Maurice Courtois-Suffit. Les temples d’Esculape. La médecine religieuse dans la Grèce ancienne. Extrait de la revue « Archives générales de médecine », (Paris), série 7, n° 28, novembre 1891, pp. 576-603.

Maurice Courtois-Suffit. Les temples d’Esculape. La médecine religieuse dans la Grèce ancienne. Extrait de la revue « Archives générales de médecine », (Paris), série 7, n° 28, novembre 1891, pp. 576-603.

 

Maurice Courtois-Suffit (1861-1947). Docteur en médecine, médecin des hôpitaux. Quelques publications :
— Hygiène industrielle. Paris : J.-B. Baillière et fils , 1908.
— La cocaïne, tude d’hygiène sociale et de médecine légale. Paris : Masson , 1918.

[p. 57]

LES TEMPLES D’ESCULAPE

LA MÉDECINE RELIGIEUSE DANS LA GRÈCE ANCIENNE

Par le Dr MAURICE COURTOlS-SUFFIT,
Ancien interne des hôpitaux.

Biibliographie

DIEHL. —Excursions archéologiques en Grèce, 1890.
P. GIRARD —Asclepeion d’Athènes, Paris, 1881.
VERCOUSTRE. —Médecine sacerdotale dans l’antiquité. Revue Arch., 1885. [en ligne sur notre site]
A. GAUTHIER. —Recherches historiques sur l’exercice de la médecine, dans les temples, 1844. [en ligne sur notre site]
DAREMBERG. —De l’état de la médecine entre Homère et Hippocrate. Revue Arch., 1869.
S. REINACH —1° Chronique d’Orient. Revue Arch., 1884 ; 2° Seconde stèle des guérisons miraculeuses, id.; 3° Les chiens dans le culte d’Esculape, id.
Ch. NORMAND. —L’ami des monuments.

Il n’est rien de nouveau sous le soleil et l’on pourrait écrire d’interminables pages sur ce thème bien connu, que la crédulité des hommes ne change pas, que leur confiance absolue en des choses surnaturelles et mystérieuses est toujours la même. Comment s’étonner de la croyance naïvement sincère et profonde de l’ancien monde hellénique pour la divinité qui apportait à ses maux et à ses douleurs un soulagement qu’il croyait certain, lorsqu’à notre époque, au milieu des progrès d’une civilisation que nous nous plaisons à traiter de merveilleuse, Il ne se passe pas d’année, que des milliers de fidèles ne se dirigent en longues files suppliantes vers des [p. 577] temples où l’on fait profession de guérir les maladies les plus différentes, voire toutes les maladies ?

Il nous a. paru intéressant d’exposer en quelques lignes, diverses notions que des fouilles récentes en Grèce ont permis d’acquérir, et de montrer comment, dans les sanctuaires du dieu de la médecine, d’Asclépios, que les Romains nommaient Esculape, l’art de guérir s’exerçait.

L’origine de la médecine chez les Grecs fut religieuse, et, bien avant l’époque où Hippocrate, que Galien nommait le plus grand des médecins et le premier des philosophes, ne fondât les premiers éléments de la science véritable, les temples furent les premiers hôpitaux, les prêtres les premiers médecins.

Dans des sanctuaires spéciaux, dits Asclepeia, du nom du dieu auquel ils étaient consacrés, sous la conduite de prêtres habiles et exercés, les malades venaient de tous les coins de la Grèce, chercher la guérison ; et les médecins eux-mêmes ne craignaient pas de demander au dieu ses conseils et prenaient ses oracles comme articles de foi. C’est à l’ombre de ces temples qu’est née la médecine scientifique.

Et cependant, les malades n’y trouvaient que pratiques miraculeuses. C’étaient des oracles- que l’on y rendait, c’était non l’aide d’un médecin que 1’00 attendait, mais la protection toute-puissante d’un dieu.

La médecine, à la vérité, prenait peu à peu un grand développement. Les écoles de Cos et de Cnide, de Rhodes et de Cyrène étaient célèbres dans toute la Grèce ; les médecins qu’elles formaient étaient des laïques : ils étaient mis par la cité à la tête d’un iatreion, sorte de refuge médical doté par la ville et muni par elle de médicaments, d’instruments de médecine et de chirurgie, etc., etc… Dans ces établissements nombreux à Athènes, on faisait presque de la science véritable sous les yeux d’un médecin de profession…

Mais, combien la médecine religieuse était plus étendue, mieux suivie ! N’avait-elle pas pour elle la puissance immense que donne seule chez un peuple enclin à toutes les superstitions, la croyance en une force occulte, divine et surnaturelle ? [p. 578]

Des auteurs, peu nombreux. il est vrai, ont écrit sur cette question; les uns, archéologues savants, n’ayant d’antre bue que la vérité historique, ont rétabli d’après les inscriptions et les fouilles, la disposition ries temples et les règles qu’on y suivait; d’autres voulurent juger les pratiques sacerdotales, et, tandis que les uns n’y virent que jongleries éhontées faites par des charlatans, d’autres imbus d’une foi plus naïve peut-être, mais à coup sûr plus exacte, y aperçurent comme l’aurore de la médecine véritable, cherchèrent à réhabiliter les prêtres-médecins et à prouver que la thérapeutique des temples d’Asclepios était rationnelle et peut-être déjà scientifique.

Il faudrait, pour prendre parti entre le dénigrement systématique des uns et l’exagération enthousiaste des autres, une science de l’antiquité toute personnelle, une érudition archéologique complète, une somme d’études spéciales considérable. Notre but est plus modeste. Nous voulons essayer de montrer ce qu’étaient les temples d’Esculape ; comment les prêtres y interprétaient les oracles du dieu, par quels miracles les malades obtenaient la guérison. Nous mettrons à profit quelques travaux récents, et surtout le livre si intéressant, si plein d’une fine érudition de M. Diehl (Excursions archéologques Grèce) et la savante reconstitution de l’Asclepeion d’Athènes de M. Girard (l881). Ces travaux ont remis au jour un grand nombre de faits de toute sorte, qui éclairent d’une lumière toute nouvelle, ce culte jusque-là presque inconnu.

C’est là, croyons-nous, une des pages les plus intéressantes et les plus vivantes de l’histoire de la médecine.

SOMMAlRE —1° Les temples. —2° Les ministres du culte. —3° Les fêtes en l’honneur d’Asclépios. —4° Le culte privé, la thérapeutique sacerdotale. —5·° Les miracles. —Déchéance des -temples d’Asclépios.

1° Les temples. —On ne sait exactement à quelle époque on a commencé à honorer en Grèce, Asclepios comme un dieu et à lui bâtir des temples. Si l’on en croit Pausanias et Appollodore d’Athènes, ce fut 53 ans avant la prise de Troie ; [p. 579] d’autres auteurs affirment que c’est là une erreur, que le culte d’Asclépios est beaucoup plus récent et certainement postérieur à cette époque. La question, au reste importe peu. Ce qui est vrai, c’est que les temples existaient en grand nombre, que tous avaient leurs fidèles, que beaucoup d’entre eux jouissaient d’une réputation universelle. A Épidaure, patrie d’Esculape, était un sanctuaire d’une richesse incomparable et merveilleuse ; à Titane, Cos, Pergame, Tricca, Egée, à Athènes…, partout enfin des Asclepeia se dressaient avec pour objet unique, l’adoration du dieu de la médecine.

