René Allendy. Les Névroses. Extrait de la revue « L’Esprit nouveau », (Paris), n°24, 1924, de 8 pages (non paginée).  

René Allendy. Les Névroses. Extrait de la revue « L’Esprit nouveau », (Paris), n°24, 1924, de 8 pages (non paginée).

 

René-Félix Allendy (1882-1942.). Médecin et homéopathe, il s’intéressa à la psychanalyse dès 1920 et devint psychanalyste après avoir fait son analyse avec René Laforgue, avec qui il collabora pour plusieurs articles. Un des douze fondateurs, à l’initiative René Laforgue et Marie Bonaparte, de la Société psychanalytique de Paris en 1926. Il aura comme patient, entre autres, Antonin Artaud et Anaïs Nin.
Sa thèse de médecine, L’alchimie et la médecine, dénote son intérêt précoce et jamais démenti pour l’occultisme. Nous retiendrons son rapprochement des théories surréaliste et l’ouvrage qu’il écrivit Capitalisme et sexualité, qui semble aujourd’hui de toute actualité. – Quelques autres articles de cet auteur :
— Le rêve. Paru dans la revue « L’Esprit nouveau », (Paris), n°25, 1924, non paginée. [en ligne sur notre site].
— La libido. Article parut dans la publication « Le Disque vert », (Paris-Bruxelles), deuxième année, troisième série, numéro spécial « Freud », 1924, pp. 38-43. [en ligne sur notre site]
— La psychanalyse et les sciences anciennes. Les doctrines philosophiques. Article paru dans « l’évolution psychiatrique », (Paris), 1925, pp. 258-276. [en ligne sur notre site]
— Conceptions antiques et populaires du rêve.] Extrait de l’ouvrage « Le rêve et la psychanalyse (René Laforgue (Ed.) », (Paris), 1926, pp. 1- 17. [en ligne sur notre site]
— Les présages du point de vue psychanalytique. Article paru dans l’Evolution psychiatrique, (Paris), Editions Payot, 1927, pp. 229-244. [en ligne sur notre site]
— La psychiatrie de Paracelse. Extrait de l’ « Évolution psychiatrque », (Paris), fascicule 2,1936, pp. 3-16. [en ligne sur notre site]
— Les présages du point de vue psychanalytique. Article paru dans l’Evolution psychiatrique, (Paris), Editions Payot, 1927, pp. 229-244. [en ligne sur notre site]
— Explication d’un rêve. Extrait de la« Revue française de psychanalyse », (Paris), vol. 4, n°4, 1930, pp. 710-714. [en ligne sur notre site]
— La psychiatrie de Paracelse. Extrait de l’ « Évolution psychiatrque », (Paris), fascicule 2,1936, pp. 3-16.  [en ligne sur notre site]
— Mythes et rêves collectifs. Extrait de la revue « Visages du monde – Le rêve dans l’art et la littérature », (Paris), n°63, 15 mars 1939, pp. 51-52.  [en ligne sur notre site]

Les ] renvoient aux changements de page originaux de l’article. – Les images ont été rajoute par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

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LES NÉVROSES

Dans un précédent article, nous avons exposé l’importance de l’élément inconscient dans le psychisme humain et la manière dont ses énergies propres entrent en rapport avec la puissance de la volonté consciente, sollicitant sournoisement notre raison lucide dans une direction déterminée qui est, en somme, celle de l’instinct.

L’inconscient ou l’instinct peut être dévié ; il peut notamment, pendant la courte période de son développement infantile, subir des variations qui, suivant le cas, le dévieront définitivement ou bien, le sensibiliseront seulement de telle manière qu’il restera vulnérable par la suite aux moindres chocs et exposé à des déviations tardives. En présence d’un inconscient déformé, d’un instinct aux tendances vicieuses, le conscient peut n’exercer qu’une résistance insuffisante : ainsi se réalisent les perversions. Dès que la volonté s’oppose à ces tropismes vicieux ou, en général, dès que la raison entreprend de s’opposer à l’instinct, la souffrance morale apparait comme une traduction du conflit : l’arbre de la science du bien et du mal à cette souffrance pour fruit et c’est, par excellence, l’apanage de l’humanité.

