Μ. Tamburini. La théorie des hallucinations. Extrait de « Revue scientifique de la France et de l’Étranger », (Paris), troisième série, tome I, (tome XXVII de la colection), 1ère année, 1er semestre, janvier à juillet 1881, pp. 138-142.

Μ. Tamburini. La théorie des hallucinations. Extrait de « Revue scientifique de la France et de l’Étranger », (Paris), troisième série, tome I, (tome XXVII de la colection), 1ère année, 1er semestre, janvier à juillet 1881, pp. 138-142.

 

Tamburini à la suite des théories de Ferrier, Münk et Nothnagel, tente une application de leurs découvertes physiologiques au problème de l’hallucination. Il admet comme cause fondamentale un état d’excitation des centres sensoriels corticaux.

Augusto Tamburini (1848-1919). Médecin psychiatre italien.
Quelques publications :
— Préface à la traduction italienne du traité de Emil Kraepelin Trattato di psichiatria. Traduzione sulla VII edizione originale per il Dott. Guido Milano, Dottor Francesco Vallardi, s.. d (1906).
— Contributo clinico e anatomo-patologico alle localizzazioni cerebrali, in Rivista sperimentale di freniatria e medicina legale, V, fasc.3, 1879.
— Le condizioni dei manicomi e degli Alienati in Italia (1896-1899). Appunti statistici e considerazioni, in Rivista Sperimentale di Freniatria, XXVI, fasc. 2-3, 1900.
— Trattato di medicina sociale, diretto da A. Celli e A. Tamburini, Milano, Vallardi, 1908.
— Contribuzione alla fisiologia e patologia del linguaggio, in Rivista sperimentale di freniatria e medicina legale, II, fasc.1-3-4-5, 1876.

 Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les notes de bas de page ont été renvoyées en fin de texte. –
 Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 138, colonne 2]

La théorie des hallucinations (1).

La question de la genèse et surtout du siège des hallucinations est une de celles qui, dans la psychiatrie moderne, ont donné lieu aux discussions les plus nombreuses. Il était tout naturel en effet qu’un phénomène aussi singulier, aussi complexe, si nouveau dans le cours de la vie intellectuelle, un phénomène qui a sa part dans l’origine des délires et la sémiotique de la folie, qui a joué un rôle important dans une foule d’évènements historiques, est appelé sérieusement l’attention. Après avoir été étudié avec soin, il devait servir de point de départ a des théories nombreuses.

Toutes peuvent être rangées sous quatre grandes catégories : 1° la théorie de l’origine périphérique ; 2° celle de l’origine intellectuelle ; 3° une théorie mixte psycho-sensoriale ; 4° enfin celle qui place le point de départ unique dans les centres sensoriaux.

Ι. La première, d’après laquelle les hallucinations partiraient des appareils sensoriaιιx périphériques, a été esquissée dans les travaux d’Érasme Darwin, Foville, Michéa. Elles résulteraient d’une irritation des expansions terminales des [p. 139, colonne 1] nerfs sensitifs transmise aux centres de perception et déterminant ainsi une sensation subjective.

Α l’appui de cette doctrine on cite la production des phénomènes en question par les altérations des appareils périphériques de la sensibilité, la fréquence de l’unilatéralité dans les hallucinations, le déplacement et le redoublement des images subjectives quand οn détruit le parallélisme des axes oculaires, leur disparition fréquente après l’occlusion des paupières.

Un seul fait suffit pour abattre cette doctrine si du moins on veut expliquer avec elle toutes les hallucinations : οn en rencontre même chez des individus dont l’appareil périphérique de la sensation est entièrement détruit.

