René Allendy. Explication d’un rêve. Extrait de la« Revue française de psychanalyse », (Paris), vol. 4, n°4, 1930, pp. 710-714.

René Allendy. Explication d’un rêve. Extrait de la« Revue française de psychanalyse », (Paris), vol. 4, n°4, 1930, pp. 710-714.

 

René-Félix Allendy (1882-1942.). Médecin et homéopathe, il s’intéressa à la psychanalyse dès 1920 et devint psychanalyste après avoir fait son analyse avec René Laforgue. Un des douze fondateurs, à l’initiative René Laforgue et Marie Bonaparte, de la Société psychanalytique de Paris en 1926. Il aura comme patient, entre autres, Antonin Artaud et Anaïs Nin.
Sa thèse de médecine, L’alchimie et la médecine, dénote son intérêt précoce et jamais démenti pour l’occultisme. Nous retiendrons son rapprochement des théories surréaliste et l’ouvrage qu’il écrivit Capitalisme et sexualité, qui semble aujourd’hui de toute actualité. – Quelques autres articles de cet auteur :
— Le rêve. Paru dans la revue « L’Esprit nouveau », (Paris), n°25, 1924, non paginée. [en ligne sur notre site].
— La libido. Article parut dans la publication « Le Disque vert », (Paris-Bruxelles), deuxième année, troisième série, numéro spécial « Freud », 1924, pp. 38-43. [en ligne sur notre site]
— La psychanalyse et les sciences anciennes. Les doctrines philosophiques. Article paru dans « l’évolution psychiatrique », (Paris), 1925, pp. 258-276. [en ligne sur notre site]
— Les présages du point de vue psychanalytique. Article paru dans l’Evolution psychiatrique, (Paris), Editions Payot, 1927, pp. 229-244. [en ligne sur notre site]
— La psychiatrie de Paracelse. Extrait de l’ « Évolution psychiatrque », (Paris), fascicule 2,1936, pp. 3-16. [en ligne sur notre site]
— Les présages du point de vue psychanalytique. Article paru dans l’Evolution psychiatrique, (Paris), Editions Payot, 1927, pp. 229-244. [en ligne sur notre site]
— Mythes et rêves collectifs. Extrait de la revue « Visages du monde – Le rêve dans l’art et la littérature », (Paris), n°63, 15 mars 1939, pp. 51-52.  [en ligne sur notre site]

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité nous avons renvoyé les notes de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoute par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 710]

Explication d’un rêve

Par R. ALLÉNDY

Mme X., soignée pour frigidité, apporte, vers la fin du premier mois d’analyse, un rêve qu’elle raconte ainsi : « J’avais entrepris un grand dessin pour représenter un pays de montagnes ; c’était un fusain terne et laid. Mon mari avait repris mon dessin et en avait fait quelque chose de très bien. Je le montrais avec fierté à une dame que j’ai connue dans ce pays, disant qu’il était presque entièrement de moi et que mon mari n’en avait fait qu’une très petite partie. Lui était présent et se faisait complice de mon mensonge.

« Ensuite, une ampoule électrique venait à manquer ; l’obscurité se faisait. J’allais en chercher une autre et je m’engageai dans un long couloir. Je cherchais d’abord les W.-C. et j’y entrais, puis j’en ressortais pour entrer dans une salle de bains sombre et pas très propre. J’en sortais encore sans avoir trouvé d’ampoule. A ce moment, un gros homme horrible voulait m’embrasser ; nous étions au pied d’un escalier. Je me réveillai avec angoisse. »

Le psychanalyste. — A quoi vous fait penser ce pays de montagnes ?

La patiente. — J’y ai été il y a deux ans ; j’y ai connu deux dames très gentilles et un homme avec qui j’ai flirté. C’était si agréable qu’au lieu d’y rester huit jours comme je devais, j’y suis restée bien plus longtemps. Là était aussi mon oncle, avec une femme que je détestais. J’ai réussi, avec une crise de nerfs à moitié volontaire et l’influence d’un médecin, à la faire partir avant moi.

Le psychanalyste. — C’était donc un endroit agréable, plein de souvenirs amicaux et sentimentaux, et où vous avez eu une victoire sur votre rivale ?

La patiente. — Certainement.

Le psychanalyste. — C’est pourquoi sans doute, ce pays inspira votre dessin. Il s’agissait, dans le rêve, de retrouver plaisir et succès. Mais à quoi vous fait penser le fait de dessiner ? [p. 711]

La patiente. — J’ai fait du dessin autrefois ; c’est même ainsi que j’ai connu mon mari ; il avait un joli talent.

Le psychanalyste. — Le fait de dessiner rappelle donc le moment où votre mari vous a connue, autre période favorable au point de vue sentimental ?

