accomplir s’évanouirent dès qu’on tenta d’en vérifier la réalité. Il ne fut pas difficile de reconnaître qu’en dépit des charmes, des conjurations el des formules, la nature demeurait toujours la même ; que les lois n’étaient ni troublées, ni interverties. L’étude des phénomènes éteignit la foi du merveilleux, et c’est par ses progrès que furent expulsés, au moins pour les esprits éclairés, les derniers restes de la superstition (Maury).

Une des attributions les plus importantes de la sorcellerie a toujours été celle d’invoquer les esprits des ténèbres, les démons, les génies, enfin, le diable, tel qu’on l’entend vulgairement, pour le contraindre, au moyen de certaines pratiques ou de certaines formules, à la volonté de celui qui le fait paraltre [p. 458]

Du moment que l’on admit l’existence de ces diables. et de ces démons, l’idée que ces mauvais génies pouvaient entrer dans le corps d’un être humain, y faire sa résidence, n’était pas loin. De là l’admission de la possession, des possédés. De là aussi la persuasion où l’on était qu’il fallait, par divers moyens, chasser le diable du corps, l’exorciser, le conjurer. L’idée d’être possédé par le démon, d’avoir des relations avec lui, d’agir d’après ses ordres, est fondée sur des idées acquises, sur la supposition de l’existence des esprits, des génies. On a imaginé l’existence d’êtres ou de puissances intelligentes el invisibles chargés de différents rôles, et destinés précisément à produire les phénomènes dont on ignorait la cause (voy. OCCULTES [sciences]). C’est le dernier effort de la philosophie d’avoir désabusé l’humanité de ces chimères ; elle a eu à combattre la superstition et la théologie, qui ne fait que trop souvent cause avec elle. Des savants illustres, d’admirables inventeurs ont été réputés sorciers parce que devant une foule stupide ils montraient des phénomènes jusqu’alors inconus. On relient avec bonheur ces lignes que Gabriel Naudé écrivait en l625, c’est-à­dire à une époque où le monde était encore rempli de magiciens, de sorciers et d’enchanteurs : « Nous voyons qu’auparavant que les Humanités et bonnes lettres eussent été rendues communes et traitables à chacun par la félicité de notre dernier siècle, tous ceux qui s’amusoient à les cultiver et polir étoient réputés grammairiens et hérétiques ; ceux qui pénétroient davantage en la congnoissance des causes de la nature passoient pour Adiaphoristes et irreligieux ; celuy qui entendoit mieux la langue hébraïque estoit pris pour un mahométan, et ceux qui recherchoient les mathématiques ou sciences moins communes, soupçonnés comme enchanteurs et magiciens, quoy que ce fut une pure calomnie fondée sur l’ignorance du vulgaire, ou sur l’envie qu’il a toujours coutume de porter à la vertu des grands personnages par le peu de rapports qu’il y a de leurs mœurs aux siens… L’on peut encore réduire à tette cause la vanité de tous ces particuliers qui, désireux d’avoir quelque ascendant, par dessus leurs citoyens et le commun des bommes, se sont efforcés, de nous donner à cognoistre le soin que les dieux prenoient de leurs personnes par la continuelle assistance de quelque Génie tutélaire et directeur de toutes leurs principales actions : comme, ont roula faire Hercule, Romulus, Alexandre, Socrate. Apollonius, Chicus, Cardan, Scaliger, Campanella, etc. avec leurs familiers. Tous ces grands hommes ont remporté le titre de magiciens parce qu’ils out fait beaucoup de choses étranges par les moyens de la physique el les autres sciences qui leur étoient familières. Ils ont tellement étonné les esprits, que ces derniers ont attribué tous ces instruments et machines à l’intervention du démon plutôt qu’à l’industrie des hommes. Aussi les plus grands mathématiciens ont-ils été toujours soupçonnés de magie » (G. Naudé, Apologie pour les grand personnages qui ont été faussement soupçonnés de magie , Paris, 1625, in-8°, chap. II, p. 22. chap. III, p. 54).

Nous admirons sans en être étonné les beaux travaux de Porta, d’Hildelbrand, de Caramuel, du Père Kircher, sur la magie physiquen ou naturelle ; nous raconnaissons que ces savants, ces infatigables chercheurs et expérimentateurs, ont donné un grand essor aux sciences physiques en découvrant, sans toujours pouvoir les expliquer, un grand nombre de phénomènes que les physiciens, les chimistes de notre époque reproduisent tous les jours et soumettent aisément au pouvoir du raisonnement. Mais ils ont eu. le malheur de noyer dans une foule de discussions métaphysiques les données d’une philosophie [p. 459] purement naturelle, et ils ont ainsi donné à leurs travaux les apparences d’un surnaturel que les faiseurs, les fraudeurs, ont exploité au profit de la crédulité humaine. La science est devenue ainsi la complice de la magie : les causes naturelles furent découvertes, mais des enchanteurs, de prétendus sorciers, les tinrent cachées, et entretinrent l’idée de puissances fictives agissant en dehors des admirables lois qui gouvernent le monde. L’ouvrage d’Eusèbe Salverte sur les sciences occultes renferme un lumineux aperçu de cette magie, dont les secrets, une fois divulgués par la physique et les prestidigitateurs, ont abouti à ce qu’on appelle la magie blanche, œuvre des bons démons, en opposition à la magie noire, qui fait l’objet de cet article, et qui s’adresse exclusivement aux prétendues communications avec les mauvais démons.

Il n’est pas d’extravagances que la magie, sous ses formes multiples, n’ait mises au jour, et ici l’imagination de l’homme, aidée de ses passions, de ses désirs et de ses convoitises, est arrivée jusqu’à la frénésie. Quelle que soit la partie du globe que l’on examine, quelle que soit la variété de l’espèce humaine dont on observe les usages, dans l’antiquité la plus reculée et dans les temps modernes, chez les sauvages el au milieu des empires civilisés, on trouve des devins et des hommes s’occupant de magie et de sorcellerie. La magie est aussi ancienne que l’humanité et elle n’est pas encore éteinte aujourd’hui, au milieu de la civilisation la plus avancée, devant les conquêtes admirables de la science et de la philosophie ; le sens scientifique est loin d’avoir pénétré partout. La magie a interprété les fantômes des songes et les morts pour lire dans l’avenir (voy, l’article DIVINATION), elle a évoqué les entrailles des cadavres pour obtenir des génies malins la connaissance des choses futures ; elle a égorgé dans ce but de petits enfants ; elle a consulté les astres, a prétendu gouverner les fonctions humaines et être la dispensatrice de nos destinées : elle s’est faite l’esclave des caprices du sort, des apparences, des nuages, des mouvements de la flamme, des cendres, de la fumée ; elle a fondé toute une prétendue science sur l’examen des rides du front, des lignes de la main, de l’écriture, des hasards fournis par les cartes à jouer, des oscillations d’une baguette, de la disposition de certains morceaux de bois secs qu’on rencontre fortuitement sur son chemin ou des bûches d’un foyer. C’est elle qui a inventé les augures tirés des clefs (Cleidomancie), des flèches [Bélomancie), des haches (Axinomancie), des feuilles de roses (Phyllorodomancie), des feuilles de figuiers (Sycomancie), des œufs(Oomancie). La magia a tiré des présages et des pronostics de la venue de certains oiseaux, dont l’apparition fut regardée comme le gage certain de bonheur ou de malheur ; elle a eu ses oracles (voy. ORACLES) : ceux de Dodone, Jupiter Hammon, Delphes, Trophonius. Sibylle de Cumes, la Voluspa des peuples, Druides, la Vila de Serbes, etc. ; elle a eu une confiance absolue dans l’arrangement mystérieux de certains mots portés sur soi (exemples : Abracadabra, Alga) ; elle a eu commerce direct avec les quatre esprits élémentaires, avec les Sylphe, qui président à l’air, les Salamandres qui commandent au feu, les Ondines à l’eau, les Gnomes, à la terre ; elle a trouvé une vertu secrète dans la disposition de certains nombres comme le principe des connaissances les plus mystérieuses ; elle a eu foi dans la géomancie qui consiste à tracer sur le sable des figures ou des cercles mystérieux, des carrés magiques ; elle a adoré des fées en quantités innombrables, et dont la nomenclature formerait un petit volume ; elle a redouté les Suleves, les esprits des montagnes, les dames blanches, les draks, les péris, les dragons, les dives, [p. 560 les goules, les lavandières ou chanteuses de nuit, les djins, les lutins, le gérant du mont Gargant,  le juif errant, les sept Dormants ;  elle a imaginé certains animaux revêtus de caractères terribles (ânes et chats de Mahomet, poule noire, etc.), des pluies de sang, de lait, de chairs, de métaux, de blé, de grenouilles, de poissons. de briques, de laine, de cendres, de feu, de pierres, etc. La magie a soutenu que le foie du caméléon excite le tonnerre et la pluie, que la pierre dite héliotrope rend l’homme invisible, que la peau hyène rend invulnérable, que l’on peut acquérir le don de prophétie en mangeant un cœur de taupe tout cru, que la membrane qu’apportent sur leur tête quelques enfants nés coiffés est d’un excellent augure pour eux, et qu’ils deviendront, par exemple, d’excellents avocats. Je ne parle pas des talismans, ils sont aussi nombreux que les croyants et s’appellent hippomanes, têtes de milan, crapauds desséchés, poils du bout de la queue d’un loup, scarabées, anneaux constellés, sceau de Salomon, anneaux des voyageurs, anneaux d’invisibilité, médailles de toutes sortes, amulettes, fétiches, pierres précieuses, coupes magiques, armes enchantées, tambours magiques. rhombus, miroirs magiques, obis, pistoles volantes…

Mais ce que la magie a fait de pire, car à cette idée sont rattachés d’épouvantables sacrifices humains. c’est d’avoir reconnu l’existence de mauvais génies, de diables, de démons, de satans qui tourmenteraient les hommes ; de ne pas se contenter de les considérer comme des spiritualités représentant le mal physique et moral qui domine sur la terre, mais de leur avoir donné un corps, de les avoir matérialisés, en soutenant qu’ils avaient des conciliabules. des assemblées, où dans leurs orgies infernales ils décrétaient la perdition dos humains. Ce que la magie a imaginé de plus atroce encore, c’est de supposer, d’admettre comme une vérité incontestable, que l’humanité était peuplée d’un nombre incalculable de gens méchants et criminels au premier chef, qui avaient commerce avec ces diables dont ils devenaient les émissaires sur la terre pour commettre toutes espèces d’abominations et couvrir le monde d’opprobres et de malheurs. La croyance en l’existence des diables, des démons en opposition aux anges, aux bons génies, a régné de tout temps : en Orient, ils ont noms d’Assouras. comme les bons génies portent ceux de Sauras, de Divas. De même que dans la mythologie grecque les dieux sont en guerre avec les Titans, de même les Divas ont à se défendre contre les attaques des Assouras, envieux de leur vie bienheureuse. D’après la doctrine de Zoroastre, Ormuzd, principe du bien, et Ahriman, principe du mal, ont produit chacun certaines classes de génies qui leur sont semblables. Les Egyptiens croyaient à des esprits célestes qui tenaient le milieu entre les dieux et les hommes, qui présidaient aux éléments et exerçaient leur influence sur les règnes de la nature ; il y en avait de bons et de mauvais ; il y avait, en un mot, des anges et des démons. Les philosophes de l’antiquité ont donné de grands développements à ces systèmes, et Platon reconnaît l’existence d’esprits tutélaires et d’esprits malfaisants, continuellement en lutte les uns avec les autres (voy. DÉMONS). L’adversaire infatigable des charlatans et des sophistes, le fondateur de la philosophie du bon sens, Socrate enfin, n’invoquait-il pas son démon familier ?