II. La théorie de l’origine intellectuelle (par l’imagination ou la mémoire) a été soutenue par Esquirol, Leuret, Lelut, Falret, Reil, Neumann, Parchappe, Brière de Boismont, Delasiauve, Maudsley, etc. Pour eux, l’hallucination serait la métamorphose d’une pensée en une sensation ; la projection d’une idée à l’extérieur pour ainsi dire sous forme sensitive. Une telle opinion est appuyée sur ce que les hallucinations ne sont en réalité que l’incarnation de conceptions délirantes. Οn objecte a cela que bien souvent elles n’ont aucun rapport avec le cours physiologique ou pathologique des idées. Avec cette hypothèse οn ne réussit pas non plus à expliquer tous les faits cités par les partisans de l’origine purement périphérique.

ΙΙΙ. La théorie mixte est une combinaison des deux autres ; elle s’applique aussi bien aux cas militant en faveur de la première qu’a ceux qui tendent à démontrer l’origine mentale ; c’est une doctrine psycho-sensoriale qui admet l’intervention nécessaire du centre intellectuel et de l’organe périphérique. Muller, Griesinger, Baillarger, Moreau de Tours, Marcé, Motet, et plus récemment Ball (2) l’ont soutenue. Elle explique tout, c’est vrai ; mais elle pèche par indétermination, parce qu’elle donne une localisation trop étendue et ne tient pas compte des progrès de la physiologie cérébrale.

IV. La théorie qui place l’origine des hallucinations dans les centres sensoriaux a été le résultat des études les plus récentes et les plus soigneuses faites sur l’anatomie et la physiologie des centres nerveux. Elles ont démontré qu’outre les appareils périphériques et les censures d’idéation, il doit exister certains points de la masse encéphalique dans lesquels se terminent les nerfs sensoriaux : c’est la qu’ils déposent les impressions pour qu’elles soient transformées en sensations. C’est de ces centres sensoriaux véritables que partiraient les hallucinations. Cette opinion, déjà émise par Baillarger et Schroder van der Kolk, développée plus recemment par Kahlbaum et Hagen, a ét adoptée par Koppe, Jolly, Hoffmann, Luys, Ritιi.

Comment une excitation partie de la pourrait-elle produire des sensations ayant tous les caractères de la réalité ? D’après Hagen, des centres sensoriaux elle se dirigerait à la fois vers ceux de l’idéation présentant l’image subjective de la conscience, et vers la périphérie du nerf suivant la loi des [p. 139, colonne 2] projections externes ; on aurait ainsi toute l’apparence à la réalité. La transmission de l’irritation se feraίt donc dans un double sens par suite de l’existence d’un premier courant centrifuge suivant une direction inverse à celle du courant ordinaire dans les voies sensorielles ; ce fait n’est pas nouveau dans la physiologie du système nerveux, il explique parfaitement les phénomènes qui prouvent la participation des organes périphériques, lors même que les hallucinations sont manifestement d’origine centrale.

Cette dernière théorie plaçant leur siège dans les terminaisons centrales des nerfs de sensibilité spéciale, dans les centres sensoriaux, est donc la plus plausible, parce qu’elle explique tous les faits et répond à toutes les objections ; mais elle a besoin d’être comρlétée par des recherches physiologiques sur la localisation exacte des centres sensoriaux eux-mêmes.

Quel est leur siège ?

Krafft-Ebbing, Hoffmann, Leidesdorf, ne parlent que des terminaisons centrales des nerfs sensoriaux, des appareils sensoriaux centraux. Hagen, Kahlbauιn, se bornent à mentionner les ganglions basilaires du cerveau sensorial (Sinnhirn) ; Bergmann en a le premier précisé le siège, mais d’une manière hypothétique. Pour lui, les terminaisons centrales des nerfs de sensibilité sρéciale se groupent tout autour des parois des ventricules cérébraux, qui prendraient part au mécanisme des perceptions par une sorte de résonnance. Les hallucinations seraient l’effet d’un état irritatif de cette région ; l’excitation des fibres formant la paroi interne du ventricule moyen donnerait lieu aux hallucinations visuelles ; celle du quatrième ventricule aux hallucinations auditives et ainsi du reste.