La patiente. — C’est exact.

Le psychanalyste. — Le pays et le dessin ont donc un sens identique, mais le dessin représente ce que vous avez de commun avec votre mari, ce qui vous unit à lui, et le pays représente ce qui est en dehors de lui. C’est une allusion au fait d’être aimée et conjugalement et extra-conjugalement.

La patiente. — Si vous voulez.

Le psychanalyste. — Or, ce qui vous unit à votre mari, ce que vous avez en commun, c’est sans doute le lien sexuel, et il n’est pas étonnant que le rêve fasse allusion à ceci, puisque c’est la raison pour laquelle vous vous soignez. A ce point de vue, l’ampoule qui s’éteint et que vous cherchez à remplacer, dans la deuxième partie du rêve, pourrait bien représenter ce qui éclaire la vie sexuelle, c’est-à-dire le plaisir de l’amour, et cela d’autant plus que le rêve se termine par l’étreinte d’un homme.

La patiente. — Je l’admets.

Le psychanalyste. — Ne croyez-vous pas maintenant que cette ampoule, qui symbolise ainsi l’amour par sa fonction éclairante, ne pourrait pas aussi, par sa forme, symboliser autre chose ?

La patiente. — Je vois à quoi vous pensez, mais à quoi vous servira-t-il de prétendre que l’ampoule a une forme phallique ?

Le psychanalyste. — A compléter le sens de votre rêve, car si l’ampoule possède cette signification phallique, il n’est plus indifférent de la promener dans un couloir. Vous serez bien obligée d’admettre la signification anatomique et complémentaire du couloir ?

La patiente. — Vous tenez à compléter votre symbolisme ?

Le psychanalyste. — Et vous, vous ne tenez plus à y voir clair comme dans le rêve, d’ailleurs), parce que nous approchons de choses dont vous aimeriez mieux ne pas parler, je suppose.

La patiente. — Et lesquelles ?

Le psychanalyste. — Nous y arrivons, mais d’abord, dites-moi à quoi vous fait penser une salle de bains ?

La patiente. — A la nudité, à un bain agréable et frais, à la toilette… [p. 712]

Le psychanalyste. — Nous revenons donc à une signification sexuelle. Mais n’avez-vous pas dit que la salle de bains du rêve n’était pas très propre ? Je sais, par ailleurs, que l’acte sexuel comporte pour vous une certaine impression de dégoût. Il n’est donc pas étonnant que la salle de bains où se place l’ampoule soit un peu sale. Mais alors, que faut-il penser des W.-C. ?

La patiente. — . . . .

Le psychanalyste. — Qu’il s’agit de quelque chose de bien plus sale, je suppose, surtout quand il s’agit d’y mettre l’ampoule ?
N’avez-vous pas essayé toutes sortes de choses avec votre mari, pour trouver le plaisir qui vous fuit ?

La patiente. — Oui, c’est vrai ; nous avons tout essayé.

Le psychanalyste. — Sans parvenir à rétablir la lumière ?

La patiente. — Sans y parvenir.

Le psychanalyste. — Bien. Voilà ce dont il vous était désagréable de parler. Revenons maintenant à la première partie du rêve. Je pense que faire le dessin signifie réaliser l’œuvre d’art, réussir à trouver la volupté, et que vous comptez sur le talent de votre mari pour suppléer à votre insuffisance !

La patiente. — Si vous voulez.

Le psychanalyste. — Il serait cette fois superflu d’insister sur la signification phallique du fusain dont se sert votre mari. Mais que pouvez-vous me dire de cette dame devant qui vous vous vantez d’être le principal auteur du dessin ?

La patiente. — C’est une amie très agréable.

Le psychanalyste. — Pourquoi se trouve-t-elle mêlée à ces questions d’intimité sexuelle ? Sans doute avez-vous parlé de ces sujets avec elle ?

La patiente. — Oui, naturellement.

Le psychanalyste. — Mais pourquoi mettez-vous votre point d’honneur, devant elle, à devoir très peu de chose à votre mari, alors qu’en réalité vous attendez tout de lui ?

La patiente. — Elle disait qu’il ne faut pas de laisser dominer par les hommes.

Le psychanalyste. — Vous accepteriez donc d’être dominée, à condition que cela ne se sache pas ?

La patiente. — Ma mère me donnait les mêmes conseils.

Le psychanalyste. — Et vous considérez le fait de devoir du plaisir à l’homme comme une servitude honteuse ? [p. 713]

La patiente. — Naturellement !

Le psychanalyste. — Est-ce si naturel que vous pensez ? Je comprends alors que dans le rêve votre mari se fasse complice de votre mensonge : vous désirez qu’il en soit ainsi, c’est-à-dire qu’il n’ait pas l’air de triompher de vous pour avoir réalisé le grand-œuvre de vous émouvoir ?