Que l’on ait admis ces idées, que l’on ait reconnu platoniquement l’existence de bons génies qui procurent à l’homme toutes les jouissances dont sont capables ses facultés et ses sens ; que l’on ail rejeté sur les mauvais esprits, les démons, la cause directe de tous les maux qui nous affligent ; que l’homme, victime d’une [p. 461] sorte de passivité, de servilité et de subordination, ait pensé qu’il lui était impossible de lutter coutre des êtres tout-puissants qui le faisaient mouvoir, comme une marionnette… cela n’est guère propre à relever la dignité humaine : mais on le répète, de grands malheurs sont arrivés, d’abominables crimes ont été commis, à la gloire de Dieu, à l’édification des dévots et aux applaudissements de la foule, lorsque le démon a été personnifié, et qu’on l’a tenu pour appeler dans ses comices, ou sabbats, ses mandataires, ou sorciers, pris parmi les hommes eux-mêmes.

C’est, en effet, ce nom de sabbat qui a été donné à une assemblée solennelle tenue à minuit par les sorciers et les sorcières, sous la présidence du diable, leur seigneur et maître. Le jour et le lieu de cette assemblée varient selon le pays, En Allemagne, par exemple, dans le nord du moins, elle se tient dans la nuit du 530 avril au 1er mai, sur le Brocken ou Blocksherg, la plus haute montagne du Hartz. Au premier coup de l’heure des esprits, Satan tire ses esclaves de leur premier sommeil par un signe qu’eux seuls peuvent entendre et comprendre. Des boucs, des ânes, des manches à balais, des pelles à feu, etc., etc., leur servent de monture, et au moyen de quelques paroles magiques ils traversent les airs avec la rapidité du vent ; les murs les plus épais, les chaînes les plus fortes ne sont pour eux des obstacles. Lorsque la société est l’assemblée, le diable parait ordinairement sous la forme d’un grand bouc avec des cornes énormes ; sous sa longue queue est un post-face humain, lequel est particulièrement destiné il recevoir les témoignages d’honneur et de respect de l’assemblée. Après le salut de bienvenue, Satan monte sur son trône, passe en revue son armée assemblée, se fait présenter les néophytes, fait subir à une partie secrète de leur corps l’empreinte du signe de leur admission dans cette association, et leur assigne le cercle où ils doivent agir. Il y a de l’avancement pour les plus anciens membres de l’ordre, selon les circonstances. Il y a aussi des dégradations, des peines. Cette solennité est suivie d’un banquet, dont un pain noir de millet, des crapauds, et la chair de malfaiteurs suppliciés ou d’enfants assassinés avant d’avoir reçu le baptême, font les honneurs et les délices. A la fin de ce banquet, Salan reçoit l’hommage de ses hôtes. Ils lui baisent la figure et les fesses. lui font toutes sortes d’offrandes dans les postures les plus indécentes, ils lui font des libations dégoûtantes ; ils font le signe de la croix, mais à rebours et de la main gauche. Ils terminent cette ignoble fête par des chants, des danses, des chansons ordurières, de lascifs embrassements, des sauts grotesques et de honteuses voluptés de toute espèce. L’orgie démoniaque dure jusqu’à ce que le chant du coq, en annonçant le point du jour, sépare la réunion infernale.

Ce tableau du Sabbat n’est pas fait à plaisir, il a été peint par les sorciers et sorcières eux-mêmes devant les juges appelés à instruire contre eux ; la plupart de ces malheureux, victimes d’une étrange hallucination, ou domptés par les tortures qu’on leur faisait généralement subir. avouent leurs crimes, et donnent à peu près les mêmes détails Sur les scènes diaboliques auxquelles ils reconnaissent avoir été mêlés. Les livres de Jean Wierus, de Bodin, de Boguet, sont pleins de ces procès-verbaux, où le honteux. se mêle au ridicule, une profonde tristesse au rire, et auxquels des magistrats épouvantés, ahuris, accordent la plus grande confiance, soulignée d’envois à la potence ou au bûcher.

Faisons maintenant une petite excursion dans l’histoire de la magie et de la sorcellerie, qui sont aussi anciennes que l’humanité. [p. 462]

Les traditions historiques, d’accord avec les monuments, nous présentent avec les Chaldéens, les perses, Les Egyptiens, comme ayant été, de toute antiquité, célèbres pour leurs connaissances mathématiques et astronomiques ; mais à ces sciences d’observation ils joignirent les études astrologiques, reposant sur une théorie plus ou moins chimérique de l’influence des corps célestes appliquée aux événements et aux individus. Ce fut là un titre de gloire des Chaldéens en particulier. Babylone renfermait des magiciens et des sorciers aussi bien que des devins et des astrologues. Les rêves et les hallucinations n’étaient pour les Assyriens que des révélations de la Divinité ; on prédisait par l’inspection dos sacrifices, par l’observation des augures. L’interprétation des prodiges. Ainsi que nous l’avons dit, à l’adoration pure et simple des forces et des objets de la nature on substituait la notion d’esprits célestes, d’êtres intelligents et cachés ; on imagina un dieu mauvais (Ahriman) pour représenter le mal existant dans l’univers, et qui serait sans cesse en lutte avec le dieu bon (Ormuzd) ; tandis qu’Ormuzd et ses anges veillaient sur la nature et y répandaient leurs bienfaits. Abriman, dieu de la mort, de la misère et de la nuit, soutenait contre eux une guerre acharnée. Avec de pareilles croyances, fait justement remarquer M. Maury, les peuples dont nous parlons sa montraient naturellement préoccupés de s’assurer la protection des bons génies el de conjurer l’influence des mauvais. De là une série de prières et de pratiques, de rites de de cérémonies. ayant pour but d’appeler certains esprits et d’en éloigner d’autres. La liturgie perse, dont les mages étaient les ministres, la magie, μαγία, comme l’appelaient les Grecs, ne s’offrit conséquemment que comme une science d’enchantements et d’évocations ; dès lors les mages prirent en Occident le caractère des magiciens et des sorciers. En Egypte, les prêtres, organisés en une caste puissante et respectée, possédaient, comme les Chaldéens, des secrets pour opérer des prodiges et étonner l’imagination du peuple par des effets réputés miraculeux., C’est en Egypte que prit véritablement naissance la chimie, on plutôt l’alchimie, et ce nom lui-même a été emprunté à celui de l’Égypte, Kem, Kémi (Κημι), qui se lit plusieurs fois sur les monuments hiéroglyphiques. En Égypte, comme en Perse et en Chaldée. la science de la nature était une doctrine sacrée dont la magie, la sorcellerie, ne constituaient que des branches, et où les phénomènes de l’univers se trouvaient rattachés par un lien étroit aux divinités et aux génies dont on le croyait rempli.

Une stèle égyptienne appartenant à la Bibliothèque nationale fait mention sous la vingtième dynastie pharaonique, c’est-à-dire vers du fin du treizième siècle avant Jésus-Christ, ou tout au commencement du douzième, d’une princesse d’Asie qui fut guérie de la possession par l’opération du dieu égyptien Khons, qui passait aux bords du Nil pour avoir la vertu de chasser les esprits rebelles.

La magie, associée à la religion, devint toute-puissante chez les Grecs ; elle était surtout exercée dans des établissements spéciaux, des sanctuaires fatidiques, appelés mantcions (voy. DIVINATION), où l’emploi de certaines formules, de certains charmes, de certains gestes, exerçait tout son empire ; on y invoquait les dieux, ou y guérissait des maladies, on y cicatrisait des plaies, on y détournait l’influence malfaisante attribuée à certains actes. Les devins s’attribuaient une certaine puissance sur la nature ; ils charmaient les serpents. ils conjuraient les vents, et la lycanthropie, c’est-à-dire l’art de métamorphoser les bommes en animaux, conception monstrueuse qui a jeté tant de malheureux dans les flammes, [p. 463] n’y était pas négligée. Les femmes de la Thessalie avaient surtout une grande réputation dans l’art magique ; elles étaient habiles à composer des poisons, et pouvaient, par leurs chants magiques, faire descendre la lune des cieux. Les goètes, enchanteurs d’un ordre inférieur, étaient surtout redoutés pour leurs intentions toujours criminelles ; ils composaient des philtres qu’ils vendaient à tout venant. Les mystères particuliers célébrés en certains lieux de la Grèce étaient tout remplis de rites fort semblables aux pratiques des sorciers et des thaumaturges, Tout y était combiné pour frapper l’imagination, halluciner les sens et nourrir les superstitions les plus sombres el les plus cruelles. De là le grand rôle qu’y jouaient les reptiles et les animaux immondes, les philtres et les compositions dégoûtantes, les exorcismes et les formules bizarres, l’invocation des morts, des spectres (nécromancie). Plutarqne, dans la vie de Périclès, dit que ce grand homme montra un jour à un de ses amis qui était venu le voir un préservatif que des femmes lui avalent mis au cou. Mercure, dans Homère (Odyssée, liv. X), indique à Ulysse la plante nommée Moly, pour le garantir des enchantements de Circé.

De la Grèce et du restant de l’Orient·la magie et la sorcellerie passèrent aisément à Rome, deux siècles environ avant notre ère ; on y consultait les oracles, les sibylles, les livres sibyllins, les augures, les présages. Tite Live, Cicéron, Plaute, Columelle, Tibulle, Juvénal, Lucain, Ovide, Virgile, Horace, etc., font souvent allusion à une foule de diseurs de bonne aventure, de faux devins, d’imposteurs, de sorciers, qui jetaient des sorts, opéraient des maléfices, et qu’ on rencontrait à Rome, surtout au temps de Catilina. Ovide a fait un admirable tableau des sorciers :

Sunt avidæ volucres, non quæ Phinæia mensis
Guttura iraudabant, sed genus inde trahunt,
Grande caput, stantes oculi, rostra apta rapinæ,
Canicies pennis, ungulbus hamus inest,
Nocte volantt puerosque petunnt nutricis egentes,
El vitiant cunis corpora rapta suis.
Cartere dicuntur lactentia viscera rostris
Et plenum poto sanguine guttur habent,

Ovide, lib. II. Fast. 6.

Le même poëte parle ainsi du pouvoir de la sorcellerie :

Cum volui, ripis ipsis mirantibus, amnes
In fontes rediere suos ; concu-saqne sisto,
Stantia concutio cantu freta ; nubila pello,
Nubilaque induen ; ventos abigoque, vecoque ;
Vipereas rumpo verbis et carmine fauces ;
Vivaque saxa, sus  convulsaque robera terra
Et sylvas moveo, jubeoque tremescere montes,
Et magire solum, manesque exire sepulchris.
Te quoque, Luna, trabo.

Ovide, Metam. 7.

Cette idée que la lune, par une opération magique, pouvait tomber sur la terre, est exprimée ainsi par Horace et Virgile :

Carmina vel cœlo possunt deducere lunam

Virgile.

Quæ sidera excanista vace Thessia
Lunamque cœlo deripit.

Horace, Epod. 5.

[p. 464]

Elle vient, évidemment, de l’ignorance où l’on était de la cause des éclipses, qu’on supposait amenées par la magie qui forçait lune à descendre. De là la coutume de secourir la Lune par le bruit confus de toutes sortes d’instruments pour l’empêcher d’entendre les vers magiques. On sonne encore aujourd’hui les cloches dans les temps d’orages,.