Foville a placé ces centres un peu plus haut, dans l’écorce ; ils auraient pour siège précis une duplicature supposée des fibres médullaires siégeant immédiatement au-dessous de la couche corticale du cerveau et du cervelet. Dans l’un, elle se joindrait aux racines des nerfs optiques;; dans l’autre, a celles de l’acoustique et du trijumeau. Εn dernier lieu, la théorie des localisations a pris une forme plus scientifique, sinon indiscutable avec les études de Luys et de Ritti.

Pour le premier, la couche optique serait le récepteur des impressions sensorielles de toute nature, c’est là qu’elles se transformeraient en acte psychique, c’est-à-dire en perception. Il y aurait pour les divers sens quatre ganglions dont la réunion constitue la couche optique. L’interne serait le centre de l’olfaction ;le moyen, celui de la vision ; le médian, le centre de la sensibilité générale ; enfin le postérieur, celui des impressions auditives. C’est précisément dans ces régions que les hallucinations ont leur siège : une irritation pathologique des couches optiques, qui les met en activité comme le ferait une impression réelle, détermine la production de sensations fausses que les centres corticaux sont impuissants à distinguer des sensations vraies. Poincarré accepte cette théorie ; mais il admet que l’intervention du centre intellectuel doit nécessairement s’ajouter à celle du centre sensorial.

Malheureusement les données anatomiques et expérimentales servant à démontrer les fonctions de la couche optique [p. 140,colnne 1] ne sont nullement ·prouvées, sauf pour l’acte visuel. Ici, la chose s’explique par les rapports des bandelettes optiques avec la couche et le pulvinar. Dans un autre sens, les recherches anatomiques de Meynert, les études physiologiques de Schiff et de Lussana, les observations cliniques de Vulpian, de Crichton Browne et de beaucoup d’autres feraient plutôt croire que la couche optique est en rapport avec les mouvements.

Si l’on veut absolument lui accorder des fonctions sensorielles, même multiples, on ne saurait aujourd’hui la considérer comme le véritable centre des sensations. Ce serait une simple voie de passage des fibres conductrices. Les recherches récentes de la physiologie expérimentale et les observations cliniques obligent à placer plus haut que la couche optique, dans des centres corticaux, la terminaison des fibres de sensibilité spéciale.

On a cru longtemps que la première expérience démontrant la présence des centres sensoriaux dans la substance corticale était due à Hitzig, qui, en 1874, annonça qu’une lésion destructive du lobe occipital produisait la cécité du côté opposé.

Je suis heureux de pouvoir rectifier au profit de la science italienne cette croyance érronée. La découverte en question est de Panizza. Dès 1855, ce savant avait fait de nombreuses expériences en se servant des méthodes adoptées vingt ans plus tard par Ferrier, Munck et nous-même, et il avait établi que toutes les circonvolutions des lobes postérieιιrs du cerveau concourent à la fonction visuelle.

Son mémoire publié dans le Jοurnal de l’Institut lombard (août 1855), reproduit dans les Mémoires du même établissement (vol. V, 1856), a pour titre Observations sur le nerf optique. ΙΙ rapporte une série de rechercl1es faites sur des mammifères, des oiseaux et des poissons et destinées à déterminer les origines du nerf optique. Elles ont été conduites d’après les deux méthodes suivantes :

1° Destruction des différentes parties du cerveau, entre autres des circonvolutions pour déterminer les effets de la lésion sur la vue ;

2° Énucléation du globe oculaire, pour suivre plus tard les processus atrophiques dans les parties centrales et corticales du cerveau.

Avec la première méthode, voici ce que Panizza a observé chez le chien : « Quand on met à découvert une partie du cerveau un peu au-dessous de la bosse pariétale et qu’on enlève un peu de substance, on ne produit pas autre chose que la cécité du côté opposé. »

Avec la deuxième méthode, il a vu que chez le lapin, le cheval, le chien, le bœuf et le mouton, on obtient, à la suite de l’énucléation du globe oculaire, de l’atrophie ascendante dans les éminences bigéminées, surtout dans les éminences nates, dans la couche optique et ses appendices, dans les faisceaux médullaires venant de la partie postérieure de l’hémisphère cérébral.