Le conflit peut avoir plusieurs issues. ΙΙ peut être tel que l’individu succombe après beaucoup de luttes, a des réalisations pathologiques. Dans d’autres cas le sujet arrive à sublimer ses tendances dans le sens normal d’une manière plus ou moins complète, quelquefois géniale, faisant de sa férocité initiale une fermeté implacable, de sa brutalité un héroïsme, de sa lâcheté une digne mansuétude, de sa cupidité une soif de connaissance. Ici le conflit a fait refluer les immenses énergies de l’affectivité (Libido de Freud) dans ses directions collatérales et sur un plan différent, canalisant celles-ci dans des voies fécondes (1). Enfin, il peut arriver que, sans pourtant succomber à ses impulsions primitives, [] le sujet ne parvienne pas à les adapter à des fins utiles et alors sa souffrance stérile, privée de toute consolation, aboutit à des troubles objectifs qui commencent à la névrose et qui vont jusqu’à la psychose, qui s’étendent de la langueur romantique a l’aliénation extrême Nous nous occuperons aujourd’hui de la névrose.

La névrose consiste en un trouble de la santé psychique dont la cause primitive est purement mentale. Cette notion, clairement dégagée par des neurologues et des psychiatres contemporains, est en réalité assez nouvelle, car pendant longtemps les médecins ont eu de la répugnance à admettre l’action, sur l’organisme, des modifications psychiques invisibles, immatérielles. C’est que, comme l’observent fort justement Déjerine et Gauckler, « tout l’essor de la médecine moderne résulte directement des progrès de l’anatomie pathologique et des travaux de laboratoire. Ceux-ci nous ont permis de prendre une notion plus précise de la mécanique humaine et des troubles divers qui peuvent l’atteindre. Mais on a trop oublié que les modifications de l’énergie physique n’étaient pas les seules que les médecins dussent enregistrer… et il existe un groupement nosologique particulier et fort important dont la symptomatologie est tout entière réalisée par une modification primitive de l’état moral ou mental et par toute une série de manifestations secondaires. Les affections qui rentrent dans ce cadre portent le nom de psychonévroses. »

Ces manifestations qui se présentent au médecin sont des plus variées et il est peu de symptômes qui ne puissent être produits par la névrose : troubles digestifs liés à la dilatation gastrique, à la ptose intestinale, à l’entérocolite, constipations inexplicables, reins plus ou moins mobiles avec tout leur cortège de troubles divers, symptômes urinaires, respiratoires, circulatoires, locomoteurs, depuis le tremblement jusqu’à la paralysie, bégaiement, tics, insomnie, enfin troubles génitaux : impuissance, frigidité. Ce ne sont là que des exemples. Tout ce que la suggestion peut réaliser expérimentalement sur un organisme, en particulier une suggestion répétée, continue, s’étendant sur des années entières, la névrose le réalise spontanément.

Les symptômes névrotiques apparaissent souvent à la suite d’un choc psychique, à la suite d’une émotion, qui agit non seulement sur notre intellectualité, mais surtout sur notre instinct profond, nos tendances affectives, notre inconscient en un mot. L’intelligence est capable de s’adapter aux idées, mais l’inconscient ne s’adapte pas aux émotions. L’émotion peut se changer tardivement en préoccupation et le conflit demeure. « Dès qu’il se livre en nous un conflit, disent encore Déjerine et Gauckler, entre nos tendances intimes et des actions d’origine extérieure ou intérieure, l’intelligence perd ses droits. Tout individu en état d’émotion devient, par cela même, auto et hérétosuggestible, quoique la suggestibilité consiste en la possibilité de l’admission par la conscience d’idées, de notions non contrôlées par la raison. C’est [] par ce mécanisme que l’émotion prend la première place dans l’histoire des psychonévroses (2). »

Brill, dans ses Fondamental conceptions οf Psychanalysis, rapporte un cas particulièrement joli au point de vue démonstratif et pathétique :

Une femme souffre du bras ; elle consulte un médecin qui lui demande si elle est sortie la veille. Elle répond qu’elle est en effet sortie par un mauvais temps et qu’elle a pris froid. Le médecin prescrit des médicaments qui restent sans action. La malade revient le consulter sans plus de succès. Elle s’adresse à un autre, déclarant qu’elle souffre de rhumatisme et celui-là, considérant la chose comme établie, la soigne pour le soi-disant rhumatisme. Elle passe de médecin en médecin jusqu’à ce qu’un d’entre eux s’avise que c’est une manifestation hystérique. Un neurologiste l’examine et reconstitue son histoire.