Ces temples, installés comme de véritables sanatoria sacrés, étaient situés de façon qu’un air salubre et vivifiant les parcourût sans cesse. A Athènes, l’Asclepeion bâti sur une éminence, était exposé au midi ; abrité par le rocher de l’Acropole des vents froids passant sur le Pentélique et le Parnès, il dominait la plaine. Du haut de ses terrasses, l’œil pouvait apercevoir au loin le golfe de Phalère, Egine, et les montagnes de l’Argolide.

D’autres fois, l’édifice du temple était construit dans une gorge boisée. A Titane, de vieux cyprès ombrageaient le péribole ; à Épidaure, un bois sacré couvrait de son ombre épaisse et silencieuse les murs élevés du sanctuaire,

Les Asclepeia n’étaient pas, comme beaucoup de temples grecs, de somptueux monuments élevés à grands frais avec le concours des plus Illustres artistes de la Grèce ; c’étaient généralement des bâtiments assez simples,. disposés pour laisser aux malades un large espace.

Presque toujours le temple était petit, souvent même une simple chapelle. Au fond, une statue de marbre était mise, représentant Asclepios assis, sous les traits d’un homme robuste à la barbe touffue. A côté du dieu, un lit était tendu où lors de certaines fêtes, on couchait l’image divine pour l’adorer, puis, près du lit, une table sur laquelle on servait au dieu le repas sacré.

Dans la chapelle, étaient groupées les offrandes de prix offertes par la piété reconnaissante des suppliants, avec les [p. 580] ex votocurieux que leurs dimensions exiguës ne permettaient pas d’exposer en plein air dans le téménos,

L’enceinte sacrée était surtout occupée par de larges portiques ou la multitude muette des fidèles s’entassait. C’est là qu’ils se couchaient, confiants et attentifs, et crédules, attendant la vision nocturne qui devait leur révéler le remède propice,

Auprès des portiques, devant le temple, on voyait encore d’autres statues d’Asclepios ou de ses enfants : Hygieia, toujours associée à son père sur les bas-reliefs votifs comme dans inscriptions, laso, Panakeia. Puis, d’autres divinités, Demeter, Coré, Héraclès, Hypnos, Hermès, Aphrodite… avaient aussi leurs autels ou leurs statues dans le sanctuaire d’Asclepios.

Près de l’entrée du temple, une source sacrée coulait, où l’on venait puiser l’eau nécessaire aux traitements prescrits par le dieu ; elle servait aussi aux ablutions et à la purification préalable des malades.

A Épidaure, l’aspect des monuments était particulièrement somptueux (Diehl). Dans l’enceinte sacrée que précédaient des propylées doriques, s’élevaient des édifices considérables. C’était d’abord le temple du Dieu avec ses colonnes doriques et sa corniche peinte. Les frontons étaient décorés de statues : A droite, on voyait le combat des Centaures et des Lapithes, à gauche la lutte des Grecs contre les Amazones. Trois statues de victoires ailées en marbre de Paros, couronnaient le sommet de l’édifice.

Au-dessous, des figures sculptées du style le plus fin : ici, une statue équestre, plus loin, une remarquable tête d’Amazone mourante ; aux angles du fronton, deux figures de Neréides à cheval.

Au fond du temple, l’œil était charmé par la statue d’or et d’ivoire où Thrasymède de Paros avait montré Asclépios assis sur son trône accompagné de ses animaux sacrés, le serpent et le chien.

Non loin, se trouvait le temple d’Artémis, en avant duquel s’élevait un autel. La déesse était surtout adorée sons le nom [p. 581] d’Hécate et sa divinité, guérissante et secourable était étroitement unie au culte d’Asclepios ; puis, à peu de distance, des chapelles construites en l’honneur d’Hygieia, la fille chérie du dieu, d’Aphrodite et de Thémis, d’Apollon Maléatas qui, dans son sanctuaire thessalien de Tricca, faisait, comme Esculape, de merveilleuses guérisons, et auquel, les fidèles, avant d’aller à Épidaure, apportaient souvent leurs hommages et leurs prières.

Au milieu de l’enceinte se trouvait un grand autel et le long de la muraille septentrionale du péribole, sur une longueur de 74 mètres, deux portiques ioniques, dont l’un avait deux étages superposés, formaient le dortoir sacré, l’Abaton, où les malades passaient la nuit.

Telle est la reconstitution idéale, pour ainsi dire, de I’asclepeion d’Epidaure. Actuellement, il en reste bien peu de choses, et voici la description qu’en a faite récemment M. Charles Normand, en revenant d’un long séjour en Grèce.

« Ce temple dorique, périptère, se présente actuellement sous la forme d’assises de soubassement ; aucune colonne n’en est restée debout, mais les alentours sont jonchés de ses fragments ; on peut voir les principaux au musée central d’Athènes. On possède une représentation d’Esculape assis sur son trône, imitation de la statue chryséléphantine, que Thrasymède de Paros avait sculptée pour ce temple. Ce bas-relief, à peu près intact, a l’aspect d’une métope ; il est en marbre blanc et mesure 67 centimètres. Un autre qui lui est semblable en mesure autant. Ces œuvres attestent le commencement du Ive ou la fin du Ve siècle avant Jésus-Christ.

« Une particularité que l’on retrouve dans d’autres édifices d’Épidaure, c’est que l’on accède au temple non par des gradins d’escalier, mais pat une rampe douce. On retrouve cette rare disposition devant les Propylées, devant le temple d’Artémis et devant l’édifice circulaire.

De tous les temples consacrés à Asclepios, celui d’Épidaure était un des plus merveilleux et des plus riches ; et l’on comprend sans peine, combien des gens venus de loin avec l’esprit plein de leurs misères, imbus de cette idée [p. 582] profondément gravée, qu’une puissance miraculeuse, était là, prête à répondre à leur dévot appel, le cœur troublé par l’attente de la divine guérison, devaient être séduits par cet enchantement des yeux que des chefs-d’œuvre amoncelés pouvait faire naître.

Mais, si l’aspect extérieur des Asclépeia n’était pas toujours aussi grandiose que celui d’Épidaure ; dans tous, les malades étaient charmés et comme attirés par l’innombrable série des objets de reconnaissance que des fidèles avant eux avaient laissés pour remercier le dieu guérisseur de son intervention infaillible.

Aux plafonds, aux murs que remplissaient les bas-reliefs les plus divers, dont le haut se voûtait sous le poids des ex­votoaccrochés par milliers ; sous les pieds, à chaque pas, les offrandes étaient jetées ; la générosité des malades attestant ainsi la toute-puissance absolue du dieu.

En entrant, près des portes, des ex-votoétaient fixés au mur, les uns avec des dédicaces rappelant le nom du malade sauvé, les autres restés sans nom étaient probablement des dons propitiatoires. Ceux-ci étaient de beaucoup les moins nombreux. les malades grecs ne payaient guère qu’après avoir été guéris. Souvent, don agréable à Asclepios ! les malades lui laissaient une reproduction réduite de la personne guérie, d’autres consacraient une représentation de la partie malade en souvenir de la grâce obtenue. Et ainsi, des parties de visage, des yeux, des bouches, des nez, des mâchoires, des dents, des seins, des parties génitales d’hommes et de femmes, des hanches, des poitrines, des cœurs, s’étagaient, se touchaient, formant des grappes étranges comme en un musée pathologique.