Des faits cliniques ont prouvé que chez l’homme les choses se passent de la même manière. Un individu frappé à l’âge de trois ans d’un coup de pierre dans l’œil gauche perd la vue de ce côté et le globe s’atrophie. Il meurt a dix-huit ans, et [p. 140, colonne 2] l’autopsie montre une atrophie de la région pariéto-occipitale de l’hémisphère droit et de la couche optique correspondante. Un autre individu est frappé d’une attaque d’apoplexie, il lui reste de l’hémiplégie et de l’amaurose du côté droit. Α l’autopsie, on trouve du ramollissement de la partie postérieure des circonvolutions cérébrales. De tous ces faits, Panizza conclut que. chez les mammifères, les tubercules quadrijumeaux, la couche optique, les faisceaux de fibres venant des circonvolutions cérébrales postérieures concourent à la formation du nerf optique.

Ces recherches restèrent obscures et ce ne fut qu’après les travaux d’Hitzig, de Ferrier, etc., que l’on reprit de nouvelles études en ce sens. On démontra expérimentalement ce qu’avaient déjà entrevu Fothergill, Vulpian, Meγnert, Charcot, en se basant sur des données anatomiques et cliniques, c’est-à-dire la terminaison des voies sensorielles dans la zone corticale.

On sait qu’en 1876 Ferrier (3) a localisé, chez le singe, le centre cortical de la vision dans la circonvolution angulaire ; chez le chien, dans la région pariétale de la deuxième circonvolution externe ; chez le premier animal, celui de l’ouïe dans la première circonvolution temporo-sphénoïdale, et chez le second, dans la partie temporale de la troisième circonvolution externe. Il faut également noter l’interprétation qu’il a donnée des mouvements produits dans l’œil et dans l’oreille par l’excitation électrique de leurs centres respectifs ; ces mouvements sont dus à la production de sensations visuelles ou auditives. Avec moins de données expérimentales, Ferrier admet également que le centre de la sensibilité tactile est la circonvolution de l’hippocampe ; celui de l’olfaction et du goût, le subiculum de Ia corne d’Ammon et les parties du voisinage immédiat. Α la suite de cela, Munck fut conduit à placer le centre visuel dans le lobe occipital, le centre auditif dans le lobe temporal (4).

La cécité et la surdité consécutives à la destruction de ces centres ne consisteraient point en une abolition vraie de la fonction ; ce seraient des cécités ou des surdités psychiques, c’est-à-dire une perte de la mémoire des images visuelles et auditives, des impressions déposées dans les centres eux-mêmes. Au dehors de la sphère des sensations visuelles et auditives on trouve des centres corticaux pour la sensibilité cutanée (tactile, thermique, de pression, de lieu, etc.), pour les sens musculaires et nerveux. Les images sensorielles des impressions provenant de la peau, des muscles, des nerfs des différentes parties du corps, se présentent sous forme de perceptions.

Plus tard sont venues les expériences de Luciani et les miennes (5) ; elles nous ont conduit à cette conclusion : que chez le singe et le chien, le centre visuel cortical se trouve dans les circonvolutions pariéto-occipitales, le centre auditif [p. 141, colonne 1] dans les circonvolutions temporales supérieures chez le singe et dans la région correspondant à la troisième circonvolution externe chez le chien ; que la cécité et la surdité produites par la destruction de ces centres sont une abolition propre et réelle de la faculté sensorielle. Ces localités ne serviraient donc pas simplement de dépôt aux images mnémoniques des sensations, ce seraient des centres propres de perception.