Cette jeune personne avait fait la connaissance d’un étudiant ; leur intimité était devenue telle que l’entourage avait parlé de mariage et qu’elle l’avait cru. L’étudiant passa ses examens, quitta la ville et entretint avec elle une longue correspondance. Il revint la voir pendant les vacances, mais ne fit aucune demande. L’impression fut qu’il voulait auparavant se faire une situation. Ceci dura plusieurs années. Α la fin il annonça qu’il avait obtenu le poste envié ; tout le monde pensa que le mariage était sûr. Il vint aux vacances, passa son temps avec elle et avant de repartir, l’emmena dans une longue promenade au cours de laquelle il lui prit le bras, le serra assez vivement mais ne parla de rien. Il y eut une déception générale. La jeune fille commença par n’y rien comprendre, puis finit par admettre qu’il ne l’aimait pas. En même temps apparut sa douleur dans le bras, ce bras qu’il avait pris dans la dernière promenade, au moment où elle s’attendait à la proposition espérée. « Sans avoir à parler du jeune homme, dit Brill, elle pouvait dès lors, grâce à la douleur, se rattacher inconsciemment à l’épisode où s’était joué son espoir ». L’émotion avait fait naitre la névrose.

Ce cas est particulièrement démonstratif et montre le mécanisme-type de la part des affections névrotiques ; seulement la cause n’est pas toujours facile à saisir par l’interrogatoire ordinaire, le propre de l’émotion initiale étant d’être refoulée dans l’inconscient. Dans la plupart des cas, la psychanalyse seule, en explorant méthodiquement cet inconscient, est capable de reconstituer le mécanisme étiologique et de remonter même au delà du choc de déclanchement, jusqu’à la sensibilisation initiale. La cause émotive peut même avoir disparu du champ de la conscience du sujet et les accidents névrotiques évoluer pour leur propre compte. Non seulement la plupart des médecins négligent la recherche de l’origine morale et émotive des accidents nerveux qu’ils [] ont à soigner, mais encore beaucoup de malades se refusent absolument à livrer, en une confession directe, les misères de leur vie morale. Ils s’appliquent tellement à ne pas les voir qu’ils arrivent à la fin à les oublier tout-à-fait. De là l’impuissance fréquente des interrogatoires ordinaires et l’indication de la méthode psychanalytique.

Parmi les causes morales qui déclenchent la névrose, apparaissent fréquemment les déceptions, les désillusions amoureuses, la perte d’un être cher, les préoccupations de l’avenir, l’insécurité matérielle, les soucis relatifs à la santé, mais surtout les émotions ou les préoccupations se rapportant à la vie génitale.

On a vivement reproché à Freud d’accorder une place trop importante à la sexualité dans ses théories, mais, outre que la conception de la sexualité est quelque chose d’infiniment plus compréhensif que la génitalité simple, on oublie trop facilement que les autres auteurs qui ont étudié la question, en sont arrivés à des conclusions concordantes. Ceci est encore nettement indiqué dans l’excellent ouvrage de Déjerine et Gauckler : « Souvent, le trouble génital est le phénomène initial d’où dérive tout l’état neurasthénique consécutif. On se fait difficilement en effet une idée de ce que peut devenir l’état moral chez beaucoup d’individus lorsqu’ils se sentent atteints dans leur virilité. Il n’est rien qui puisse les toucher davantage. Et nous avons vu des malades pour lesquels des pertes matérielles, de gros chagrins affectifs étaient considérés comme d’importance à peu près nulle auprès du prix qu’ils attachaient à leurs atteintes génitales. Il semblerait que la fonction génitale qui est en somme la fonction capitale, la fonction de reproduction, la fonction instinctive par définition, ne puisse être touchée sans que la personnalité tout entière de l’individu en soit atteinte. Aussi ne saurions-nous trop conseiller de rechercher toujours chez le névropathe l’état de cette fonction. »

On a pu ranger les innombrables formes de névroses en deux grandes catégories : neurasthénie et hystérie. Cette classification, arbitraire dans une certaine mesure, a l’avantage d’être simple.