Tibulle met ainsi en scène une fascinatrice :

Hanc ego de cœlo ducentem sidera vidi,
FIuminis hæc rapidi carmine verit iter,
Hæc cantu fluidique solum Manesque sepulchris,
Ellicit, et tepido devocatossarogo…
Cum liber, hæc tristi depellit aubila cœlo ;
Cum libet, œtivo convocat orbe nives.

Tibulle, lib. I, él. 1.

On alla jusqu’à croire que la sorcellerie avait le pouvoir de changer les hommes en loups.

Un passage de Terlullien, reproduit par M. figuier, fait allusion aux Tables divinatoires, à des cercles enchantés que des personnes forment entre elles, à des chaises et tables qui prophétisent ; image complète de nos tables tournantes d’aujourdhui.

Des lois très-sévères furent, chez les Romains, portées contre les sorciers, mais elles se heurtèrent contre la crédulité des masses, qui entouraient comme d’un culte ces fous ou ces charlatans. Les merveilles racontées des mages l’Asie, leur vieille réputation, tentèrent la crédulité romaine. L’espoir de rencontrer chez les Chaldéens une science plus infaillible que celle des aruspices leur valut un accueil empressé dans. la ville éternelle ; leur doctrine s’y répandit ; on en écrivit des Traités ; on en popularisa les vaines spéculations, Rome fut infestée de magie, d’horoscopie, de chiromancie el de sorcellerie, qui avaient surtout libre carrière sur l’imagination des femmes :

Chaldeis sed major erit fiducia.

Juvenal satire VI, 550.

La loi des Douze Tables qui défend d’enchanter les champs et les moissons ; la condamnation à mort, sous l’empereur Claude, d’un chevalier romain qui portait dans son sein un œuf de serpent pour enchanter ses juges ; un arrêt capital de Constance contre tous ceux qui avaient recours à quelque enchantement pour la guérison de quelque maladie ; l’exemple donné par Valentinien qui fit condamner à mort une vieille femme qui promettait de guérir, par des paroles les fièvres intermittentes ; l’exécution d’un jeune homme qui, pour guérir un mal d’estomac, portait alternativement les deux mains sur un marbre et sur son estomac, en calculant les sept voyelles de l’alphabet grec, ne purent arrêter fesser de la sorcellerie (voy. Amm. Marcell., liv. XXl).

Des crimes affreux, que nous retrouverons en plein dix-septième siècle. ont été commis au nom d’une superstition entretenue, fomentée par une foule de charlatans. Je n’en citerai qu’un exemple d’autant plus typique, qu’il s’agit de l’empereur Marc-Aurèle, que ses qualités ne purent préserver d’un instant de cruauté. Faustine, son épouse, avait une fois vu passer un gladiateur dont la beauté l’avait enflammée d’un amour criminel. Vainement elle combattit longtemps en secret la passion dont elle était consumée ; cette passion ne faisait que s’accroître. Faustine finit par en faire l’aveu il son époux, lui demandant un [p. 465] remède qui pût ramener la paix dans son âme bouleversée. La philosophie de Marc-Aurèle n’y pouvait rien. On se décida à consulter des Chaldéens, habiles dans l’art de composer des philtres propres à faire naître comme à faire passer les désirs amoureux. Le moyen prescrit par ces devins fut des plus simples : c’était de tuer le gladiateur. Ils ajoutèrent ensuite que Faustine devait se frotter du sang de la victime. Le remède fut appliqué : on immola l’innocent athlète (J, Capitolinus, Historia Augusta, ij. 19).

Juifs. Les premiers Israélites avaient leurs pratiques magiques et leurs opérations divinatoires : ils consultaient les sorts, ils expliquaient les songes, ils croyaient aux talismans, et au retour de la captivité ils rapportèrent dans leur patrie l’usage d’une foule de pratiques du même genre, qu’ils avaient puisées à Babylone ; la croyance à une foule d’esprits malfaisants favorisa singulièrement chez eux le développement de ta magie et de l’astrologie. Les Hébreux se chargeaient d’amulettes, ils avaient fréquemment recours aux incantations et aux exorcismes ; ils croyaient, comme les Egyptiens, que les démons appelés par leurs noms étaient obligés d’obéir à l’ordre qui leur était enjoint ; ils supposaient que ces mêmes génies peuvent revêtir des formes bestiales et effrayer l’homme par de hideuses apparitions, enfin, ils peuplaient tout l’univers d’anges ct d’esprits malfaisants : Béelzémuth, Astaroth, Bélial, Lucifer, devinrent autant de démons, de chefs des légions infernales. Flavius Josèphe (Ant., liv. VIII. c. Il) témoigne que Salomon composa plusieurs remèdes qui avaient la force de chasser les démons. Le christianisme, il faut bien le dire, adopta les mêmes idées, et attribua à l’action des démons tous les prodiges et tous les miracles attribués par les païens à leurs dieux. Dépourvus des connaissances nécessaires pour distinguer les lois qui régissent l’univers, les premiers chrétiens firent intervenir dans tous les phénomènes de la nature des puissances surnaturelles, et ils n’hésitèrent pas à accuser d’athéisme quelques hommes supérieurs qui cherchèrent à expliquer autrement ces phénomènes. Ils continuèrent ainsi de croire à la vertu des enchantements, des amulettes, de supposer qu’on peut évoquer les morts, et que les démons ont la faculté de revêtir mille formes décevantes, de prendre la figure d’animaux, de spectres ou de monstres.

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Jacob Boehme – Planche, 1675

Les Hébreux exprimaient le nom de démon par ceux de serpent, de satan, de tentateur. Joseph enseigne que les démons que possèdent certaines personnes, et qui les tourmentent jusqu’à les faîte mourir, ne sont autres que les âmes des méchants qui se sont emparées des corps des possédés. L’Ecriture nous représente les démons toujours occupés à nous tromper, à nous tenter, à nous tourmenter. Les morts extraordinaires, ou réputées extraordinaires, les maladies du corps, surtout celles qui sont les plus inconnues et les plus opiniâtres, sont attribuées aux démons. Dans l’Évangile nous voyous des hommes que le démon rendait muets, courbés, perclus : Et erat ejiciens dœmonium, et illud erat mutum. Et cum ejecisset dœnomium, locutus est mutus (Saint Luc. XI, 14 ; Matth., IX, 55). La mutité était due au démon : Egressis autem illis, ecce obtulerunt hominem mutum dænumium. habentem. (Matth. IX, 52). C’est un mauvais esprit, c’est Satan qui tente Ève dans le paradis terrestre, Jésus-Christ dans le désert, David dans son palais (Par. liv.I, c. XXI, 1). Saint Pierre le représente qui rôde autour de nous pour nous dévorer (Saint Pierre, Prima épist., v, 8). L’Ecriture parle d’esprit d’erreur (Rois, lib. III. c, xxn, 21), d’esprits d’impureté, d’esprits de malice, d’esprits d’infirmités. Saint Paul nous dit que le démon est comme un ennemi armé de traits enflammés, par lesquels il cherche à percer [p. 466] nos âmes (Saint Paul ad Ephes.., VI, 16). Il est ebcore parlé dans l’Evangile ( Il est encore parlé dans l’Evangile (Matth., XII, 24 ; saint Luc, XI, 15, 18) de Béelzébud, prince des démons, et les Juifs accusaient Jésus-Christ de ne chasser les démons qu’au nom et par l’autorité de Béelzébud. On interprétait les songes, il y avait des augures, on croyait aux maléfices (Lévit., XX, 6). Voit pour plus de détails : Dom Calmet. Dict. de la Bible, 1722, in·-fol., t. 1, p. 215.

On lit dans le Deutéronome : Que personne parmi vous ne consulte ceux qui prédisent l’avenir, n’observe les songes et les augures. n’exerce aucun maléfice ni enchantement, n’ait recours aux pithons et aux devins, et n’invoque les morts pour leur faire des questions.

Noc invenlatur in te qui lustret filium suum, aut filiam, ducens per ignem, aut qui ariolos sciseitetur, et observet somnis atque auguris nec sit maleficus.
Nec incantator. nec qui pythontes consulat, nee divinos, aut quærat à mortuis veritatem ;

Deutéron., XVIII, 10 et 11.

Le Lévitique prononce la peine de mort contre l’homme ou la femme dans lesquels il y aura un esprit de python ou de divination :

Anima quæ declinaverti ad magos et ariolos, et fornicatafuerit cum  eis, ponam faciem meam contra eam, et interficiam illam de medico populi sui.
Vir, sive mulier, in quibus pythonicus, vel divinationis fuerit spiritus, morte moriantur. Lapidibus obruent eos ; sanguis corum sit super illos.

Lévit., XX, 6 et 27.

La folie mélancolique du roi Saül est rapportée par la Bible à la présence dans le corps de ce prince du malin esprit [Rois, I, XVI, 14). Dans le Livre de Tobie, la maladie dont était atteinte Sara, fille de Raguel. est attribuée à un démon, à Asmodée, qu’on retrouve dans presque toutes les scènes de démonomanie des seize et dix-septième siècles (Tobie, III1, 8).