Des bas-reliefs nombreux ornaient les murs de l’édifice. Quelques-uns ont pu être retrouvés dont le sens est assez précis.

En voici un qui représente un malade couché ; près de lui un médecin est assis ; un personnage de haute taille et qui paraît être Asclepios, se tient debout la main droite étendue au chevet du patient. Du côté opposé s’avancent deux suppliants. [p. 583]

C’est le témoignage de reconnaissance d’un malade qui a consacré à Asclepios une plaque votive rappelant le moment précis de sa guérison. —Un autre, curieux aussi, a été retrouvé dans les fouilles de l’Acropole. Il représente une femme debout, recevant d’Asclepios un cylix qui contient sans doute quelque salutaire potion.

Enfin, —il est impossible de les énumérer tous, —en voici d’autres :

Presque toujours, c’est un temple, à l’intérieur duquel on voit Asclepios seul où Asclepios accompagné d’Hygieia, ou bien d’autres divinités étrangères. Des suppliants s’avancent vers eux, ils ont la main droite levée comme pour adorer le dieu, ou amènent une victime qu’ils vont sacrifier, une offrande qu’ils désirent consacrer.

D’autres bas-reliefs encore ont été retrouvés dont le sens est moins net. Beaucoup représentent la scène du banquet. « A l’intérieur d’un temple semblable à celui qui sert de cadre à la plupart des plaques votives, un homme à la barbe épaisse, souvent coiffé d’un modius, est accoudé sur un lit ; à ses pieds est assise une femme drapée ; près du lit, se dresse une table chargée de mets. Dans la partie du bas-relief opposée à ce groupe, des personnages plus ou moins nombreux et d’une taille inférieure à celle des deux premiers s’avancent conduisant ordinairement une victime (Girard) ».

Malgré l’opinion longtemps émise que ces bas-reliefs étaient des marbres funéraires représentant des morts héroïsés, on tend à les considérer comme des ex-votoconsacrés à Asclepios et à Hygleia par la reconnaissance des malades guéris.

Sur le sol, des trépieds dressés sur des piédestaux, des terres cuites de formes variées : souvent elles représentaient un coq, allusion probable à l’usage que l’on avait de consacrer un coq à Asclépios, ou bien, c’était l’image d’un enfant, d’un personnage drapé, ou du dieu lui-même.

Puis des offrandes sans nombre enrichissaient le sanctuaire. Surtout, des vases de toute forme et de toute grandeur étaient disséminés, depuis l’humble pot de terre de l’artisan modeste, jusqu’à la vaisselle d’argent dont les prêtres se servaient [p. 584] pendant les cérémonies : cassolettes, encensoirs et trépieds sacrés, reluisant de la clarté pâle et sèche du métal.

En d’autres places, des objets de toilette : cassettes à parfuma, miroirs, éventails en bois munis d’une chaine d’or, coiffures de femme, et plus loin, des pierres précieuses aux tons éclatants éclairant de leurs feux des coins du sanctuaire.

Des pièces de monnaie étaient jetées partout ; des instruments de musique, une lyre, une flûte étaient mêlés à des tas d’anneaux d’or et d’argent.

Au plafond même, des ex-votoétaient suspendus, semblables à ces navires que nos marins accrochent aux voûtes des Églises pour remercier la Vierge douce de les avoir sauvés du naufrage.

Enfin, sur des stèles de marbre, bien mises en vue de tout le monde, les actes publics relatifs au temple, ou les décrets en l’honneur de prêtres s’étant pieusement acquittés de leurs fonctions, étaient gravés, tandis qu’à côté, d’autres stèles portaient des hymnes, des inscriptions votives que certains malades guéris laissaient comme monument de leur gratitude envers le dieu.

Toute une littérature étrange, naïve, louangeuse à l’excès, est née de ce culte d’Asclepios, car, outre les particuliers cherchant par leurs prières à remercier le dieu qui les avait sauvés, les villes elles-mêmes célébraient en une étrange poésie les vertus du héros guérisseur et de ses enfants. C’étaient en général des œuvres fort médiocres où l’on accumulait, à grand renfort d’expressions homériques, les lieux communs les plus vulgaires, et dans lesquelles, en prodiguant au dieu les épithètes de bienheureux, de vénérable, de bienveillant, d’illustre…, on cherchait à rappeler soit un épisode de sa vie, soit un exemple de sa puissance divine.

Souvent on l’interpellait directement :

« Eveille-toi, Dieu secourable, roi des peuples, doux enfant du fils de Latone et de la véritable Coronis. Secoue le sommeil de tes paupières et écoute la voix de tes fidèles, qui, joyeux, invoquent ta puissance, aimable Asclépios et tout [p. 585] d’abord celle d’Hygieia. Eveille-toi, Dieu guérisseur, et entends ton hymne. Salut ».

D’autres fois, c’étaient des remerciements empreints d’une naïve et touchante piété. Voici, par exemple, les vers qu’un zacore adresse au dieu (Girard) :

« Ecoute ce que veut Le dire ton fidèle zacore, Asclepios, enfant du fils de Latone. Comment pourrai-je aller dans ta demeure, toute d’or, Dieu bienheureux, Dieu souhaité, tête chérie ; comment le pourrai-je, privé de ces pieds qui me servaient autrefois à gagner ton sanctuaire, si toi-même, par un effet de ta bienveillance, tu ne m’y conduis pas après m’avoir guéri, afin que je te contemple, ô mon Dieu, toi , dont l’éclat surpasse celui de la terre au printemps. Voici la prière que te fais Diophantos, Sauve-moi, Dieu bienheureux, Dieu fort, guéris cette méchante goutte, an nom de ton père, à qui j’adresse mille vœux. Personne parmi les mortels qui habitent la terre ne peut apporter de remède à de pareilles souffrances, toi seul, Dieu bienheureux en as le pouvoir. Ce sont les Dieux tout-puissants qui t’ont donné aux hommes, présent inappréciable, pour prendre en pitié leurs maux et les soulager.

« O bienheureux Asclepios, Dieu guérisseur, c’est grâce à ton art que Diophantos, débarrassé de son incurable et horrible mal, n’aura plus désormais l’allure d’une écrevisse, il ne marchera plus sur des épines, mais il aura bon pied comme tu l’as voulu ».

Les ministres du culte. —A ce temple de guérison, des ministres étaient attachés. Chacun d’eux avait ses fonctions établies d’après des règles fixes. Asclépios avait son grand prêtre dont l’autorité suprême dominait sur tout. Désigné par le sort, il avait des fonctions variées et sa charge durait généralement un an. Dans les sacrifices publics il devait prendre garde qu’aucune formalité ne fut omise et faire en sorte que tout se passât conformément aux traditions et aux lois. Lors des fêtes du dieu, il prenait soin que le temple fut richement décoré, que le lit où l’on couchait les statues d’Asclepios et d’Hygieia fût garni de somptueux coussins, que la [p. 586] table sur laquelle on servait aux deux divinités le repas sacré fut ornée avec luxe. Mais, aussi, il était le gardien des richesses que renfermait le sanctuaire, des ex-veto, de tous les trésors de l’Asclepeion. Il avait un rôle comme médecin, nous y reviendrons plus loin.