Il s’en faut de beaucoup que la neurasthénie soit acceptée par tous comme une névrose, c’est-à-dire comme une maladie d’origine purement psychique. Beaucoup d’auteurs lui ont cherché une cause organique et on est frappé de Ia multiplicité des théories proposées : théorie génitale, théorie vasomotrice, de la dyscrasie acide, de la déminéralisation, des troubles nutritifs, de la cholémie, de la ptose viscérale, théorie cérébelleuse, théorie thyroïdienne, etc… Toutes ces théories se rangent sous deux notions : intoxication ou épuisement. La première ne répond pas à la totalité des faits ; la seconde qui fait intervenir le surmenage intellectuel ne parait admissible que quand ce surmenage est accompagné d’inquiétude, c’est-à-dire d’émotion ou de préoccupation et la tendance qui prévaut actuellement est de considérer la neurasthénie comme une névrose vraie. []

Pour l’hystérie, il n’y eut jamais de grande difficulté à y voir une maladie d’ordre psychique. Εn réalité, hystérie et neurasthénie sont deux façons de réagir pathologiquement au choc psychique, deux façons qui s’opposent presque en tous points.

L’accident neurasthénique ne suit pas immédiatement l’émotion.

Il n’apparait qu’à la longue et progressivement, plutôt comme le résultat de la préoccupation consécutive à l’émotion. Le neurasthénique est surtout frappé moralement. Sa maladie résulte d’une impuissance à s’adapter à la cause émotive continue et comporte un effort d’adaptation. Il n’en est pas de même dans l’hystérie qui est une réaction immédiate, une espèce d’inhibition sans aucune lutte pour s’adapter avec un état moral extrêmement peu modifié ; cliniquement, le malade parait indifférent a tout ce qui lui arrive.

Il faut distinguer dans l’hystérie la crise proprement dite et les symptômes. Entre la syncope émotive à laquelle tout le monde est plus ou moins sujet et la crise hystérique la plus compliquée, il n’y a qu’une différence de degré. La crise est une décharge émotive qui peut n’apparaitre qu’une fois dans la vie d’un sujet. Les accidents hystériques consistent surtout en anesthésies, paralysies, contractures. Ceux-ci diffèrent profondément de ceux du neurasthénique. Le neurasthénique est un anxieux à qui la sensation d’angoisse suggère l’idée d’avoir une maladie organique, qui se préoccupe de son état et qui en arrive à réaliser les symptômes auxquels il pense. L’hystérique est un inhibé, absolument passif, qui parait avoir subi une dissociation comme si certains organes étaient soustraits au contrôle de la volonté, ou même à la conscience. Un hystérique atteint de paraplégie parait réellement avoir oublié qu’il avait des membres et il témoigne une indifférence étonnante à son état comme s’il ne songeait aucunement à ce qui lui manque. On dirait que dans les accidents de ce genre, le conscient perd son pouvoir d’agir sur une partie déterminée de l’organisme et que celle-ci dirigée par l’inconscient tend à continuer indéfiniment le fonctionnement suggéré par l’émotion.

Une femme présente par exemple une contracture du bras droit survenue subitement alors que, dans un mouvement de colère, elle voulait frapper son mari ; une jeune fille a les membres inférieurs contracturés en adduction et cela à la suite d’une tentative de viol dont elle a été l’objet. La malade continue indéfiniment le geste commencé. Il est tout à fait remarquable que les symptômes hystériques, dans leur localisation ne correspondent à aucune détermination physiologique comme le territoire d’un nerf, le champ d’action d’un muscle, mais seulement à une détermination intellectuelle comme un geste, un segment du corps.