Moyen âge. Chose étrange ! celle époque si profondément chrétienne ne put secouer le joug du paganisme en fait de croyances dans les démons ; les temples abattus, les idoles renversées, la philosophie hellénique proscrite, lien se put déraciner cette idée dans l’existence de génies infernaux ou mauvais, continuellement en lutte avec de bons génies ; les oracles se turent, mais les tombeaux des martyrs les remplacèrent, et au lieu de remettre aux prophètes la cédule sur laquelle était consignée la demande à faire aux dieux, on la déposa sur le tombeau d’un saint ; ou marmotta des patenôtres sur les blessures à guérir ; on attribua aux reliques tous les effets que l’antiquité rapportait aux charmes et aux talismans. Tout ce que le christianisme repoussa comme trop décidément païen, comme contraire à ses dogmes, comme impur et impie, se réfugia dans la magie, l’astrologie et la sorcellerie : on continua à croire aux divinités malfaisantes, à pratiquer des conjurations, à évoquer les démons. Il n’est pas jusqu’aux pratiques de l’aruspice qui n’aient été remises en usage par la crédulité populaire, et ce fut en vain que Agobard, archevêque de Lyon, écrivit au neuvième siècle un ouvrage contre la rêverie du peuple qui croyait qu’il y avait certains enchanteurs qui avaient la puissance de pouvoir exciter la grêle, la foudre et la tempête. Agobard ne fut pas cru, el la sorcellerie règna comme de plus belle. Dans le second siècle de l’Église, dit Chateaubriand (Études histor., t. IVj p. 196)t on accusait les chrétiens de sacrifier un enfant, d’en boire le sang, d’en manger la chair, de faire, dans leurs assemblées secrètes, [p. 467] éteindre les flambeaux par des chiens, et de s’unir dans l’ombre, au hasard comme des bêtes fauves. En 717, au rapport de Nicéphore (Breviar. Histor., cap. IX, § 4), les habitants de Pergame, assiégés par les Sarrasins, ouvrirent le ventre d’une femme enceinte, et se livrèrent sur elle et son entant à des actes dictés par la superstition la plus aveugle. Les évocations faites au nom du diable s’accomplirent sur une grande échelle ; les sorciers continuèrent, plus que jamais, à évoquer les tempêtes et à produire à leur gré la pluie, Dans les Capitulaires de Charlemagne (année 805), il est parlé des sorciers, des enchanteurs, qui excitaient les tempêtes (Beluze, t. I. p. 421). Grégoire de Tours. Guibert de Nogent. et en général les chroniques du moyen âge, sont remplis de récits d’opérations magiques. On peut en voir un curieux échantillon dans Guibert de Nogent (Collection Guizot, t. IX, p. 471, 473). Ces superstitions n’existaient pas que chez les grossiers paysans, chez des serfs ou des vilains qui croupissaient dans une incurable ignorance. Elles régnaient aussi chez les hautes classes et parfois jusque dans le clergé, qui, pourtant était devenu le dépositaire des connaissances humaines. Les comètes, les éclipses furent tenues presque par tout le monde pour des présages de calamités ou de grandes révolutions : on prit les météores pour des signes de la colère céleste ; on continua de tenir les ouragans et les tempêtes pour les ouvrages d’esprits mauvais dont la rage se déchaînait contre la terre ; la croyance aux revenants fut aussi générale ; les loups­garous, les lubins, les vampires, fournirent matière à mille légendes ; les magiciens, grâce à l’intervention du diable, purent revêtir toutes les formes en vue d’abuser les hommes ; aux cinquième et sixième siècles, on ouvrait au hasard les saintes Écritures, et les premiers mots que l’on découvrait au haut de la page devenaient, par une interprétation plus ou moins forcée, la réponse à la question ; cela s’appelait le sort des saints. Jeanne d’Arc fut brûlée à Rouen, bien moins par la haine des Anglais qu’elle avait vaincus que par les odieuses doctrines magiques du clergé et même des universités du royaume. Après l’exécution de la Pucelle, deux jeunes filles des environs de Paris se déclarèrent, à leur tour, inspirées et destinées par Dieu à continuer la même mission. On les arrête, et l’autorité ecclésiastique instruit leur procès. Une docte faculté, consultée, délibère gravement sur le cas, et décide que leur inspiration provient d’esprits déchus logeant dans leurs cervelles, On considéra les voix intérieures quelles entendaient comme de la même origine que Mlles de Jeanne d’Arc, et comme passibles du même châtiment terrible. L’une de ces amazones s’étant rétractée et ayant fait acte de repentance, échappa au supplice ; mais l’autre, ayant persisté dans ses idées, fut livrée aux flammes comme la noble inspirée de Vaucouleurs (Figuier).

En 1456, ce sont des villageois des environs de Berne et de Lausane qui, pour avoir, assurait-on, mangé de la chair humaine, celle même de leurs propres enfants, sont livrés à la torture, et périssent sur les bûchers.

En 1459, c’est dans la province de l’Artois qu’éclate le délire de la sorcellerie qui envoie à la mort un grand nombre d’aliénés. Il est positif qu’un certain nombre d’habitants de ce pays confessèrent en justice qu’ils assistaient à des réunions prohibées où ils étaient apportés par des démons, qu’ils engageaient là leur foi à un être impur, qu’ils s’y livraient à la copulation avec des esprits (Monstrelet. Chron. de France).

En 1484, on brûle jusqu’à quarante-cinq femmes accusées d’avoir égorgé des enfants dans les assemblées de sorcières. [p. 468]

En 1491, tout un couvent de filles, à Cambrai, est en proie aux malins esprits qui les torturent d’une manière horrible pendant plus de quatre ans. Ces mal­ heureuses aliénées se mettent à courir la campagne, s’élancent en l’air comme des oiseaux, grimpent sur les toits et aux troncs des arbres comme des chats, ct imitent le cri de divers animaux. Ou en voit qui devinent les choses cachées et prédisent l’avenir. On les exorcise, et le démon ayant répondu qu’il avait été introduit chez ces moinesses par une religieuse nommée Jeanne Fothière, laquelle avait eu commerce avec lui quatre-cent-trente-quatre fois, celle pauvre fille fut arrêtée, s’avoua coupable et mourut dans les prisons (DelRio, p. 784).

Jean Chartier, historien de Charles VII, témoigne que Guillaume Edelin, docteur de Sorbonne, fut condamné pour magie, el qu’il fut exécuté le jour de Noël 1455. Il avait été plusieurs fois au sabbat, et il avait adoré le diaule sous la forme d’un bouc.

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Leonora Carrington.

Rappelons-nous que les enfants de Philippe le Bel firent entre eux une association par écrit, et se promirent un secours mutuel contre ceux qui voudraient les faire périr par le secours de la sorcellerie ? Ne sait-on pas qu’on brûla par arrêt du parlement une sorcière qui avait fabriqué avec le diable un acte en faveur de Robert d’Artois, que la maladie de Charles VI fut attribuée au sortilège, et qu’on fit venir cinq magiciens pour le guérir ? L’histoire a conservé leurs noms : Arnaut Guillem, Pierre, Lancelot, Poinson, et Briquet. Le premier sortit sain et sauf de l’épreuve, mais les quatre autres périrent à la potence ou sur le bûcher (A. Chéreau. La maladie de Charles VI. Union méd., 1862, n°21, 24, 27, 30,.

C’est encore au quinzième siècle, mais à la fin, que les inquisiteurs d’Allemagne livrèrent au bras séculier une multitude d’individus qui avaient la réputation de manger des enfants et de rendre hommage au prince des esprits nuisibles. Cent femmes s’accusant d’avoir commis des meurtres et d’avoir cohabité avec des démons furentt condamnées au feu.

Au reste, les Croisades eurent une influence considérable sur le débordement en Europe de la magie, de la féerie et de la sorcellerie. Le contact arec les peuples de l’Orient, avec leurs superstitions produisit une sorte d’effervescence dans la croyance aux esprits, aux pratiques cabalistiques, et à toutes les folies de la sorcellerie. Au moyen Age, la magie et la sorcellerie constituèrent une véritable maladie de l’imagination, et la démonomanie, qui y répandit ses épouvantables fictions, serait bien mieux appelée démonopathie.

Renaissance. On pourrait, on devrait supposer que le grand siècle de la Renaissance des lettres et des sciences a fait bonne justice de ces tristes errements, on au moins qu’il les a amoindris dans une juste mesure, Eh bien, non ! La magie, la sorcellerie, ont continué à exercer leur empire, s’abreuvant encore aux spéculations du platonisme ; la théorie des influences démonologiques, l’astrologie, trouvèrent, même sous le manteau de la science. un accueil, et les rêveries de l’antiquité furent entretenues dans les esprits. La nature n’était pas d’ailleurs à cette époque assez connue dans ses lois pour qu’on ne s’imaginât pas qu’il y intervient des forces surnaturelles et des agents merveilleux, et l’homme de science eut toujours alors son petit côté magicien. Le secret dont il aimait à s’entourer, le langage bizarre et technique qu’il s’était fait, achevaient d’entretenir chez le vulgaire une créance que les expérimentateurs ne repoussaient pas absolument. De là, la réputation de sorcier faite à Albert le Grand, Roger Bacon. Arnauld de Villeneuve et Raymond Lulle. Paracelse, Cornelius [p. 469] Agrippa, mêlèrent à leurs doctrines alchimiques le nom de presque toutes les divinités païennes;; les alchimistes crurent la nature gouvernée par des forces fatales qu’ils assimilèrent aux démons des philosophes anciens, et dont ils cherchaient à se rendre maîtres. Les astrologues cherchèrent dans les astres les indices de la destinée à laquelle nous sommes condamnés, et l’astrologie fit fureur. Les quinzième et seizième siècles sont pleins de sorcellerie, et surtout de procès contre les sorciers. Des jurisconsultes, comme Sprenger, Jean Bodin, Henri Boguet, écrivirent des traités sur la procédure de sorcellerie. Wierus enregistrait toutes les réponses et les billevesées des prévenus, et donnait, d’après eux, dans son livre De præstigiis dæmonum (1563), le catalogue complet el la figure des esprits infernaux. Cornelius Agrippa, secrétaire de l’empereur Maximilien Ier, publiait ex professo un volumineux traité sur les sciences occultes (De occultà philosophià, 1553, in-fol.). Gisbert Vœtius, qui écrivait trente années après Agrippa, n’a pas été moins didactique que son devancier. Il à donné dans son livre (Setectæ disputationiones theologicæ, 1648-1669. 5 vol. in-4°) dix espèces de preuves de la réalité des sorcelleries. Il a particulièrement argumenté de l’Écriture Sainte, du consentement unanime des Pères de l’Église, de l’histoire de tous les peuples anciens et modernes, des décisions de plusieurs conciles, et des arrêts rendus par des cours de justice sur les aveux mêmes d’un grand nombre de condamnés. Il aurait dû ajouter que presque toutes ces confessions ont été arrachées à la torture, Le Bordelais Pierre de Lancre, envoyé dans le canton de Labourd pour instruire le procès d’une foule de malheureux entassés dans les prisons et accusés de sortilèges, déclare que plus de cinq cents détenus se reconnurent sorciers, et furent brûlés vifs par suite de leurs aveux. Aussi reconnait-il à ces confessions in extremis toute la force légale (De Lancre, L’incrédulité et Mescréance du sortilège, pleinement convaincue, etc. 1622, in-4°). Une place de conseiller d’état fut la récompense de ces horreurs, Le théologien Filesac ne compte pas les sorciers par100000, ni par 500 000, mais par millions : « Etiam magos, maleficios, sagas, hoc tempore, in orbe christiano, longe numero superare omnes fornices et prostibula, et officiosos istos, qui homines, inter se convenas facere solent, nemo negabit, nisi elleborus existat, et nos quidem tantam colluviem miramur ac perhorrescimus » (De Idolatriâ magicà, Parisiis, 1609, in-89, fol. 71, 83).

L’ouvrage du jésuite hollandais Martin Delrio (Desquisitionum magicarum libri sex, Lovani, 1599. iu-4°) est un traité complet sur la matière dans lequel la crédulité le disputa au savoir. Pour l’auteur la magie n’est qu’un « art », non surnaturel, montrant des faits étonnants et insolites dont l’explication est au­dessus de la raison des hommes ». Il a une foi entière dans les caractères d’écriture, les anneaux, les sceaux, les incantations, les amulettes, les philtres, l’alchimie, la pierre philosophale. Pour lui, ceux qui nient l’existence des démons et la magie démoniaque sont des impies ct des hérétiques. Les démons, la magie, ne sont pas le résultat de l’industrie ou de l’artifice des hommes, mais leur origine gît dans quelque principe immatériel et bien distinct : les nier, ce serait nier la lumière du soleil en plein midi. Toutes les opérations de la magie et de la sorcellerie se font par une espèce de concert entre les magiciens et le démon ; elles sont au-dessus des lois universelles de la nature :

Mare, cœlum, terra, tartarus servit mihi
nihilque leges ad meos cantus tenant. [p. 470]

Si la magie ne peut arrêter le cours des astres, faire rétrograder ces derniers. elle a le pouvoir de calmer les tempêtes, de provoquer la foudre, la grêle, et une foule d’autres phénomènes météorologiques. Les démons ont aussi une grande puissance en ce qui concerne la fortune et le bien des hommes ; il leur est loisible de détruire les troupeaux, d’arrêter la maturation des fruits, d’incendier les. maisons, de nuire à la réputation d’autrui, d’arracher les captifs de leurs prisons, de délivrer les assiégés, d’être les dispensateurs de la victoire ou de la défaite. Ils peuvent fasciner les serpents, Serpentes diro exarmare veneno ; produire à volonté les mouches, les vers, les grenouilles, qui naissent de la putréfaction. Succubes, ils se transforment en femmes pour avoir commerce avec les hommes ; Incubes, il prennent un corps pour jouir des plaisirs de l’amour avec une femme endormie. Ils ont des réunions nocturnes appelées sabbats ; ils font parler les muets et les bêtes ; ils enlèvent à l’homme la faculté de sentir, et le font dormir autant qu’ils le veulent ; ils changent les hommes en femmes et les femmes en bêtes ; ils rendent aux vieillards la jeunesse ; ils font passer l’âme des morts dans le corps des vivants ; ils font apparaître les spectres ; ils usent d’onguents faits avec la graisse de petits enfants que le diable fait homicider par Satan ; ils nuisent par leur souffle, par paroles. par regards, avec la main, arec une baguette ; ils peuvent se changer en loups (loups-garous), en chats, en ânes, en chevaux. en lièvres, en pourceaux, ete, Tel sorcier, qui n’a pas le courage d’enfoncer un poignard dans le cœur de l’homme qu’il a résolu de tuer, se sert de figurines en cire ou en plomb représentant grossièrement le personnage voué à la mort. Il lui suffit de piquer ces images avec des épingles, de les taillader avec un poignard, pour qu’aussitôt la personne que ces images représentent passe de vie à trépas. Côme Ruggieti, sur cette simple accusation, fut appliqué à la torture sous Charles IX, et par l’instigation de Catherine de Médicis. On a une fameuse médaille où cette reine est représentée toute nue entre les constellations d’Aries et Taurus, le nom d’Ebulle Asmodée sur sa tête, ayant un dard dans une main, un cœur dans J’autre, et dans m’exergue le nom d’Oxiel.