Nous allons continuer ces recherches en les transportant dans le domaine de la clinique (6) et nous pourrons vérifier par l’analyse de cas nombreux que, chez l’homme, les lésions de la circonvolution angulaire et du lobe occipital s’accompagnent de troubles visuels allant parfois jusqu’à la cécité ; et dans certains faits nous trouvons un rapport bien établi entre les lésions de la première circonvolution temporale et les désordres auditifs.

Nothnagel, dans son traite récent (7), recherche avec une critique très fine ce qu’il y a de positif dans les localisations cérébrales ; il rapporte des observations cliniques et anatomo-pathologiques qui démontrent chez l’homme l’existence de centres visuels et auditifs dans les régions pariéto-occipitales et temporales de l’écorce.

L’anatomie nous a prouvé en même temps la terminaison des fibres optiques dans le lobe occipital (Gratiolet, Meynert, Stilling), et l’histologie nous a montré l’analogie de structure des régions postérieures de l’écorce et des cornes postérieures de la moelle épinière (petites cellules ganglionnaires) destinées, comme on sait, à la sensibilité (Meynert, Levis). Tous ces faits qui établissent d’une façon positive l’existence de centres sensoriaux dans l’écorce cérébrale, c’est-à-dire de points où se concentrent toutes les impressions venant de l’extérieur pour se transformer en perceptions et s’y déposer en forme d’images mnémoniques, vont nous expliquer la genèse des hallucinations. Il est naturel que ces centres ne soient pas étrangers à leur production, mais qu’ils jouent, au contraire, un rôle essentiel. De même qu’un centre moteur produit des mouvements désordonnés et intenses (mouvements épileptiformes), de même l’excitation d’un centre sensorial doit produire des sensations pathologiques.

Εn quoi consisteront-elles ? Εn images mnémoniques des impressions reçues, qui sortiront des centres ou elles étaient déposées et se présenteront à la conscience sous des aspects plus grands ou plus petits que la réalité, suivant le degré de l’excitation. Quand ces images sont évoquées avec leurs caractères véritables, nous avons affaire à une hallucination. Elle sera simple, unisensorielle et unilatérale quand l’irritation sera limitée a un groupe restreint d’une seule zone sensorielle et d’un seul côté ; elle sera multiple, compliquée, associée si plusieurs groupes cellulaires et plusieurs zones entrent simultanément en jeu. Voici donc comment nous croyons pouvoir interpréter la genèse des hallucinations :

Elles résultent d’un état irritatif des centres sensoriaux de l’écorce. [p. 141, colonne 2]

Pour que cette hypothèse soit vraie, elle doit : 1° être en harmonie avec les faits physiologiques ; 2° être appuyée par les faits cliniques : 3° expliquer tous les cas des hallucinations apportés par les partisans des origines périphérique, centrale ou mixte.

1° Pour ce qui est des phénomènes physiologiques, nous avons déjà démontré que notre théorie se trouve précisément en rapport direct avec les conquêtes récentes de la médecine expérimentale sur les fonctions de l’écorce cérébrale ; nous ajouterons seulement qu’une telle doctrine, qui paraissait nécessaire même quand la physiologie n’avait encore apporté aucune preuve en sa faveur (recherches de Meynert, de Wundt, de Huglings-Jackson), se trouvait déjà en germe dans l’interprétation donnée par Ferrier à propos des mouvements de l’oreille et de l’œil amenés par l’irritation électrique des zones sensorielles superficielles ; pour lui, c’était par suite de la production de sensations subjectives (optiques ou auditives) projetées à l’extérieur que l’animal tournait les yeux ou inclinait les oreilles comme pour des impressions réelles. Le stimulus électrique agit sur les centres moteurs de l’écorce comme certaines excitations morbides et produit l’épilepsie ; s’il intéresse les centres sensoriaux, il amènera des hallucinations.