Il existe aussi, entre l’hystérie et la neurasthénie ainsi définies, une différence considérable dans la mentalité du sujet. Le neurasthénique est un émotif qui prend les choses à cœur, qui vibre trop intensément et [] qui lutte avec une volonté très grande, mais son excès d’activité et d’efforts le rend précisément très vulnérable : se dépensant sans compter, il finit par succomber épuisé et vaincu mais toujours tendu pour la lutte. Chez lui, la volonté consciente est en conflit aigu avec le sentiment inconscient : il y a un effort inefficace de refoulement. Chez l’hystérique, au contraire, c’est l’émotivité physique qui l’emporte et qui retentit sur le psychisme. Le malade est instable, mal 1ie, incoordonné, éparpille, avec une mentalité infantile et changeante ; l’inconscient déborde de toutes parts sur le conscient. Il s’abandonne à son émotivité, à sa sensibilité instinctive : l’inconscient tend à empiéter sur le conscient.

Εn définitive, hystérie et neurasthénie peuvent servir d’étiquettes à deux modes — actif et passif — de réaction névrotique. Les mêmes causes psychiques orienteront l’individu dans une voie ou dans l’autre selon son tempérament individuel. Le neurasthénique tend à se surmener dans des efforts du conscient contre l’inconscient ; le choc psychique déterminera chez lui une fixation pathologique de l’attention et de la volonté ; il en arrivera à créer activement les symptômes auxquels il croit. L’hystérique tend à abandonner la lutte du conscient contre l’inconscient ; le choc émotif aboutit chez lui à une dissociation comme pour soustraire une partie de lui-même à sa conscience et à sa volonté et dans cette zone l’inconscient continue indéfiniment la réaction commencée. L’hystérique est donc avant tout suggestible et passif.

Que la névrose soit active ou passive, neurasthénique ou hystérique, elle nécessite, pour être déclenchée, un quantum donné d’émotion qui diffère grandement selon les individus. Ici la plupart des médecins cherchent à expliquer les tempéraments individuels par des considérations plus ou moins organiques portant sur l’hérédité, la fatigue, la déminéralisation, l’intoxication, les troubles endocriniens, en somme sur tous les obstacles matériels qui peuvent empêcher la volonté consciente de réaliser son action et son contrôle. La psychanalyse a montré qu’il fallait chercher surtout la cause de cette aptitude morbide dans une sensibilisation psychique antérieure qui aurait pour ainsi dire armé très tôt le mécanisme de la névrose, avant qu’un choc approprié n’en produise le déclanchement. Et ceci conduit la plupart du temps à chercher les déterminantes qui ont opéré dès l’enfance, au moment où se façonne pour ainsi dire l’instinct inconscient, avant la maturation des facultés consciente, et ceci est d’une extrême importance au point de vue thérapeutique.

La névrose étant comprise comme un conflit entre le conscient et l’inconscient, toute la thérapeutique doit viser à apaiser ce conflit et, mieux encore, à le résoudre. La suggestion, surtout applicable aux hystériques, renforce l’élément conscient, lui apporte renfort étranger dans la lutte qu’il doit soutenir ; ce procédé peut faire disparaitre le symptôme névrotique mais il laisse subsister le conflit intérieur, avec [] la souffrance morale qu’il comporte. La Psychothérapie ordinaire, qui consiste ç raisonner le malade, à diriger les lueurs de sa conscience sur ses tendances inconscientes, peut aussi donner quelques résultats, sans résoudre le conflit intérieur, puisque les couches profondes de l’inconscient resteront à jamais ensevelies dans l’ombre, comme un feu qui couve sous la cendre. On a imaginé certains procédés pour recréer l’émotion de déclanchement et par ce moyen, le faire digérer en quelque sorte au contrôle conscient. Une mise en scène appropriée rappelle au malade le choc psychologique qui est à l’origine de la névrose et ainsi ont pu être obtenues des guérisons assez nombreuses, car, comme le dit fort justement Déjerine, « une émotion qui est jugée, qui est intégrée dans le domaine de la conscience acquise, par cela même n’est plus une émotion ; elle cesse d’agir comme telle, et le symptôme névrotique secondaire disparait : Sublata causa, tollitur effectus.