Les puissants de la terre ont toujours eu une grande influence sur les mœurs de leurs époque. Qu’ils aient donné le ton à certaines modes, que Louis XlV, au temps de sa calvitie, ait imaginé de faire porter perruque à tous ses sujets, cela ne fait que provoquer le rire et hausser les épaules. Mais l’indignation vous mord au cœur lorsqu’on voit, parce que Catherine de Médicis était affiliée à la secte des visionnaires qu’elle avait amenés de l’Italie, la magie et la sorcellerie reprendre sous son rogne néfaste une activité fiévreuse, et dresser ses échafauds et ses bûchers. Car les rêveries cabalistiques, astrologiques et démoniaques, sont contagieuses, et l’on pourrait citer plusieurs véritables épidémies de ce genre de démence.

Il faut aussi inscrire au compte des sorciers le tarissement du lait dans les nourrices, les avortements, les calculs de la vessie, l’ensorcellement des animaux, les morts violentes et volontaires. C’est à eux seuls que doivent s’en prendre les fermiers qui voient leurs vaches ne plus fournir de lait, alors que celles des voisins en sont prodigues. Une femme Vernier a été brûlée vive à Trèves pour avoir planté un bâton sur le mur de sa maison ; son sacrifice fut prononcé sur l’accusation d’avoir, au moyen de ce bâton, attiré dans son étable le lait fourni par les vaches de ses voisins. Enfin. les sorciers font rendre, soit par la bouche, soit par te rectum, des aiguilles, des cheveux, des ferrements, des pierres, des [p. 471] papiers, des billets, et ils font « cacher et retirer les parties viriles de l’homme, puis les font ressortir quand il leur plaît ». C’était ce qu’on appelait nouer l’aiguillette.

En un mot, Delrio fait intervenir le diable dans presque tous les faits qui tendent à altérer le bonheur des hommes, dans les phénomènes, inexplicables alors, qui se passent sous nos yeux, dans les passions qui nous agitent, et dans les fables nombreuses qui avaient cours, et auxquelles on attachait la croyance la plus absolue. Le livre de Delrio est certainement la tableau le plus exact des superstitions qui régnaient de son temps, et qui n’étaient secouées et combattues que par quelques esprits aussi rares que malheureux dans la lutte qu’ils ont soutenue contre ces aberrations humaines,

Le second livre de Delrio est tout entier consacré aux Maléfices, qu’il définit :

Sorte de magie par laquelle une personne par l’intermédiaire du démon peut nuire à une autre. Nous touchons ici au côté le plus monstrueux, le plus épouvantable de la sorcellerie, car c’est au nom de maléfices que de véritables assassinats ont été ordonnés par les Cours souveraines, et que d’innombrables malheureux ont péri dans les flammes.

Sous ce rapport le livre de Henri Boguet (Discours des sorciers. Lyon. 1608, 2e édit. in-8°) est le recueil le plus monstrueux que l’on puisse imaginer. Grand juge à Saint-Claude (Jura), cet homme, par sa crédulité — car il nous répugne d’attaquer sa moralité, — a plus fait pour étendre les folies de la sorcellerie que tout autre écrivain, et il a eu la triste pensée, en descendant dans la tombe, d’avoir fait mourir sciemment et juridiquement un grand nombre de malheureux. Son ouvrage a été d’autant plus pernicieux qu’il est écrit en français et qu’il a eu ainsi un grand nombre de lecteurs. Henri Boguet a été le pourchasseur forcené de malheureux hallucinés, des infortunés démoniaques, le tourmenteur des sorciers, abominable dans sa barbarie, implacable dans ses consultations juridiques, assouvissant comme une bête fauve sa rage contre des femmes et des enfants ! et cela au nom d’un Dieu de paix et de miséricorde, qu’il invoquait toutes les fois qu’il envoyait une victime au bûcher ! Ce monstre ou plutôt ce démon n’a pas cessé, pendant les dernières années du seizième siècle, de faire dresser sur la terre de Saint-Claude le gibet et le bûcher. Son Instruction  pour un juge en fait de sorcellerie, qui termine son livre. odieux, surpasse tout ce que l’on peut imaginer :

« Le crime de sorcellerie est un crime exceptionnel ; il doit être jugé aussi exceptionnellement, sans observer l’ordre du droit, ni les procédures ordinaires.
Le bruit publie, le vox populi, est presque infaillible en pareille matière.
Quand on veut interroger un sorcier, il faut le déshabiller tout nu, le faire raser partout, pour découvrir le sort de taciturnité qu’il porte sur lui.
Il est bon de supposer quelqu’un qui se dise prisonnier pour le même crime, afin d’induire le sorcier par toutes voies licites de confesser la vérité.
Il est bon d’appliquer lu torture à un accusé un jour de fête.
Le fils est admis à porter témoignage contre son père, le père contre le fils.
Les personnes infâmes sont reçues à porter le même témoignage, voire même les ennemis déclarés de l’accusé.
Il ne faut pas rejeter le témoignage des enfants qui n’ont pas atteint l’âge de la puberté.
La peine ordinaire des sorciers est d’être brûlés ; ceux qui se seront transformés en loups seront brûlés vifs. [p. 472]
J’estime que non-seulement il faut faire mourir l’enfant sorcier qui est en âge de puberté, mais encore celui qui ne l’a pas atteint, l’atrocité du crime devant faire transgresser les lois ordinaires du droit.
Il vaut mieux condamner à mort les enfants sorciers que de les laisser vivre d’avantage au grand mépris de Dieu.
Il convient d’observer qu’en fait de sorcellerie il est loisible de passer quelquefois condamnation sur des indices et conjectures indubitables. »

Et remarquons que le livre de Boguet, dans lequel le féroce et inepte magistrat a promulgué un tel code, a été imprimé avec l’assentiment de plusieurs autorités ecclésiastiques. Je vois les « approbations » de Coyssard, de compagnie de Jésus, de Dorotheus, recteur du collège de Besançon, de De la Barre, docteur en théologie, de Jean le Comte, prieur des Augustins. Que dis-je ! la poësie s’en mêle, et je lis entre deux sonnets louangeurs la quatrain suivant signé G. Gruz :

Votre ouvrage fécond descouvre la vérité,
Et venin donne-mort du médecin sorcier.
Mais par vostre équité et par droit justicier,
Vous leur faistes subir le mérité supplice.

C’est sur les « Avis » de Boguet que furent brûlées à Dôle Marguerite Mouille, Loyse Servant, Rolande, Guillemette Joubart, et que Françoise Secretan fut jetée en prison, où elle finit par se suicider, pour avoir ensorcellé une fillette de huit ans, « impotente de tous ses membres » et lui avoir introduit dans le corps, au moyen d’une croûte de pain qu’elle lui avait fait avaler, cinq démons : Loup, Chat, Chien, Joly. Griffon, et d’autres. C’est en mémoire de son livre que fut décapité dans le mois d’août (1629) Claude Guillon, pour « avoir mangé en carême de la chair de cheval mort de pauvreté el de maladie » (nous avons publié les détails de cette affaire, Union méd,. 1866, n°141) ; c’est Boguet enfin qui pour conduire plus aisément à la mort des malades accusés de sorcellerie, donne en dix-huit articles les caractères par lesquels il est prouvé que ces malades sont possédés du diable. Nous en détachons les choses suivantes :

« Un malade est démoniaque, si la maladie est telle que les médecins ne puissent la découvrir ni connaître, st elle augmente plutôt que de diminuer, si dès le commencement elle offre de grands symptômes de douleurs, si elle est inconstante et variable, sans ses jours, ses heures, ses périodes ; si le patient ne peut dire en quelle partie du corps il souffre, s’il jette des soupirs tristes et pitoyables, s’il perd l’appétit et s’il vomit, s’il ressent des douleurs poignantes dans la région du cœur, si on lui voit les artères « pousser et tremblotter à l’endroit du col » s’il est « rendu impuissant au mestier de Vénus », s’il a quelque sueur même durant la nuit, alors que le temps est assez froid, s’il ne peut regarder le prêtre en face. »

Quant aux marques, ou stigmates, qui jouent un si grand rôle dans les exorcismes, et qui n’étaient que de petites cicatrices ou des « grains de beauté », le Grand juge de Saint-Claude assure que tous les sorciers en portent peu ou prou, sur diverses parties du corps, et que « ces marques ont telle force en fait de sorcellerie, qu’elles servent de présomption très-violente contre les accusés, de telle sorte qu’il est loisible de passer à condamnation. » Il n’y a pas jusqu’aux « manieurs de cartes », aux prestidigitateurs, que Boguet enverrait volontiers au gibet comme sorciers.

Nous sommes entrés dans quelques détails sur le livre exécrable de Boguet [p. 473] parce qu’à lui seul il représente ce qu’étaient aux seizième et dix-septième siècles la magie et la sorcellerie, et qu’avec lui on peut se passer d’ouvrages ejusdemem farinœ, publiés par Bodin (La Démonomanie, 1580, in-4°), Perreau (Démonologie, 1655, in-8°), Du Triez (Des rudes, finesses et impostures des esprits malins, 1563, in-8°), P. Massé (L’imposture et tromperie des diables, devins, enchanteurs, 1579, in-8°), Serclier L’antidémon historial, 1609, in-8°), Fontaine (Discours des marrques des sorciers, 1611, in-8°), et tant d’autres stupidités, sans compter une foule « d’histoires étonnantes », de « discours prodigieux », relatant des histoires particulières de sorcelleries.