Au-dessous du prêtre, des agents subalternes existaient assez nombreux : c’était d’abord le zacore, qui, à l’origine, n’était guère qu’un serviteur inférieur chargé de balayer le temple, de l’entretenir, mais dont l’importance devint peu à peu plus considérable. C’est lui qui, entrant en relation avec les malades les recevait, les installait sous les portiques, leur administrait les premiers soins, veillait à la bonne exécution des ordonnances du dieu.

Au-dessous du zacore, venait le cleidouque, à qui l’on confiait les clefs du sanctuaire, et qui portait les clefs sacrées dans certaines fêles. Puis le pyrphore, qui devait allumer le feu sur l’autel.

Des femmes aussi étaient attachées au temple d’Asclépios.

Ganephoreset arrephoresétaient choisies pour des cérémonies spéciales. Leur rôle qui consistait probablement comme dans les autres cultes, à porter dans les processions, les corbeilles sacrées, cessait dès que la cérémonie était achevée.

Mais, à côté de ce personnel chargé de I’administration du sanctuaire, et des divers soins du culte d’Asclépios, il ne faut pas oublier d’autres agents, qui, moins élevés peut être dans l’échelle des êtres, comptaient cependant parmi les plus utiles du culte, cal’ ils contribuaient puissamment à l’art de guérir. Dans le nombre des dépenses qui incombaient au temple, s’en trouvent quelques-unes pour l’entretien de certains animaux et surtout du serpent et du chien, toujours associés dans le culte d’Esculape.

La croyance à des effets merveilleux obtenus par les attouchements de la langue du serpent remonte à la plus haute antiquité. Dans la scène médicale du Plutus d’Aristophane, ne voyons-nous pas le prêtre qui, sous le déguisement d’Esculape, fait sa visite nocturne au chevet des malades couchés dans le temple, s’arrête près de Plutus aveugle, lui tâte la [p. 587] tête, lui essuie les yeux, lui couvre le visage d’un voile rouge et en même temps pousse un sifflement. A ce signal, deux énormes serpents se glissent tout doucement sous le voile, et lèchent les yeux du malade, qui recouvre immédiatement la vue.

Les textes prouvent (Reinach) (ce que l’on ignorait jusqu’à présent) que le chien était autrefois, au même titre que le serpent, un animal sacré d’Esculape, ministre de ses bienfaits et de ses guérisons miraculeuses. Les sanctuaires du dieu avaient leurs chiens comme ils avaient leur serpent familier. On savait bien, avant la découverte des inscriptions d’Épidaure, que le chien était un des animaux consacrés à Esculape, mais on expliquait cette attribution par des légendes qui paraissaient d’une invention assez tardive.

Pausanias raconte que Coronis, ayant enfanté Esculape, l’exposa sur le mont Murgion ; une chèvre de la montagne le nourrit de son lait, tandis qu’un chien du troupeau veillait sur lui.

De là, disait-on. la présence d’un chien auprès de la statue d’Esculape à Épidaure.

Ce qui parait hors de doute, c’est que le temple d’Asclépios à Épidaure possédait des chiens, que l’on peut appeler chiens sacrés, parce qu’ils prêtaient leur concours au dieu dans les guérisons où se manifestait sa puissance. Il est presque aussi certain que le chien était également en honneur à Athènes.

Sur une stèle, on trouve une inscription très curieuse rapportant plusieurs cures surprenantes : il est dit dans un passage qu’un enfant aveugle a été guéri par la langue d’un chien et dans un autre passage on retrouve un chien léchant une tumeur de la tête et la guérissant.

Au rapport d’Artemidore, une femme qui avait mal au sein rêva qu’une brebis suçait le lait de ses mamelles : il est fort naturel de croire qu’elle eut ce prétendu rêve dans un temple d’Esculape où des brebis étaient dressées comme les chiens et les serpents à lécher les malades. (Vercoustre.)

3° —Le culte, les fêtes en l’honneur d’Asclepios. —C’est au [p. 588] milieu de ces trésors amoncelés, dans ce décor merveilleux où l’art le plus fin devait naturellement séduire des esprits inquiets, que les Grecs venaient demander à Asclepios la guérison de leurs douleurs et se soumettre aux règles que le dieu leur envoyait en songe.

On y cherchait les effets surnaturels, mystérieux et divins et non les soins attentifs de savants exercés. Le malade arrivait de loin, envahi par une foi profonde, sûr d’une divinité qui devait répondre à son appel, et entrait dans le sanctuaire avec l’espoir que le dieu lui apparaîtrait pendant son sommeil, pour lui indiquer le remède nécessaire.

Mettant toute sa confiance dans l’action d’une force supérieure, il attendait un miracle.

Tant dans le temple était disposé à cet effet et avec un soin extrême.

Charmé par l’éclat des richesses qui s’offraient à sa vue, pris par un ardent sentiment de religion en entrant dans le sanctuaire, converti au miracle et préparé par les prêtres et leurs aides, séduit par une mise en scène habilement ménagée, le patient ne pouvait manquer de voir Asclepios lui­même, apporter la consolation qu’il rêvait, dicter le traitement qu’il attendait.

Les prêtres n’étaient donc pas médecins, car il leur suffisait de veiller à ce que le miracle réussit. Mais, il est logique d’admettre qu’ils avaient une certaine pratique de la médecine el qu’avec l’aide du zacore, ils pouvaient donner les premiers soins .

Grâce au nombre énorme des malades, au renouvellement journalier de la foule dévote et suppliante, les prêtres pouvaient être familiarisés avec un grand nombre de maladies diverses, prompts à les reconnaître et capables de les traiter. Puis, on peut penser qu’ils inscrivaient les guérisons obtenues et les modes de traitement employés, et qu’ainsi leur éducation professionnelle s’accroissait chaque jour par la lecture constante des inscriptions des temples.

Mais avant tout, les prêtres étaient les intermédiaires entre le dieu et les malades et, si l’on excepte l’administration [p. 589] nécessaire des soins urgents, simplement chargés d’expliquer les songes et d’en déduire la prescription utile.

Les guérisons miraculeuses avaient bientôt répandu leur renom à travers la Grèce, et une foule toujours serrée se pressait aux abords des temples d’Asclepios : foule étrange de malades, de parents venus pour implorer le dieu pour un parent trop débile, de riches apportant, pour attirer sur eux la bienveillance du dieu des présents de grand prix, de pauvres gens, cherchant à l’obtenir par des dons plus modestes, mais des femmes surtout, dont l’imagination plus active, plus affinée, était volontiers séduite et surexcitée par ces songes, ces visions, ces révélations nocturnes, cette mise en scène habile, cet appareil pompeux, spécial à la pratique des religions.

Des dévots fanatiques passaient leur vie entière à l’ombre des sanctuaires, enflammés d’une sorte d’amour mystique pour le dieu qui leur avait rait quelque grâce, et l’on comprendra mieux quelle énorme influence avait cette médecine sacerdotale et suggestive, en se souvenant que les médecins laïques ne dédaignaient pas d’avoir recours à la puissance d’Asclepios et de s’en remettre a ses oracles qui devaient être infaillibles.

Mais, si l’attrait d’une foule toujours mouvante et nouvelle était considérable, combien le spectacle devait être plus singulier encore aux jours des fêtes consacrées, alors que des malades, des fidèles, des marchands, venaient en masses compactes des provinces les plus reculées de la Grèce, rendre à la divinité qui guérit un hommage plus éclatant.