2° Voyons les faits cliniques. ΙΙ s’agit de savoir si, en même temps que des hallucinations bien caractérisées, on peut trouver des lésions dans leurs centres respectifs. Rappelons-nous qu’il s’agit d’un phénomène transitoire ne se présentant ordinairement que dans les premiers stades des psychoses, c’est-à-dire dans la période d’irritation et qui persiste rarement jusqu’a la mort ; rappelons-nous qu’il fait place assez vite aux symptômes de dégénérescence mentale ; que si l’individu succombe pendant la période des hallucinations, les lésions ne sauraient être que purement irritatives dans les zones sensorielles, c’est assez dire qu’elles sont difficilement visibles, comme celles de même caractère qui se trouvent parfois dans les zones motrices. On ne fait que commencer les recherches vers les zones sensorielles et on s’en occupe seulement quand des lésions destructives appellent l’attention de ce côté. Nous pouvons dire hardiment que l’étude des rapports entre les hallucinations et leurs lésions est encore à commencer. On conçoit combien il est difficile de pouvoir trouver aujourd’hui des faits cliniques qui les mettent en évidence. En cherchant bien, nous en rencontrerons pourtant quelques-uns (cas de Ferrier, de Pooley, d’Atkins, de Gowers). La vue fut perdue à la suite d’une lésion du centre cortical périphérique et pendant toute la période irritative, il y eut des hallucinations visuelles.

Les lésions destructives des centres moteurs suivies de paralysie sont ordinairement précédées d’un état d’excitation qui s’accuse par des convulsions épileptiformes ; dans celles des zones sensorielles, il γ a également, avant le début du processus de destruction, une période d’irritation caractérisée par des hallucinations. Celles-ci seraient aux altérations des centres sensoriaux ce que les mouvements épileptoïdes sont à celles des centres moteurs.

Sous ce rapport, le fait de Gowers est assez significatif ; il γ [p. 142, colonne1] eut d’abord des hallucinations de la vue, et toute la zone visuelle corticale était lésée ; le plus intéressant, c’est que les hallucinations de l’œil gauche furent surtout frappantes ; les lésions étaient aussi plus prononcées de ce côté qu’à droite. J’ai moi-même rencontré quelque chose d’analogue à l’autopsie d’une femme morte à l’asile d’aliénés de Reggio. Pendant de longues années elle avait été troublée par des hallucinations intenses de tous !es sens (visuelles, auditives, tactiles, olfactives, gustatives et viscérales) ; plus tard, elle fut atteinte d’un délire de persécution ; il γ avait un ramollissement de l’écorce de la deuxième circonvolution frontale étendu jusqu’à l’origine de la première temporale, outre d’autres lésions importantes du cerveau et de plusieurs viscères.

Les faits cliniques peu nombreux que nous avons pu recueillir militent donc en faveur de notre théorie, et nous croyons ne pas nous tromper en affirmant que des recherches ultérieures, soigneusement faites sur l’écorce cérébrale chez des individus qui ont présenté des hallucinations comme symptôme constant et prédominant, confirmeront pleinement le rapport sur lequel nous appelons l’attention ; d’ailleurs la chose est déjà prouvée pour les lésions de caractère destructif.

3° Voyons, en dernier lieu, si tous les faits relatifs aux hallucinations peuvent s’expliquer, en admettant qu’elles aient pour siège les centres sensoriaux, ou s’il y en a d’incompréhensibles et de contradictoires. On comprend parfaitement que, d’après la theorie, les hallucinations précèdent parfois le délire ; que, d’autres fois, elles le suivent puisque, dans tous les cas, il ne s’agit que d’une lésion unique s’étendant en superficie. Elle peut commencer par les centres de la sensibilité spéciale, par ceux de l’idéation ou suivre une marche inverse. Cette destruction distincte est parfaitement admissible à moins qu’on ne suppose que l’idéation ne représente qu’un acte plus complexe des centres sensoriaux de l’écorce.

Une personne dont l’esprit a toujours été sain, ou l’est redevenu, peut avoir des hallucinations visuelles, auditives ou complexes, tandis que l’intelligence reconnaît parfaitement l’erreur ; un tel fait est inexplicable avec la théorie périphérique ou la théorie psychique.