Ce n’est pas exagérer que de dire que, dans le seizième siècle et la première moitié du dix-septième, l’espèce humaine, dans les pays les plus civilisés, vécut en quelque sorte du merveilleux et des pratiques extra-naturelles, et que la superstition sembla faire échec aux progrès scientifiques qui s’accomplissaient tous les jours ; on dirait que les découvertes, les aspirations vers la vérité, et les notions acquises, ne faisaient que raviver la tendance vers les produits de l’imagination, tant il est vrai que l’amour du merveilleux n’est point incompatible avec les progrès de la science et de la culture de l’esprit, et que, comme le dit Voltaire, « Plus la raison fait de progrès, plus le fanatisme grince des dents. » Ce ne sont plus maintenant les théologiens qui descendent seuls dans la lice pour prouver qu’une multitude de malades atteints de délire partiel doivent être poursuivis et punis comme hérétiques, que l’extase, le mal caduc, 1’hystérie, sont dus à des esprits malfaisants. Des hommes éminents par leur savoir et placés tout à fait en dehors de la corporation du clergé embrassent avec une confiance aveugle l’opinion de ceux qui protestent que l’homme pactise souvent avec les démons, et que beaucoup de nos maladies sont dues à des influences surnaturelles, Nous avons reproduit la protestation de Gabriel Naudé contre les fauteurs de la magie et de la sorcellerie ; Guy Patin, son ami, ne s’élève pas moins énergiquement contre les assassinats du prêtre Gaufridi, et d’Urbain Grandier, brûlé vif à Loudun sur les poursuites de Laubardemont et les instigations de Richelieu, et il exerce toute sa verve satirique contre ces folies et ces turpitudes. Mais il ne faut pas croire que tous les médecins de cette époque ont été absolument soustraits à la croyance en ces démons, les possessions, et les causes occultes. Si Marescot, médecin de Hcnri IV, a montré, en sautant à la gorge de la prétendue démoniaque Marthe Brossier, et en l’étreignant fortement dans ses bras, qu’il pouvait arrêter les gambades de cette hystérique an nez et à la barbe des démons, Fernel, Plater, Mathiole, Sennert, Willis, dont les écrits ont pourtant joué un si grand rôle dans l’étude des phénomènes nerveux en général. accordent encore beaucoup aux influences diaboliques, et consacrent ainsi des doctrines d’après lesquelles les théologiens et les juges se dirigent dans les procès de sorcellerie.

Fernel admet l’action des esprits malins sur le corps de l’homme, il croit que les adorateurs du démon peuvent, à l’aide d’imprécations, d’enchantements, d’invocations, de talismans, attirer les esprits déchus dans le corps de leur ennemi, et que ces démons y causent des accidents graves. Il a été témoin d’un cas de délire causé par la présence du diable dans l’organisme, et qui fut d’abord méconnu par les plus doctes médecins de l’époque (Fernel : Opera univ., in-fol., p, 802-803). Ambroise Paré semble adopter la théorie des inquisiteurs et des pneumatographes concernant le pouvoir des êtres surnaturels. Le diable compte sur la terre beaucoup de partisans ; ceux-ci font un pacte avec les esprits, et [p. 474] parviennent, à l’aide de moyens diaboliques et subtils, à déranger la santé. en lésant l’entendement et les principales fonctions. « Les démons, écrit Paré, qu’on regrette de voir en pareille compagnie, se forment tout subit en ce qui leur plaist, souvent on les void se transformer en serpens, crapaux, chat-huants, corbeaux. boucs, asnes, chiens, chats, loups, taureaux ; ils se transforment en hommes et aussi en anges de lumière, ils hurlent la nuit et font bruir comme s’ils estaient enchaînez ; ils remuent bancs, tables, bercent les enfants, feuillettent les livres, comptent l’argent, jettent la vaisselle à terre, etc. ; ils ont plusieurs noms, comme cacodémons, incubes, coquemares, gobelins, lutins. mauvais anges, Satan, Lucifer, etc. » (A. Paré, édit. Malgaigne, t. Ill, p. 53 et suiv.) Citons encore ce passage du père de la chirurgie française : « Les actions de Satan sont supernaturelles et incompréhensibles, passant l’esprit humain, et n’en peut-on rendre raison pas plus que de l’aimant qui attire le fer et fait tourner l’aiguille, Ceux qui sont possédés des démons parlent la langue tirée hors la bouche, par le ventre, par les parties naturelles, ils parlent divers langages incognus, font trembler la terre, tonner, venter, desracinent et arrachent les arbres, font marcher une montagne d’un lieu à un autre, souslèvent en l’air un château et le remettent à sa place, fascinent les yeux et les esblouissent… »

Combien l’on est heureux de trouver ces paroles sous la plume de Montaigne :

« Les sorcières de mon voisinage courent hazard de leur vie sur l’advis de chaque nouvel autheur qui vient donner corps à leurs songes… Je suis lourd et me tiens un peu au passif et nu vraysemblable… Je vois bien qu’on se courrouce et me deffend-on d’en douter sous peine d’injures excécrables. Nouvelle façon de persuader. Pour Dieu mercy, ma créance ne se manie pas à coups de poing… A tuer les gens il faut une clarté lumineuse et nette ; et est nostre vie trop réelle et essentielle pour garantir ces accidents supernaturels ct fantastiques. Quant aux drogues el poisons, je les mets hors de mon compte : ce sont homicides de la pire espèce. Toutefois en cela mesme on dit qu’il ne faut pas toujours s’arrêter à la propre confession de gens icy ; car on les a vus parfois s’accuser d’avoir tué des personnes qu’on trouvait saines et vivantes… Combien plus naturel que notre entendement soit emporté de sa place par la volubilité de nostre esprit détraqué, que cela, qu’un de nous soit envolé sur un balcon, au long du tuyau de sa cheminée, en chair et en os, par un esprit étranger ! Ne cherchons pas les illusions du dehors et incognues, nous qui sommes perpétuellement agités d’illusions domestiques et nostre. Il me semble qu’on est pardonnable de mescroire une merveille autant au moins qu’on peut en détourner et élider la vérification par voye non merveilleuse… Il y a quelques années que je passay par les terres d’un prince souverain, lequel en ma faveur et pour rabattre mon incrédulité me fit cette grâce de me faire voir en sa présence, en lieu particulier, dix ou douze prisonniers de ce genre, et une vieille entre autres, vrayment bien sorcière en laideur et déformité, très-fameuse de longue main en cette profession. Je vis et preuves et libres confessions et je ne sais quelle marque insensible sur cette misérable vieille, et m’enquis et parlay tout mon saoul, y apportant la plus mine attention que je peusse : et ne mis pas homme qui me laisse guère garotter le jugement par préoccupation. Enfin et en conscience, je leur eusse plustôt ordonné de l’élébore que de la ciguë, car ils me parurent fous plutost que coupables… Après tout, c’est mettre ses conjectures à bien haut prix que d’en faire cuire un homme tout vif… » (Essais, édit. de 1725, in-4°, t, Ill, p. 281 et suiv.). [p. 475]

La philosophie doit aussi savoir gré à Pierre Charron, qui écrivait quinze ans après Montaigne, d’avoir cherché à éclairer ses concitoyens : « L’imagination est une puissante chose… Ses effets sont merveilleux et estranges… Elle fait perdre le sens, la cognoissance, le jugement, fait devenir fol el insensé… Fait deviner les choses secrètes et à venir, et cause les enthousiasmes, les prédictions et merveilleuses intentions, et ravit en extase, réellement tue et fait mourir. Bref, c’est d’elle que viennent la plupart des choses que le vulgaire appelle miracles, visions, enchantements. Ce n’est pas le diable ni l’esprit, comme il le pense, mais c’est l’effet de l’imagination on de celle de l’agent qui fait telles choses, ou du patient et spectateur, qui peut voir ce qu’il ne voit pas » (De la sagesse, I, XVIII).

Pigray, élève d’Ambroise Paré, avait-il lu et médité l’auteur des Essais ? je ne sais. Toujours est-il qu’il doit être mis au rang de ceux qui ont eu, par la prudence et la pitié en pareille matière, le dessus sur la sottise et la cruauté. Le fait se passait en 1589. Le Parlement qui était alors réfugié à Tours avait commis deux médecins, Falaizeau et Renard, et le chirurgien Pigray, pour examiner quatorze malheureux, tant hommes que femmes, qui avaient été condamnés à mort pour crime de sorcellerie, et qui avaient rappelé de cette sentence. «  La visite, écrit Pigray, fut faite par nous, en la présence de deux conseillers de la Cour ; nous vîmes les rapports qui avoient été faits sur lesquels avoit été fondé le jugement par le premier juge. Je ne sçay pas la capacité ni la fidélité de ceux qui avoient rapporté, mais nous ne trouvasmes rien de ce qu’ils disaient, entre autres choses qu’il y avoit certaines places sur eux, dutout insensibles ; nous les visitasmes fort diligemment, sans rien oublier de ce qui est requis, les faisans despouiller tout nuds : ils furent piqués en plusieurs endroits, mais ils avoient le sentiment fort aigu ; nous les interrogeasmes sur plusieurs points comme on fait des mélancholiques ; nous n’y recognusmes que de pauvres gens stupides, dépravés de leur imagination, les uns qui ne se soucioient de mourir, les autres qui le désiroient. Nostre advis fut de leur bailler plustost de l’hellébore pour les purger, qu’autre remède pour les punir, ne voulant pas juger par la voye commune, mais par celle de la raison ; et vaut mieux, ce me semble, ès choses de difficile preuve et dangereuse créance, pencher vers le doute que vers l’assurance. La Cour les renvoya suivant nostre rapport » (Pigray. Épitome des principes de médecine et de chirurgie, Lyon, 1616, liv. VII, chap, x. p. 516).

Parfois , quelques scènes venaient, dans les procès contre les sorciers, jeter une note plaisante au milieu du lugubre concert. En voici une que l’on doit à Papon, et qui se réfère au procès de Gaufridi que nous avons cité : « Le procès contenait beaucoup de dépositions sur le pouvoir des démons. Plusieurs témoins assuraient qu’après s’être frotté d’une huile magique Gaufridi se transportait au sabbat, et revenait ensuite dans la chambre par le tuyau de la cheminée. Un jour qu’on lisait cette procédure au Parlement d’Aix et que l’imagination des juges était affectée par le long récit de ces événements surnaturels, on entend dans la cheminée un bruit extraordinaire, qui se termine tout à coup par l’apparition d’un grand homme noir qui secoue la tête. Les juges crurent que c’était le diable qui venait délivrer son élève, et ils s’enfuirent tous, à l’exception du conseiller Thoron, rapporteur, qui, se trouvant embarrassé dans le bureau, ne put les suivre. Effrayé de ce qu’il voyait, le corps tout tremblant, les yeux hagards, et faisant beaucoup de signes de croix, il porte à son tour [p. 476] l’effroi dans l’âme du prétendu démon, qui ne savait d’où venait le trouble du magistrat. Revenu de son embarras, il se fit eonnaître. C’était un ramoneur, qui, après avoir remonté la cheminée de MM. des Comptes, dont le tuyau rejoignait celle de la Tournelle, s’était mépris et était descendu dans la chambre du Parlement» (Papon) Hist, gén. de Provence. Paris, 1777-1786. In-4°, t. IV, p, 450).