C’étaient d’abord des sacrifices publics avec divers actes religieux, sortes de cérémonies d’inauguration que la loi prescrivait de faire au commencement de certaines solennités.

Alors le temple était magnifiquement décoré ; les statues de bois d’Asclepios et d’Hygicia parées de leurs plus riches vêtements étaient couchées sur un lit préparé par les soins du prêtre. Des tables placées devant ces images portaient les mets qui leur étaient offerts,

Mais on célébrait surtout deux grandes fêtes dans les temples : [p. 590] au mois de Boëdromion(août, septembre), au milieu des cérémonies qui accompagnaient la célébration des mystères d’Eleusis, se faisaient les Epidauria. Vers le 17 ou le 18 du mois, de longues processions, dans lesquelles figuraient, sans doute canépbores et arréphores, s’avançaient jusqu’au temple d’Asclepios, portant religieusement les statues de Demeter et de Coré.

Au nombre des monuments découverts parmi les ruines de l’Asclepeion d’Athènes, se trouve un bas-relief qui se rapporte à cette fête et présente un grand intérêt.

A l’intérieur d’un temple semblable à ceux qui forment le cadre ordinaire des ex-votoconsacrés à Asclepios et à Hygieia, neuf personnages sont groupés : à gauche, Demeter, assise sur un siège massif de forme cylindrique à la main gauche, levée et regarde vers la droite ; derrière elle, Coré debout, les cheveux épars sur les épaules, tient des deux mains une double torche qu’elle incline au-dessus de la tête de sa mère ; devant Demeter, Asclepios s’appuie sur un bâton, la main droite sur la hanche dans le costume et l’attitude où il est souvent représenté sur les plaques votives. La partie droite du bas-relief est occupée par six personnages d’une taille supérieure à celle des trois divinités, six hommes barbus vêtus d’un simple manteau qui laisse à découvert la poitrine et l’épaule droite. (Girard.)

D’autres fêtes, les Asclepeia, étaient encore célébrées en l’honneur du dieu de la médecine : à Épidaure, Lampsaque, Pergame, Smyrne, Carpathos…, dans tous les sanctuaires d’Asclépios. Ces fêtes avaient lieu le 8 d’Elaphébolion, (mars, avril) et précédaient les Dyonisies urbaines dont elles formaient comme les préliminaires. D’abord, on chantait un pœan solennel en l’honneur du Dieu, puis on faisait un sacrifice. A Épidaure, des jeux accompagnaient ces fêtes ; à Lampsaque, les Asclepeia étaient les véritables fêtes solennelles de la cité et duraient plusieurs jours.

C’est à ce moment que l’affluence des visiteurs augmentait. Le temple, richement orné, avec ses statues parées, ses tables toutes chargées des repas sacrés, s’emplissait d’une [p. 591] foule de suppliants qui, pleins d’une religieuse attente, adressaient durant toute la nuit leurs prières et leurs invocations au dieu.

Mais, à ce moment aussi, le sanctuaire ôtait rempli de mouvement et de bruit, A côté de la multitude des dévots qui apportaient au dieu leurs hommages, des malades escortés de toute leur famille qui venaient lui demander la santé ; une masse de curieux, une armée de marchands se pressaient autour du péribole. Des vendeurs d’ex-vetoet de curiosités dressaient leurs boutiques dans la plaine ; une véritable foire s’organisait, dont les plaisirs étaient pour beaucoup dans la venue des étrangers. Pendant la fête qui se célébrait deux fois l’an à Tithorée en l’honneur d’Isis, des marchands forains dressaient aux abords du sanctuaire des baraques en roseaux ; on leur achetait toutes sortes d’objets, de vêtements, de bijoux d’or et d’argent, Il y en avait même qui vendaient des esclaves ou des bêtes de somme. [Diehl.]

Sanctuaire d’incubation.

4·° Le culte privé. —L’incubation.—La thérapeutique sacerdotale. —Lorsque les fêtes étaient terminées, le temple reprenait son aspect habituel et les fidèles seuls, animés de leurs pieuses espérances, venaient confier à Asclepios leurs tourments et lui demander la guérison. Et rien n’est plus curieux que le mode suivant lequel s’accomplissait alors le culte privé.

On peut se rendre compte, d’après une scène d’Aristophane, de ce que l’on nommait l’incubation :

Lorsqu’un malade arrivait aux environs du temple, il ne pouvait de suite pénétrer à l’Intérieur. Il devait se présenter pur devant la divinité, et pour affirmer sa pureté, on le plongeait tout entier dans l’eau froide, dans l’eau de la source de I’Asclepeion. Moyen Infaillible de purifier l’âme !

Les prêtres faisaient tout pour éloigner la contagion et les épidémies et excluaient du lieu saint toutes les souillures qui s’attachent à la naissance et à la mort, car on chassait sans pitié de l’enceinte sacrée, les malades près d’expirer qui, venus souvent des extrémités de la Grèce pour consulter le dieu, succombaient d’épuisement et de fatigue en touchant [p. 592] le seuil de I’Asclepeion. Il était interdit aux femmes d’accoucher auprès du sanctuaire.

Lorsque le malade était purifié, il pouvait franchir la porte du temple,

Ayant apporté les gâteaux et autres friandises destinés à se faire bien venir [voir] d’Ascleptos, il les faisait griller sur l’autel en prononçant une prière. Outre les vivres destinés au dieu et qui devenaient de suite la propriété du prêtre, chaque suppliant apportait sa nourriture, puis les objets nécessaires pour se coucher, car le temple ne mettait à sa disposition que de simples jonchées de feuillage.

A la tombée de la nuit, lorsque le rouge soleil du soir dore déjà la cime des arbres et que le calme de la nuit vient avec le crépuscule, on allumait sous les portiques les lampes sacrées ; puis le prêtre, chaque jour, présidait et célébrait une sorte d’office, d’acte religieux qui se mêlait aux vœux et aux prières que chaque malade adressait à la divinité, pour appeler sur tous la protection d’en haut.

Ensuite, les lampes restant allumées, chacun continuait de s’installer sous les portiques ; bientôt le zacore passait, invitant les fidèles au sommeil et au silence et éteignait les flambeaux.

La nuit sacrée était commencée,

Les malades s’endormaient peu à peu, l’imagination surexcitée par l’attente de l’apparition du dieu, l’esprit surchauffé par l’atmosphère du sanctuaire, par l’encens qu’on y avait brûlé, par la vue hypnotisante des lampes, par cette prière du soir qui, mystique et sacrée, précédait l’heure du repos. Alors, dans leur sommeil agité et souffrant, Asclepios apparaissait en songe, indiquant à chacun, soit un traitement à suivre, soit un acte religieux à accomplir, sorte d’expiation ayant pour objet de les rendre agréables à la divinité et de les conduire à la guérison.

Le malade, obsédé par celte préoccupation constante de retour à la santé, voyait dans ses rêves énervés les prescriptions ayant un rapport étroit avec les idées qui hantaient son cerveau. [p. 593]

Même le sommeil était inutile et dans cet état demi-léthargique où la suggestion religieuse les avait plongés, ils pouvaient encore suivre les décrets médicaux du dieu dont ils désiraient la venue.