La nature compliquée, élevée, intellectuelle pour ainsi dire du phénomène, exclut l’origine périphérique. L’intégrité ne se concilie pas avec la seconde théorie ; si, au contraire, on place le point de départ dans les centres sensoriaux, on concevra que les hallucinations puissent avoir toute l’apparence d’impressions réelles et que l’intelligence en reconnaisse la fausseté.

Mais comment expliquer la participation de l’organe périphérique de la sensibilité spéciale ? Comment comprendre que certaines hallucinations ne sont que l’incarnation de pensées délirantes qui semblent provenir d’une déviation du processus d’idéation ?

On se rendra compte de tout en admettant une excitation morbide constante des centres sensoriaux, ayant pour point de départ aussi bien les organes périphériques de la sensibilité [p. 142, colonne 2] que les voies conductrices ou les centres eux-mêmes. Si un point quelconque de l’appareil de la vision est atteint par une lésion destructive, le résultat définitif est l’abolition de la vue. Elle arrive après une altération de l’œil, des couches optiques, des tubercules quadrijumeaux et des centres corticaux. Un état irritatif siégeant sur l’un ou l’autre de ces points aura pour résultante une sensation morbide qui sera d’autant plus simple que la lésion sera plus périphérique, d’autant plus compliquée qu’elle sera plus centrale.

Dans tous ces cas pourtant, il faut que le centre cortical participe à l’excitation pour que les hallucinations aient le caractère de la réalité ; c’est lui seulement qui peut présenter à la conscience l’image subjective nécessaire.

Ainsi s’expliquent tous les désordres optiques de cette nature tenant à des lésions de la rétine, du nerf ou des ganglions optiques, les hallucinations provenant d’affections viscérales.

Celles-ci peuvent être rangées parmi les illusions ; mais les illusions ne sont qu’une manière d’être des hallucinations dans laquelle l’excitation, au lieu d’être autochtone, part de l’extérieur, et est simplement transformée et dénaturée par le centre malade.

Comment expliquer les faits dans lesquels existe une participation de l’organe périphérique entièrement sain, la projection au dehors d’une image subjective d’origine centrale ? On peut admettre avec Hagen, Griesinger et Krafft-Ebbing que l’excitation morbide du centre sensorial se propage à tout l’appareil jusqu’à sa terminaison périphérique, de sorte que cet état irritatif général, existant au moment même où se produisent les hallucinations, leur donnerait l’apparence de la réalité. Il est facile de comprendre ainsi le redoublement de celles de la vue lorsqu’on détruit le parallélisme des axes oculaires.

Tous les faits relatifs aux hallucinations qui peuvent être difficilement expliqués par les autres théories le sont facilement avec celle-ci. En se fondant sur les conquêtes récentes de l’anatomie, de la physiologie et de la clinique, elle admet comme cause fondamentale un état d’excitation des centres sensoriels corticaux, c’est-à-dire de ces points de l’écorce cérébrale ou se perçoivent les impressions reçues par l’intermédiaire des différents organes et ou sont déposées les images mnémoniques sensorielles.

TAMBURINI.

Notes

(1) Extrait d’une lecon faite à la Clinique des maladies mentales de l’université de Modène, à l’asile d’aliénés de Reggio, par le professeur Tamburini.

(2) Revue scientifique, mai 1880, n° 44,

(3) The functions οf the Βrain, Lοndοn, 1876.

(4) Berl. Κlin. Wocchensch, 1877; Verhandlung d. physiol. Gesellsch. zu Berlin, 1877-78-79.

(5) Lucianί et Tamburini, Ricerche sperimentali sιιll funzioni del cervello: centri psycho-sensori corticali, Reggio-Emilia, 1870.

(6) Des mêmes, Studii clinici sulli centri sensori corticali. — Milano, 1~79.

(7) Topische Diagnostik der Gehirnkrankheiten. — Berlin, 1879.

 

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