Au reste, le fanatisme, la croyance en l’existence de démons et de sorciers qui ont commerce avec eux pour nuire aux hommes n’ont pas capitulé à la fin du dix-septième siècle, ni même pendant le dix-huitième, où cependant tous les yeux s’ouvrent aux lumières de la raison et du bon sens, et où fleurissent Voltaire et les encyclopédistes. Au dix-huitième siècle, les Bacon, les Pascal, les Leibniz, les Newton, les Locke, les Hobbes, s’efforcent de saper les erreurs qui avaient jusque-là tenu la raison captive, frayant à l’entendement des voies que nul avant eux n’avait pratiquées. Eh bien, il se trouva encore des hommes qui redoublèrent d’activité pour ressaisir et renouer solidement les liens qui retenaient depuis si longtemps l’esprit humain enchaîné aux plus stupides raisonnements, etc. Il est pénible de le dire, mais cela est vrai ; à savoir que de savants médecins tels que Baillou, Félix Plater, C. Lepois, Sennert, Sylvius, etc., après magnifiques travaux sur les affections nerveuses et mentales, n’ont pas complétement secoué le joug des démons, de la possession et des possédés, et qu’ils ont ainsi prêté la main à la théorie, et aux magistrats chargés d’instruire contre la sorcellerie. Dans ce siècle la démonopathie se montra presque aussi furieuse, tyrannique, que dans le siècle précédent. Elle a à son passif les bénédictines possédées de Madrid, la folie des ursulines de Loudun, les femmes séculières de Chinon, la mort sur le bûcher de quatre-vingt-cinq sorciers et sorcières à Elldalem en Suède, le procès de plus de cinq cents villageois de la Normandie, une épidémie d’hystérie parmi les jeunes filles et les jeunes garçons qui peuplaient l’hospice des orphelins de Iloom, la choréomancie de l’Allemagne, le Tarentisme de la Pouille, les Jumpers ou Sauteurs, cinquante dévotes atteintes de démonomanie dans les environs de Lyon, etc., sans compter une foule de cas individuels où généralement la vie a été arrachée par le bourreau.

Que dis-je ! à notre époque même, devant les merveilles de la science moderne, des chemins de fer, de la télégraphie électrique, du téléphone. etc., le spiritisme, c’est-à-dire cette pitoyable doctrine pour laquelle le monde serait peuplé d’êtres intangibles, pouvant se mettre en communication avec les médiums, trouve beaucoup d’adeptes, et parmi ces derniers on pourrait citer des hommes connus par leur haute intelligence, et par la production d’œuvres remarquables en philosophie, en littérature et en science. Dans le Paris philosophie ne du dix-huitième siècle la croyance aux prodiges et au surnaturel marchait de front avec le scepticisme religieux. Il y avait alors, écrit M. Figuier, dans plusieurs quartiers et des mieux hantés de la capitale, des assemblées mystérieuses où des hommes sortis on ne sait d’où venaient vendre très-chèrement des miroirs prétendus magiques, dans lesquels ils se faisaient fort de montrer les images des personnes chéries dont on regrettait la mort ou l’absence. Et, chose singulière ! plus d’un chaland fasciné crut voir et témoigna qu’il voyait l’image évoquée de cette façon. Le, miroir magique se retrouve au seizième siècle dans le livre du grand Fernel (De abditis rerum causis). C’est au dix-huitième siècle qu’appartiennent Cagliostro, Mesmer. les miracles du cimetière de Saint-Médard, le Diacre Pâris, des extases magnétiques de toutes sortes. En 1750, le jésuite Gérard faillit être [p. 477] brûlé vif par arrêt du parlement de Provence pour avoir, ensorcelé la belle La Cadière. Cette même année vit brûler en grande cérémonie, à Wurtzbourg, une religieuse appartenant à une famille noble. Cette malheureuse convenait d’avoir pratiqué diverses sorcelleries pour faire périr plusieurs personnes qui cependant avaient résisté à la puissance de son art.

« Il y a. quelques années, écrit Voltaire en 1764 à Damilaville, que deux jeunes gens furent accusés d’être sorciers ; ils furent absous je ne sais comment, par le pape. Leur père mit le feu dans la grange près de laquelle ils étaient couchés, et les brûla tous deux pour réparer auprès de Dieu l’injustice du juge qui les avait absous. Cela s’est passé en Franche-Comté, dessus un gros bourg appelé Longchamois, et cela se passerait dans Paris, s’il n’y avait eu des Descartes, des Gassendi, des Bayle, etc. »

II fut un pays dans lequel ou fut sur le point de brûler Brioché et ses marionnettes. Il ne fut sauvé que par l’intervention d’un capitaine qui parvint à expliquer au magistrat instructeur le mécanisme de ses figurines.

Un cavalier français qui faisait voir dans les foires une jument qu’il avait eu l’habileté de dresser à répondre exactement à ses signes eut la douleur en Espagne de voir mettre à l’inquisition un animal qui faisait toute sa ressource, et eut assez de peine à se tirer lui-même d’affaire.

J’ai appris de la bouche même de Comte, habile ventriloque, etc., fondateur du théâtre du passage Choiseul, que dans un village de la Suisse, il fut sur le point d’être lapidé par les paysans, parce qu’il avait fait sortir des voix humaines du ventre d’un cochon.

Legendre, en 1733 (Traité de l’opinion, I, 336), n’ose pas encore secouer la défroque de la sorcellerie, et il déclare que, si c’est une impiété de nier qu’il puisse jamais y avoir des sorciers, c’est une bêtise de les placer partout. »

On pourrait multiplier sans nombre les exemples de choses toutes naturelles que, même encore aujourd’hui, l’ignorance et la superstition voudraient criminaliser et faire passer pour les actes d’une magie noire et diabolique.

Que dire de ces deux faits, qu’en 1826, près de Dax, une femme a été jetée dans les flammes et interrogée, au milieu d’effroyables tortures, sur un prétendu sort qu’elle aurait jeté, et qu’à Spire on refusa la sépulture à un vénérable prélat parce que la voix publique l’accusait de magie (F Denis. Tableau des sciences occultes, 1842, in·16, p. 20). Croirait-on que la loi de 1751, qui condamne les bergers à neuf ans de galères pour simple menace de lancer un sort, n’est pas tombée en désuétude ? Comme l’a trop bien fait observer Salverte, les législateurs n’ont pas eu d’autres yeux que le vulgaire. En portant contre les sorciers des accusations terribles, ils en ont décuplé le nombre par l’effet ordinaire que produit la persécution. Dans l’épouvante que leur causaient de prétendus prodiges, ils sont devenus d’implacables persécuteurs, Mais, nous sommes arrivés maintenant à une époque où la terreur qu’inspiraient les sciences occultes n’existe plus que dans les classes ignorantes. Il y a, il est vrai, des sorciers et des magiciens jusque dans le dix-neuvième siècle, mais on se contente de les mettre à l’amende quand ils trompent et de chercher à les guérir quand ils rêvent. »

Salverte aurait dû ajouter ccci : c’est que les seigneurs des juridictions dans les terres desquelles s’épanouissaient les crimes de sorcellerie s’enrichissaient des dépouilles et de la confiscation des biens appartenant aux prétendus sorciers, et que, comme le fait remarquer La Mothe-le-Vayer (Instruction de M., le [p. 478] Dauphin), les provinces dans lesquelles régnait cette jurisprudence de la confiscation virent pulluler les sorciers plus que dans tout le pays.

Après tout, les magistrats ont sans doute été illuminés par la prudence et l’instinct de 1a conversation [sic], car, du moment où les sorciers qu’ils faisaient mourir avaient tant de puissance sur le sort des humains, ils eussent pu exercer le même empire désastreux sur les détenteurs de la justice.

Malebranche., dans ses Recherches sur la vérité (liv. Ill. ch. VI), ne doute point qu’il y ait des charmes, des sorciers, des sortilèges. et que le démon n’exerce quelquefois sa malice sur les hommes par la permission de Dieu. Mais, ajoute­ t-il, et c’est là son excuse, « les vrais sorciers sont aussi rares que les sorciers par imagination sont communs. Dans les lieux où l’on brûle les sorciers, on ne voit autre chose, parce qu’on croit véritablement qu’ils le sont, et cette croyance se fortifia par les discours qu’on en tient. Que l’on cesse de les punir et qu’on les traite comme des fous, et l’on verra qu’avec le temps ils ne seront plus sorciers. »

Oui. les sorciers, les démoniaques de bonne foi, — et presque tons ceux qui ont été sacrifiés l’ont été, car on ne joue pas avec la mort, — étaient des fous, de véritables hallucinés. On ne s’accuse pas avec une sorte d’acharnement, on ne court pas au devant de la torture et du bûcher, si l’on n’y est pas irrésistiblement poussé par une aberration des facultés sensitives et morales. Presque tous les accusés de sorcellerie ont reconnu la réalité des faits monstrueux, extraordinaires, dont on les chargeait ; presque tous ont suivi l’exemple de ce paysan de Vaud, qui fit la déclaration suivante :

« Je suis coupable, tout disposé à faire l’aveu de ma scélératesse ; puissent les bommes m’accorder leur pardon, à présent que je vais quitter la vie ! J’ai appartenu, ainsi que ma femme, à la corporation des sorciers ; j’ai renoncé aux grâces du baptême, à la foi chrétienne, à l’adoration du Christ. J’ai pris l’engagement de fléchir le genou devant le maitre de l’enfer ; j’ai bu du suc extrait de la chair d’enfant, suc que les adorateurs de Satan conservent précieusement dans des outres ; ce breuvage procure un savoir qui n’appartient qu’aux initiés » (Nider, de malefico maleficorum, L. I, p. 485).

Les aveux sur des actes les plus dégoûtants, les plus honteux, sur les embrassements avec le diable, avec des boucs, des pourceaux, sur les manœuvres d’une épouvantable lubricité, n’ont pas arrêté des femmes, des jeunes filles, des nonnes ; elles se sont vautrées comme à plaisir, devant leurs juges, dans les plus immondes détails, ne respectant ni leur pudeur, ni l’honneur de leurs parents, de leurs époux. A la rigueur, on admettrait ces humiliantes manifestations chez des femmes du peuple. dépourvues d’éducation, ou chez celles que le vice a déjà touchées ; mais le fait devient incompréhensible chez des jeunes filles appartenant aux meilleures familles, ayant reçu les bénéfices d’une éducation soignée, que le respect avait jusque-là entourées, et qui pourtant, possédées du diable. en sont arrivées à se montrer en public, grimaçant, prenant les poses les plus indécentes, prononçant des paroles ignobles, jurant, blasphémant, en se livrant aux démonstrations de la plus épouvantable lubricité, Et cela sans honte, sans rougir. Les ursulines de Loudun en ont montré de nombreux exemples. Nous avons parcouru les procès-verbaux originaux et signés des exorcismes auxquels ont été soumises ces pauvres démentes (Biblioth, nat., ms. français 12047) ; il est telles de ces scènes qu’une plume qui se respecte ne saurait écrire. [p. 479]

La signification des phénomènes sensitifs, intellectuels et moraux, qui constituent la folie, devait échapper à une époque où l’on ne s’expliquait pas les lésions de l’entendement, les aberrations fonctionnelles provenant de l’appareil nerveux, et où l’on était privé de tout cet ensemble de données anatomo-physiologiques, philosophiques et pathologiques, que les effets du temps, de l’observation lente et successive, ont fait acquérir, à une époque enfin où la pathologie mentale était enlacée dans les liens de la métaphysique. Mais aujourd’hui la lumière s’est répandue sur des sujets pleins d’intérêt, une partie du voile a été soulevé, et il est reconnu que presque tout ce qu’on appelle des évocations, des apparitions, des obsessions. des revenants, des diableries, des possessions, des spectres, des fantômes, des ombres, des simulacres, des génies familiers, des farfadets, des lutins, des vampires, des visions fantastiques, a pris naissance dans le cerveau de certains hallucinés, Ces derniers sont demeurés convaincus, et sont parvenus à persuader aux autres que l’apparitions qu’ils avaient éprouvées en dormant avaient eu hors de leur cerveau une cause réelle et incontestable ; et l’empire d’une imagination maladive a pu aller assez loin pour faire croire à certaines femmes qu’elles ont eu, soit pendant un raptus extatique, soit en dormant, un commerce intime avec des amants dont les approches n’ont pourtant pas eu lieu en réalité. Ce que l’on rapporte du commerce secret des incubes avec certaines dévotes, que les macérations du cloître ont fait tomber dans une excitabilité anormale. ne peut être attribué qu’à une perversion de la sensibilité des parties sexuelles. Dans les exorcismes des possédées, dans leurs réponses aux exorcistes. il est facile de voir qu’elles transforment en diableries les sensations délirantes qu’elles éprouvent dans diverses parties du corps, et qu’elles donnent à chacune de ces sensations la forme corporelle d’êtres imaginaires, dont elles disent même les noms.