D’ailleurs avec quelle habileté les prêtres dirigeaient cette auto-suggestion ! soit pendant un interrogatoire préliminaire, soit pendant la visite au temple, ou bien par la lecture attentive des inscriptions votives, les malades pouvaient prendre l’idée de tel ou tel remède utile, et les prêtres interprétaient les songes en leur donnant la signification thérapeutique convenable,

Le matin venu, le réveil de l’Asclepeion était bruyant. Chacun racontait ce que le dieu lui avait prescrit et le prêtre ou ses subalternes se chargeaient d’exécuter l’ordonnance divine. Quand le patient guérissait, quand le miracle si impatiemment attendu se produisait, une grande joie éclatait dans le sanctuaire ; elle se manifestait par des congratulations sans fin.

Mais souvent aussi, le dieu recommandait des actes pieux. Tantôt c’était un sacrifice qu’il réclamait pour lui-même ou un trépied qu’il demandait qu’on lui consacrât, tantôt c’était une cérémonie quelconque qu’il ordonnait d’accomplir en l’honneur d’une autre divinité.

Souvent une nuit ne suffisait pas pour obtenir le songe révélateur, soit qu’Asclepios tardât à paraître, soit qu’on ne fit pas ce qui était nécessaire pour mériter sa vue ; et il fallait demeurer plusieurs jours auprès du temple,

Philostrate raconte qu’un jeune Assyrien étant venu cousulter Asclepios à Æges, le dieu le négligea pendant longtemps, parce qu’il ne cessait de boire et de faire bonne chère.

Singulier spectacle que celui de cette foule allant et venant tout le jour dans le sanctuaire, et le soir, prise de ce vague respect qu’inspire l’attente de l’inconnu, anxieuse à la pensée que le Dieu va se montrer à elle et mettre un terme à ses maux !

Mais le culte s’étendit, car la foule des suppliants croissait tous les jours, et ce fut sa perte ! [p. 594]

Le dieu ne put bientôt plus suffire à de trop nombreuses demandes et les prêtres se croyant toujours sûrs de la crédulité infinie des malades et confiants dans leur naïveté, tentés aussi par l’appât de bénéfices plus considérables, firent de la médecine sacrée, une véritable entreprise médicale .

Les suggestions devinrent plus étendues ; à côté de dévots qui venaient pour eux-mêmes, d’autres demandaient l’intervention d’Asclépios pour un membre de leur famille ou un de leurs amis ; et le dieu n’apparut plus toujours en personne et choisit des intermédiaires qui pouvaient guérir à sa place.

Tel était Apollonius de Tyane (Girard). Asclepios avait pour lui une vive tendresse. A Æges, il aimait à guérir les malades en sa présence ; aussi, Apollonius était-il souvent appelé à s’entremettre, entre le dieu et les patients. A Pergame, Asclepios ordonnait aux suppliants de fréquenter Apollonius pour obtenir la guérison.

A Athènes, il semble que le rhéteur Proclus ait joui auprès du dieu d’un crédit semblable. « Comma la fille d’un de ses amis, Asclepigeneia, souffrait d’un mal qui déroutait tous les médecins, Archiadas, le père de la jeune fille, vint trouver Proclus, comme il avait coutume de le faire dans les grandes occasions et le supplier d’intercéder pour sa fille auprès du dieu médecin. Proclus, ayant pris avec lui le grand Périclès, le Lydien, illustre philosophe lui aussi, se dirigea vers l’Asclepeion pour implorer le dieu en faveur de la malade. La ville avait encore le bonheur de posséder un temple. Tandis que Proclus priait selon les anciens rites, un changement subit se produisit dans l’état de la patiente et elle éprouva un grand soulagement.

Mais on fit plus encore,

Du moment que l’on pouvait venir à la place des malades et pour eux, et que des personnages choisis par le dieu pouvaient jouir de la même influence que le dieu lui-même, peu à peu, le cercle des guérissants s’agrandit et les prêtres décidèrent qu’eux-mêmes et aussi les gardiens du temple pourraient se livrer aux songes, en un mot qu’il y aurait des « songeurs attitrés » (Vercoustre.) [p. 595]

Et bientôt ceux-ci ne suffirent même plus et pour répondre à l’incrédulité déjà naissante de la masse des fidèles, on qualifia les songes précédents de songes ordinaires et on chercha à leur substituer d’autres visions.

Voici comment se fit cette substitution (Vercoustre] :

Ayant observé que le matin à l’aube notre esprit se trouve dans un état de vague somnolence, de lucidité obtuse qui nous permet d’entrevoir de notre lit, comme dans une sorte de pénombre, les objets extérieurs sans avoir d’eux une perception bien nette, les prêtres choisirent adroitement ce moment où d’ailleurs la lueur du jour est encore indécise, pour se présenter en personne aux malades sous le déguisement d’Esculape et même leur adresser la parole, et ceux-ci confiants, prenaient pour des réalités ces apparitions de pure comédie.

Au début, les prêtres qui jouaient le rôle du dieu n’apparaissaient qu’à une distance assez grande et timidement; mais, peu à, peu, ils s’enhardirent, ils apparurent sous le costume du dieu, porteurs de ses attributs et accompagnés d’animaux divers, à toutes les heures de la nuit. Bientôt, ils s’approchèrent résolument des malades, les examinèrent…, ceux-ci croyaient avoir vu Esculape en personne venu pour les secourir et rendre des oracles médicaux.

Lorsque la grâce était obtenue, il fallait s’acquitter envers le dieu. Le malade passait un véritable contrat avec la divinité et ne donnait qu’après avoir été guéri, Mais il donnait généreusement et les ex-voto ; les offrandes, les pièces de monnaie, les souvenirs de reconnaissance de toute sorte en font foi. D’ailleurs, le dieu, de son côté, ne l’entendait pas autrement et n’hésitait pas lui-même à demander sa rétribution.

Ne faut-il pas penser un peu aux frais du culte ?

La thérapeutique était variée. A cet égard les textes sont bien intéressants.

Dans une des quatre inscriptions grecques bien connues, qu’a publiées Mercurialis, il est fait mention d’un certain Lucius qui pour une douleur de côté, reçut d’Asclepios l’ordre [p. 596] d’employer comme topique, sur l’endroit malade, un mélange de cendre et de vin. Il le fil et s’en trouva bien.

Dans une autre de ces inscriptions, il est question d’un certain Julianus, qui avait une hémoptysie grave, Esculape lui ordonna de prendre des graines de pin, de les mêler à du miel, et de manger cette préparation pendant trois jours. L’hémorrhagie fut arrêtée par ce moyen.

Asclepios donnait aussi un traitement hygiénique très complet. Il conseillait souvent aux malades les exercices corporels, tels que la chasse, l’équitation, la gymnastique. A ceux qui étaient atteints de désordres intellectuels, il recommandait d’assister à des spectacles plaisants, et d’écouter la musique ou des chants mélodieux.

Par Marc-Aurèle, nous apprenons que le dieu ordonnait aux malades, indépendamment de l’équitation, la marche avec les pieds nus, ou encore, l’hydrothérapie froide ; à la gymnastique du corps, les prêtres avaient su joindre, suivant les circonstances, la gymnastique intellectuelle.

Pour recouvrer la vue, il n’était rien de meilleur que certain collyre fabriqué avec le sang d’un coq blanc.

Voici d’après M. Salomon Reinach, quel était le traitement de la dyspepsie au temple d’Esculape à Epidaure (1).

C’est le malade guéri, Marcus Julius Appellas, qui relate le traitement qu’on lui a fait suivre.