Mais tous ces procédés sont extrêmement difficiles à appliquer. La suggestion n’est possible qu’avec un nombre restreint de sujets ; la psychothérapie est la plupart du temps inefficace, faute d’avoir pu découvrir, par un interrogatoire direct et une confession volontaire, une cause qui est le plus souvent oubliée, refoulée dans l’inconscient et par conséquent inaccessible à l’exploration directe. Enfin, même quand ces procédés ont donné une guérison, ils n’ont agi que sur un déclanchement de la névrose, mais le malade reste sensibilisé et expose à de nouveaux déclanchements pour peu que les luttes et les tracas de la vie recommencent pour lui : l’herbe est coupée mais la racine reste enfouie dans le sol et n’attend qu’une occasion favorable pour produire de nouvelles pousses. Rarement, de telles guérisons sont définitives. On ne saurait trop insister sur la difficulté qu’elles présentent ; le conscient et l’inconscient sont comme des pôles d’aimant qui se repoussent et qu’il est difficile d’amener au contact pour peu qu’ils aient été dissociés. C’est pourquoi, la plupart du temps, le malade ne veut pas guérir. Il n’y tient pas vraiment, malgré ses protestations parce que la névrose est une solution boiteuse, mais une solution tout de même, un compromis en un mot, qu’il a réalisé au prix d’efforts plus ou moins considérables. ΙΙ finit par aimer son état comme sa propre création et cela d’autant plus qu’elle répond non seulement à l’émotion qui l’a déclenchée, mais à la sensibilisation initiale qui lui a ouvert la voie. La névrose devient, dans le monde imaginaire, puéril, fermé, où elle se réfugie une source de jouissances amères d’un goût particulier et rare et c’est pourquoi il ne faut compter, la plupart du temps, sur aucun effort du malade vers la guérison.

Sous réserve des indications d’âge, d’ancienneté, etc… la psychanalyse constitue le traitement de choix des névroses. Les moyens indirects dont elle dispose pour dépister les mécanismes inconscients (association d’idées, rêves, etc.) sont, pour un praticien expérimenté, d’une pénétration singulièrement profonde dans l’inconscient. [] Elle ne fait pas appel à la sincérité du sujet, ni à sa volonté, ni à son désir de guérir, mais reconstitue indirectement le mécanisme psychologique du conflit à la manière du juge d’instruction qui examine les lieux du crime sans tenir compte des récits de l’inculpé, et qui en tire ses conclusions. Elle permet de remonter bien au delà de l’émotion de déclanchement et jusqu’aux émotions préalables de sensibilisation qui se sont généralement produites dans l’enfance ; en cela, elle assure une éradication complète.

Pour la psychanalyse, l’investigation se confond avec le traitement, car il suffit qu’un élément inconscient soit présenté au contrôle du conscient pour qu’il perde immédiatement toute puissance nocive. Ceci est un fait d’expérience et c’est une des choses les plus remarquables de la pratique psychanalytique que de voir les symptômes névrotiques s’atténuer et disparaitre au fur et à mesure que sont dévoilées au malade leurs déterminantes jusque-là inconscientes. Le conscient sent d’ordinaire très facilement la réalité de ce qui lui est présenté et l’admet, mais ceci ne va pas sans une obscure souffrance, comme si l’inconscient se défendait contre cette exploration de lui-même poussant le malade à trouver des raisons détournées pour interrompre l’analyse ; c’est le phénomène dit des résistances. La technique psychanalytique est donc d’un maniement assez délicat mais on peut dire qu’elle marque un progrès considérable dans la thérapeutique des névroses.

Dr R. ALLENDY.

Notes

(1) Il en résulte encore la souffrance morale, traduction inévitable de tout conflit intérieur, mais la souffrance est compensée par la satisfaction des réalisations obtenues. « La gloire n’est souvent que le deuil d’un visage », sans doute, encore qu’elle comporte une certaine satisfaction ; ne fut-ce que de grandir l’être a ses propres yeux.

(2) Déjerίne et Gauckler — Manifestations fonctionnelles des Psychonévroses. Paris (Masson) 1911, p. 323.

 

 

 

 

 

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