Pilet de la Ménardière, qui a écrit la Dmonomaie de Loudun. (1654, in-8°), a laissé une très-curieuse liste des religieuses et des séculières qui furent possédées ou maléficiées. Il indique nettement les places occupées par les démons. En effet, ces filles ressentaient dans la tête, dans l’estomac, dans la région du cœur, vers le front, ou vers la tempe, des sensations d’une nature particulière, que leur imagination leur faisait transformer en diables. Ces points douloureux, en d’autres termes, ces névralgies intercostales, ces migraines, ces clous hystériques, hépatalgie, gastralgie. etc., devenaient pour les malheureuses nonnes le point de départ d’hallucinations spéciales, que les exorcistes baptisaient des noms des nombreux émissaires de l’enfer. Ainsi :

Sœur Jeanne des Anges fut possédée par sept diables, dont trois furent chassés le samedi 30 mai 1654, et firent pour gage trois ouvertures en son côté droit. Les quatre autres sont Léviathan, qui a sa résidence au milieu du front ; Béhérit dans l’estomac, Balaam à la deuxième côte droite, lsaacaron sous la dernière côte droite.

Sœur Louise de Barbeziers, de la maison de Nogaret, a deux démons : Eazat des Dominations. qui a sa résidence au-dessous du cœur, Caron des Vertus, qui siégé au milieu du front.

Sœur Jeanne, sa sœur, n’a qu’un démon, nommé Cerbère des Principautés ; celui-là habite au-dessous du cœur.

Quatre démons tourmentent sœur Agnès. Ce sont : Asmodée des Throsnes, qui a sa résidence au-dessous du cœur, Béhérit des Throsnes à l’orifice de [p. 480] l’estomac, Achaos des Archanges à la tempe gauche, Achap des Puissances au milieu du front.

Pour sœur Claire de Sazilli, la plus compromise de toutes, elle n’a pas moins de huit démons : 1° Zabulon des Throsnes (milieu du front) ; 2° Nephtali des Throsnes (bras droit) ; 3° Sans-Fin (2 côte droite) ; 4° Elimi des Vertus (estomach) ; 5° L’ennemi de la Vierge des chérubins (au-dessus du cou) ; 6° Pollution des chérubins [au-dessous du cœur) ; 7° Verrine des Throsnes (tempe gauche) ; 8° concupiscence des chérubins (tempe droite).

Et aisi pour les religieuses simplement maléficiées, pour les séculières possédées, pour les séculières maléficiées. Le diable les mord à l’estomac, sous l’aisselle, sur la hanche, sous le nombril, sous le cœur, sous la mamelle (voy. G. Légué, Docum. pour servir à l’hist. méd. des possédées de Loudun. Thèse de Paris, 1874).

Dès les premiers temps de l’ère chrétienne, on admettait cette localisation des démons dans les maladies, démons que l’on chassait par des exorcismes : « Retire-toi, disent les formules, de la tête, des cheveux, de la langue, de dessous la langue, des bras, des narines, de la poitrine, des yeux, du gros intestin, des vessies » (Martène, De antiq. Eccles. ritibus, liv, III, c. lX, col. 985).

CHEREAUMAGIE0001

Jacob Boehme – Planche, 1675

La démonomanie est donc une véritable démonopathie, revêtant toutes espèces de formes, et beaucoup plus fréquente chez les femmes que chez les bommes. Symptomatiquement elle se dévoile par la crainte de Dieu, par le besoin de prier ou d’entendre prier, par l’insomnie, par le besoin de jurer, de proférer des paroles sales, d’adresser des malédictions au prochain, par des sensations viscérales qui sont attribuées à la présence du diable ou de plusieurs démons dans les entrailles, d’exciter la voix ou les clameurs des animaux, par le retour d’hallucinations vocales qui font croire aux malades que les esprits impurs parlent par leur bouche, que ce sont ces esprits qui vomissent par torrents les blasphèmes, qu’ils sont obligés de proférer, par l’excitation de l’appareil génital, par les persistances d’hallucinations visuelles qui les épouvantent, d’hallucinations qui leur offrent, la représentation de fantômes humains exécutant des danses licencieuses et des mouvements lascifs, par l’idée que le diable les fait sauter en l’air, « les inonde de flammes », les étreint de ses embrassements, les empêche d’approcher des sacrements, de vaquer à l’accomplissement de leurs devoirs religieux… (Calmeil). Pathologiquement, la démonopathie et a à peu près toutes les expressions des nombreuses formes de la sorcellerie peuvent se rattacher à l’hallucination, qui prête un corps et une forme aux idées créées dans le cerveau, qui rapporte ces idées aux appareils des sens, les convertit en sensations, attribuées presque toujours à l’action d’objets matériels qui n’existent pas, qui n’agissent point sur les organes ; à l’hallucination, qui peut affecter tous les sens, la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût. le toucher, et qui a son retentissement jusque dans les viscères. dans le foie, dans le cœur, dans le canal intestinal, dans les organes de la génération. (voy. DÉMONOMANIE).

C’est ce que n’ont pas compris nos devanciers, qui n’ont pas plus saisi le caractère naturel et l’origine physique des maladies qu’ils n’ont reconnu la constance des phénomènes de l’univers. « La même idée qui leur fit substituer aux forces par lesquelles il est régi des esprits personnels et des individualités divines, des démons ou des dieux, les conduisit à attribuer les maladies et le trépas à l’action surnaturelle de divinités on de génies irrités. La mort se présentait­elle avec un caractère tant soit peu étrange, entourée de circonstances qui [p. 481] sortaient de l’ordinaire, ils s’imaginaient que l’individu frappé avait reçu d’un être invisible le coup fatal. Les épidémies et les affections nerveuses étaient plus particulièrement réputées surnaturelles : les premières, à cause de leur apparition inopinée, de leurs effets contagieux et meurtriers ; les secondes, à raison de leur origine mystérieuse, des troubles profonds qu’elles apportent dans l’intelligence, les mouvements musculaires et la sensibilité » (Maury).

Le fou qui attribue presque toujours ses actes, ses discours, à d’autres qu’à lui, à des êtres, à des personnes invisibles qui le poursuivent et. l’obsèdent ; l’hystérique qui sent une boule lui monter de l’estomac à la gorge ; l’épileptique affreusement convulsionné, écumant ; le rabique victime d’horribles symptômes, qui impressionnent même les médecins les plus endurcis ; l’hypochondriaque qui se sent piqué, tourmenté de fourmillements, d’oppression, de pesanteur sous la peau, dans les viscères… cela était bien propre, on en conviendra, à faire croire aux malades et à faire supposer à ceux qui les entouraient qu’ils étaient dominés par de mauvais génies, Aussi les fous reçurent-ils chez les Grecs les noms d’énergumènes (ένεργουμενοι), de démoniaques (δαιμονισληποι), de possédés de Dieu (θεοληπτοι). L’épilepsie fut appelée mal sacré, l’hystérie, mal du diable, etc.

Lorsqu’on songe à toutes les horreurs qu’à produites la magie et la sorcellerie, aux victimes innombrables quelle à faites, et à la dégradation dans laquelle elle a plongé l’esprit d’investigations scientifiques ; lorsqu’on se rappelle qu’il n’y a pas encore longtemps les aliénés, les hystériques, les épileptiques, étaient regardés comme des criminels, ou des bêtes fauves qu’on incarcérait, qu’on enchaînait et que l’on frappait ; lorsqu’on se reporte vers ces époques où une métaphysique vide, boursouflée de vent, et une théologie servile et cruelle arrêtaient l’essor de l’intelligence humaine… on est heureux d’appartenir à un siècle où les recherches ont une base unique et inébranlable dans la philosophie actuelle et scientifique, où le miracle et le prodige, quelle que soit la forme qu’ils prennent, quel que soit le prétexte qu’ils donnent, sont niés et tournés en ridicule par les esprits vraiment élevés, qui trouvent dans l’étude sereine des lois de la nature, des merveilles de la création, un aliment suffisant à leur ardeur, à leur admiration. à leur enthousiasme. Sans doute, la vraie science se heurte encore contre de nombreux problèmes à résoudre, mais on plus grand ennemi est la fausse direction donnée aux masses vers le rêve et la chimère ; il est dans ces hommes convaincus, nous voulons le croire, champions, peut-être, d’une révification du sentiment religieux, qui s’entêtent à soutenir, à défendre un spiritualisme merveilleux et miraculeux, et qui ne voient pas que la science marche, qu’elle marche toujours, et qu’elle n’aura pas de peine à mettre à néant leurs utopies ct leurs illusions. La compréhension de la névropathie a fait d’immenses progrès ; Satan ne fait plus guère ses frais aujourd’hui, remplacé qu’il a été par la maladie. Il semble vouloir nous quitter pour toujours. Bon voyage !

A. CHÉREAU.

BIBLIOGRAPHIE – La bibliographie de la magie et de la sorcellerie est fort considérable.Un amateur de ces sortes d’ouvrages en avait fait une telle collection, que pour la vente de sa  bibliothèque on en fil un assez fort volume in-8°. — Nous reculons devant l’idée d’indiquer ici même les principaux. On devra consulter la bibliographie des articles Démonomanie et Epidémiques (Folies). Au reste, le lecteur pourra satisfaire sa curriosité en se contentant des suivantes :

I.  — LEBRUN (Pierre). Histoire critique des pratiques superstitieuses qui ont séduit les peuples, embarassé les sçavants. Paris, 1732, 2° édit., 3 vol. in-12. — II. LE GENDRE (G.-C.). Traité [p. 482] de l’opinion. Paris, in-12, T.II, 2e partie. — III. CALMET (A). Traité sur les apparitions des esprits et sur les vampires ou les revenans de Hongrie, de Moravie, etc. Paris, 1751, 2 vol. in-8°. — IV. LENGLET-DUFESNOY. Recueil des dissertations anciennes et nouvelles sur les apparitions, les visions, les songes, etc. Paris, 1751, 4 vol. in-8°. — V. THIERS. Traité des superstitions selon l’Ecriture Sainte, les Conciles, les Pères et es Théologiens, Paris, 1670, 12-12. — VI. DENIS (Ferdinand). Tabeau… des sciences occultes. Paris, 1842, in-12. — VII. FIGUIER. Histoire du merveilleux. Paris, 1860. 4 vol. in-12. — VIII. A. MAURY. La magie et l’astrologie dans l’antiquité et au moyen âge. Paris, 1860, in-18.             A. C.

 

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