« Moi, Marcus Julius Appellas, citoyen d’Idrias dans le territoire de Mylasa (en Carie), je fus envoyé à Epidaure par le dieu Esculape pour y subir un traitement. J’étais sujet à de fréquents malaises et je souffrais d’indigestions. Pendant le voyage, comme je m’étais arrêté à Egine (île de la côte vis-à-vis d’Epidaure), Esculape m’ordonna de ne point me mettre tant en colère, Arrivé à l’enceinte sacrée, il me prescrivit de me couvrir la tête pendant deux jours parce qu’il tombait de la pluie. Je reçus ensuite de lui les conseils suivants : « Manger du pain et du fromage, du persil avec de la laitue ; [p. 597] me frotter moi-même au bain, sans l’aide d’un baigneur ; prendre un vigoureux exercice ; boire de la limonade ; me promener sur la galerie supérieure du portique ; me balancer sur l’escarpolette ; me frotter avec de la poussière ; marcher pieds nus ; verser du vin dans l’eau chaude avant d’entrer au bain ; me baigner tout seul, mais donner un drachme attique au baigneur ; sacrifier en commun à Esculape, à Epione et aux divinités d’Eleusis ; prendre du luit avec du miel. » Un jour, comme je n’avais pris que du miel, le dieu me dit : « Mets du miel dans ton lait pour que la boisson soit purgative. » Je priai le dieu d’accélérer ma guérison ; alors il me sembla (dans un songe) que je sortais du dortoir des malades dans la direction de l’aqueduc, tout le corps frotté de moutarde et de sel ; devant moi marchait un enfant avec un encensoir fumant et le prêtre me disait : « Appallas, tu es guéri ; main­ tenant il faut payer le prix de ta guérison. »

« J’agis conformément à ma vision, et comme je me frottais avec le sel et l’infusion de moutarde, je sentis que cela me faisait mal ; mais la douleur disparut quand je me fus lavé. Tout cela se passa pendant les neufs premiers jours après mon arrivée. Alors (pendant mon sommeil), Esculape me toucha la main droite et la poitrine ; le lendemain, comme je répandais de l’encens sur l’autel, la flamme jaillit et me brûla la main, à tel point qu’il s’y forma des ampoules ; mais ma main ne tarda pas à guérir. Comme je prolongeais mon séjour à Epidaure, Esculape me prescrivit de l’anis avec de l’huile contre les maux de tête dont je souffrais encore. Je m’étais remis à l’étude et j’éprouvais tous les symptômes d’une congestion, mais l’emploi de l’huile m’en délivra. Je consultai aussi Esculape au sujet d’une inflammation de la luette, et il me prescrivit de me gargariser avec de l’eau froide ; j’appliquai sur son conseil le même remède contre un gonflement de mes amygdales. Le dieu m’ordonna de faire graver le récit de ma guérison. Je quittai alors Epidaure, reconnaissant et guéri. »

Les miracles. —Déchéance des temples d’Esculape.—Rien ne peut lutter, en invraisemblance, avec la série des [p. 598] guérisons nombreuses que l’on a retrouvées à Epidaure, gravées sur six stèles.

  1. Diehl raconte que l’on a pu reconnaître dans les fouilles plusieurs de ces précieux monuments : tout auprès du grand portique ionique, on a découvert deux inscriptions fort longues, datant toutes deux du IVe siècle, et qui nous initient d’une manière fort curieuse à la thérapeutique miraculeuse d’Asclepios.

C’est la série ordinaire des miracles religieux ; nous les voyons tous les jours.

Les borgnes et les aveugles sont nombreux auxquels Asclepios a rendu la vue, en frottant l’orbite vide d’un onguent de sa composition, et les boiteux, qui n’ont plus qu’à admirer béatement leur béquille après une prière.

Mais que dire de cet homme de Mitylène qui n’avait pas de cheveux sur la tête, mais en avait beaucoup sur les joues, et auquel Esculape fit, par enchantement, repousser en une nuit une abondante chevelure ? Où trouver actuellement un dieu aussi habile ?

Voyons des cas plus remarquables.

Une femme de Lacédémone était hydropique. Sa mère s’en alla pour elle, consulter le dieu d’Epidaure et s’étant endormie, la femme eut une vision. Il lui sembla que le dieu coupait la tête de sa fille et suspendait son corps le cou en bas ; l’eau s’en échappait en abondance, et le dieu, détachant le corps, rajustait la tête sur le cou. Après avoir eu cette vision, la mère retourna à Lacédémone, elle y trouva sa fille guérie.

Pour le cancer, Asclépios a aussi des remèdes fameux. Un homme avait un cancer de l’estomac ; il vint à Épidaure, s’endormit et eut une vision. « Il lui sembla. que le dieu ordonnait aux serviteurs qui l’accompagnaient, de le saisir et de le tenir fortement pendant qu’il lui ouvrait le ventre. L’homme commença par s’enfuir, mais les serviteurs le rattrapèrent et l’attachèrent ; alors Esculape lui ouvrit le ventre, pratiqua l’excision du cancer, recousit le ventre et délivra l’homme de ses liens.

Aussitôt fi sortit guéri. [p. 599]

La laparotomie pour le traitement du cancer de l’estomac daterait-elle de si loin, et nos chirurgiens n’auraient-ils rien inventé ? Il serait dur de se résoudre à le croire.

Mais le dieu avait aussi des remèdes efficaces contre la goutte et la migraine ; il rendait la parole aux muets, la santé aux débiles, la tranquillité aux lépreux : et même il pouvait exaucer les vœux des femmes stériles et délivrer celles que gênait une grossesse trop prolongée : il connaissait des recettes pour toutes les infirmités, avait des ordonnances pour toutes les maladies, mais il aimait surtout les médications violentes. Pour guérir un bancal il n’hésitait pas à le faire étendre devant le sanctuaire et montant sur son char, il le laissait fouler aux pieds de ses chevaux jusqu’à ce que les jambes du patient fussent redressées.

Il ne redoutait aucune intervention chirurgicale. Un de ses malades avait avalé des sangsues : que fit le dieu ? « Il sembla à cet homme, dit l’inscription, que le dieu lui ouvrait la poitrine avec un couteau, en retirai les sangsues, les lui remettait entre les mains et recousait, sa poitrine. Quand le jour parut, il sortit ayant les sangsues dans les mains, et depuis ce moment, il fut guéri. » —La cause de la maladie n’est guère moins remarquable que le traitement lui-même. —« Elle était due, dit le texte, à une ruse perfide de sa belle­mère qui avait jeté les sangsues dans un mélange de vin et de miel qu’il avala. »

Nous n’avons décidément rien à envier aux anciens !

L’un des cas les plus merveilleux, l’un des plus célèbres aussi dans l’antiquité, est la miraculeuse guérison de la femme qui souffrait d’un ver intestinal. Comme les médecins désespéraient de la guérir, elle alla s’endormir dans l’Asclepeion de Trézène, et il lui sembla que les fils du dieu —Esculape n’avait pas eu le loisir de venir en personne — lui coupaient la tête et plongeant ensuite la main dans le corps, en retiraient le tænia. Mais cela fait, ils ne purent parvenir à rajuster la tête sur le buste de la pauvre femme, il fallut en toute hâte dépêcher à l’Epidaure, et prier Esculape de venir réparer a maladresse de ses fils. Le dieu accourt, gronde ses [p. 600] enfants imprudents, qui ont voulu faire plus que ne comportait leur science ; puis avec un art irrésistible, il remet en place la tête décapitée, et la femme se trouve guérie. [Diehl).