La patiente. — Ceci n’est pas étonnant, après ce que vous savez de mon enfance.

Le psychanalyste. — Aussi bien, n’avez-vous pas besoin de vous disculper de cela. Je ne vous accuse pas. Mais votre ton indiquerait que vous avez à vous disculper d’autre chose en ce qui me concerne.

La patiente. — De quoi donc ?

Le psychanalyste. — Nous allons chercher. A quoi vous fait penser le bas d’un escalier, comme celui de la scène finale du rêve ?

La patiente. — Un escalier sombre. Le vôtre n’était pas éclairé tout à l’heure.

Le psychanalyste. — L’escalier a souvent un sens de coït dans les rêves, mais, pour les femmes, c’est habituellement l’escalier qu’on descend. Vous, vous ne prévoyez pas la chute, la descente, le laisser-aller dans votre rêve, puisque la disposition est telle qu’on ne peut que monter, donc se comporter en homme, dominer la situation. Il est naturel que, si vous considérez l’amour comme une soumission inacceptable, vous n’envisagiez pas d’autre solution que monter, c’est-à-dire triompher. Mais que vient faire mon escalier dans cette affaire ? Ne voulez-vous pas dire que vous souhaitez que notre analyse reste obscure parce qu’en faisant la lumière, je vous dominerais d’une certaine façon ?

La patiente. — Je dois avouer qu’hier j’ai cherché à vous tendre un piège que vous avez évité, mais aujourd’hui je n’ai plus les mêmes sentiments.

Le psychanalyste. — J’en suis heureux. Mais revenons à votre rêve. A quoi vous fait penser l’homme qui se précipitait pour vous embrasser ?

La patiente. — A Jacques N., l’homme le plus dégoûtant que je connaisse.

Le psychanalyste. — Donc, toute l’horreur masculine. Mais d’où donc, surgissait ce personnage ?

La patiente. — Je le trouvais tout à coup derrière moi. [p. 714]

Le psychanalyste. — Et qui donc est derrière vous, ici, à côté de l’escalier sombre ?

La patiente. — C’est vous, mais…

Le psychanalyste. — Voilà donc de quoi vous vouliez vous disculper. Vous voyez combien vos sentiments à mon égard sont ambivalents. Vous me rapprochez de l’homme le plus dégoûtant et vous avez de l’angoisse à l’idée que je pourrais vous saisir, c’est-à-dire vaincre votre opposition, de quelque façon, intellectuelle ou autre, que vous l’entendiez. Il n’y a d’ailleurs pas de raison pour que vous vous soumettiez plus volontiers au travail psychanalytique qu’à l’acte conjugal. Étant donné que, dans votre enfance, vous avez imaginé les rapports avec les hommes comme quelque chose d’atroce, c’est sous cette forme atroce que votre instinct profond tendrait à les réaliser (et c’est pourquoi vous aimez jouer à la bataille avec votre mari) ; mais c’est devant cette atrocité que votre inconscient recule. En somme, votre rêve pose un problème.

La patiente. — Je ne vois pas bien l’intérêt que vous y trouvez, en dehors des pratiques anormales que vous m’avez fait avouer.

Le psychanalyste. — L’intérêt principal du rêve est dans l’indication causale qu’il donne de votre frigidité. On pourrait le traduire ainsi : « J’ai beau essayer, dans mon ménage et au dehors, tous les moyens possibles, normaux et anormaux, de trouver le plaisir, je ne pourrais y arriver qu’à la condition de ne pas me montrer, du moins en apparence, inférieure à l’homme. Pour le moment, j’hésite à céder à mon mari pour le plaisir, de même qu’à mon médecin pour la guérison. »

La patiente. — Je suis pourtant assez malheureuse de mon état.

Le psychanalyste. — Sans doute, mais n’avez-vous pas rappelé, dans vos associations d’idées, qu’une crise de nerfs vous avait une fois servi à éliminer une rivale, c’est-à-dire à en imposer à votre oncle ? Pourquoi votre frigidité actuelle ne serait-elle pas utilisée comme un moyen de ne pas céder ?

La patiente. — C’est possible.

Le psychanalyste. — Nous sommes donc d’accord. D’ailleurs, à propos de lampe éteinte, comme dans le rêve, je dois vous faire remarquer que, depuis deux ou trois séances, vous m’avez demandé d’éteindre une des lampes de mon cabinet, disant qu’elle vous faisait mal aux yeux. C’est une manière de me châtrer. Pourtant, le rêve nous permet d’espérer que vous ne tarderez pas à céder…

 

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