Avant tout c’était un dieu aimable et bon ; il tenait bien un peu à l’argent, mais ne refusait pas ses bienfaits, même quand on l’avait marchandé.

Un aveugle guéri refusait de payer le prix de sa guérison ; aussitôt le dieu le refait aveugle ; mais comme l’homme revient en suppliant promettre pour l’avenir une plus exacte reconnaissance, Esculape lui rend de nouveau la vue.

Il n’était pas trop terrible pour les sceptiques qui doutaient de sa puissance.

Un homme, aux doigts paralysés, vient un jour à Épidaure, et voyant les ex-votoqui rappelaient les guérisons miraculeuses, il se mit à railler toutes ces merveilleuses inscriptions. Que fit le dieu ? Il apparut en songe à l’incrédule, et lui étendant successivement les doigts, lui rendit l’usage de sa main, et comme l’homme tout surpris, ne pouvait croire au miracle, pliait et rouvrait tour à tour ses doigts, Esculape revenant à lui, lui demanda s’il avait des doutes, et l’homme répondit que non. Alors le dieu : « Parce que tu n’as pas cru tout à l’heure à des choses qui ne sont pas incroyables, je t’accorde maintenant le bénéfice d’une incroyable guérison.

Même aventure arriva à une femme d’Athènes : « se promenant dans l’enceinte sacrée, elle se moqua de quelques-unes des guérisons, prétendant qu’il était invraisemblable et impossible que des boiteux marchassent et que des aveugles vissent simplement pour avoir eu un songe. Etant endormie, elle eut une vision, il lui sembla que le dieu lui apparaissait et lui disait qu’il la guérirait, mais qu’il exigeait d’elle, à titre de salaire, qu’elle plaçât dans le temple un cochon d’argent en souvenir de la stupidité dont elle avait fait preuve. Et quand le jour parut, elle sortit guérie. » (Diehl.]

A vrai dire, cette série que l’on pourrait prolonger, où les miracles les plus invraisemblables sont accumulés, est comme la décadence des temples d’Asclépios. A l’époque où les prêtres ne cherchaient à agir que par une thérapeutique simple [p. 601] et des moyens hygiéniques, ces temples ont dû rendre d’immenses services ; car la médecine laïque était encore tout à fait dans l’ombre et cherchait elle-même des conseils dans les sanctuaires du dieu de la médecine. Mais, la griserie d’un succès toujours plus grand, la tentation d’offrandes plus fortes, ne tardèrent pas à faire dégénérer ces établissements de bienfaisance, ces hôpitaux sacrés fonctionnant sous le regard du dieu avec le concours et l’encouragement de la cité, ce véritable berceau de la médecine scientifique, en simples fabriques de miracles, où les prêtres jouant sans crainte le rôle de charlatans sacrés, ne pensaient qu’à profiter de la naïveté des fidèles, en aiguisant toujours leur crédulité trop facile.

Mais, les prêtres d’Asclepios avaient une excuse; une concurrence étrange s’était établie. Habiles à saisir les occasions d’exploiter la crédulité humaine, les prêtres des sanctuaires voisins eurent l’adresse de faire entrer dans le pouvoir des différents dieux qu’ils servaient celui de faire disparaître les maux physiques. Jaloux des gros honoraires d’Esculape, l’Olympe entier voulut faire de la médecine (Vercoustre.]

Des auteurs ayant prétendu qu’Apollon était le père d’Esculape, les prêtres d’Apollon se crurent autorisés à pratiquer la médecine. Puis les dieux se spécialisèrent. Voici Diane qui, à. Éphèse, va traiter des maladies des yeux, Vénus guérira les tumeurs du menton. On s’attendrait à d’autres soins de sa part !

Bien entendu, ces Imitateurs se servaient du même système général, celui de la révélation des remèdes par les songes que l’on dit envoyés par la divinité.

Mais, il fallait frapper l’imagination par des ordonnances plus remarquables et les remèdes devinrent de plus en plus étranges. Esculape avait conseillé à ceux qui étaient excités par des passions vives d’écouter la musique ou des chants mélodieux, les prêtres des temples voisins traitèrent alors les maladies mentales par la musique excitante et les danses des Corybantes.

Ce qui ruina surtout, et à juste titre, les pratiques de la [p. 602] médecine religieuse, ce fut l’avènement d’une science sérieuse qui commence avec Hippocrate.

Né à Cos, Hippocrate qui avait grandi à l’ombre du sanctuaire consacré à cet endroit à Asclepios, avait d’abord suivi les pratiques sacerdotales, et avait tiré profit des inscriptions votives des temples, mais il s’en écarta bientôt surtout lorsque le charlatanisme devint de mode, et que la médecine sacrée fut exercée par qui voulait essayer.

La médecine laïque pris peu à peu un essor régulier à la suite d’un guide de génie, et les médecins commencèrent à marcher vers la vérité, jusqu’au jour où Galien, couronnant l’œuvre d’Hippocrate, jeta les fondements de la science physiologique en allant voir aux fêtes religieuses, comment tombent et meurent les victimes.

Vers l’an 400, les temples avaient disparu.

La médecine religieuse n’était pas morte, les hommes ne changent pas, malgré les efforts des siècles passés.

A Padoue (Vercoustre) au XVIe siècle, des enfants de la campagne allaient dormir dans l’église de Saint-Antoine ; de nos jours encore, Perrot a pu constater dans une île de l’archipel, à Lesbos, l’existence de cette antique coutume des temples d’Esculape. Les malades vont dormir dans les églises, cherchant à obtenir en songe le remède dont ils ont besoin.

Girard raconte qu’à chaque printemps, de longues procession se font dans l’île de Tinos en l’honneur de la Panagheia.

… Une foule curieuse regarde les pèlerins, à mesure qu’ils arrivent, ils montent la longue avenue dallée qui conduit au monastère.

Des femmes surtout font ce trajet en marchant sur les genoux et sur les mains, on se signe à leur vue… Parvenus au couvent, les fidèles s’établissent où ils peuvent… Voici l’heure de la veillée sainte. On s’étouffe dans l’église, chacun veut baiser les images. L’évêque parait accompagné de son clergé, et l’office commence. Ce sont d’interminables litanies chantées d’une voix nasillarde et sur un ton très haut. L’assistance répond amen, tandis que des fusées sont tirées en signe de réjouissance. Cela dure jusqu’au matin. Le lendemain, on [p. 603] apprend que dans les hypogées sacrées, là où se trouvent l’eau lustrale et les reliques des saints, le Panagheia a fait des miracles, qu’un aveugle a vu, qu’un sourd a entendu, qu’un boiteux s’est mis à marcher droit, qu’un fou a recouvré la raison. Tous les prédestinés se répandent dans le bourg, où les dévots leur font fête… on leur donne des enfants à bénir et l’on touche avec respect leurs vêtements.

Est-il bien nécessaire d’aller si loin pour s’apercevoir que les pratiques d’Esculape ne sont pas mortes ? Les guérisons miraculeuses de Lourdes ne l’appellent-elles pas les temps éloignés des sanctuaires d’Asclepios.

Décidément « tout est renouvelé des Grecs ».

Note

(1) Médecine moderne, 6 février 1890.

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